elle n'avait rien mangé, Gabrielle - accaparée par des conversations futiles un temps puis profonde occasionnellement, elle n'avait cessé de te scruter de loin au cours de la soirée - les papillons dans le ventre, encore.

elle avait beau essayé de rester discrète, plusieurs de son cercle avaient demandé si il se passait quelque chose entre vous - elle s'était efforcée de répondre que non, il ne se passait rien elle ne dupait personne depuis le premier jour du festival ; et elle n'en avait plus grand chose à foutre, de mentir ou non.

elle avait replacé plusieurs fois durant le bal ses longs cheveux noués en chignon faussement défait - et tant que ses yeux ne se plantaient pas dans les tiens, elle ne détournait pas son attention de toi, c'était plus fort qu'elle.

Finalement l'audace la gagne et elle s'approche de toi, prend garde à ne pas froisser davantage sa robe bleue et blanche - la maintient d'une main pour garder un équilibre forcé ; et elle attend patiemment que les amis autour de toi s'éclipsent, après un signe de la tête de sa part pour qu'ils vous laissent seuls - le reste de leurs murmures n'avaient pas vraiment de saveur.

« Tu ne salues pas ta Reine ? »

elle avait cherché ton regard en levant les yeux - tu étais bien trop grand pour elle mais elle se forçait à se tenir à ta hauteur, esquisse un rire enfantin et passe une main gantée près de sa bouche pour étouffer ce que t'aurais pu prendre pour des moqueries.

De son regard elle désigne Eulalie non loin de là pour t'assurer qu'il n'y avait personne d'autre qu'elle - malgré la jalousie qu'elle avait osé deviner à votre échange précédent.

« alors ? Tu vois, j'ai respecté ma promesse, je n'ai dit oui à personne d'autre qu'elle. »

et si leurs danses étaient magnifiques, c'était parce que Gabrielle vouait à Eulalie un amour inconditionnel que même toi ne saurait défaire - ça n'était pas la même chose.

« je ne t'ai pas vu danser, toi par contre. »

au milieu des lumières bleutées et des parfums boisés, de la foule pressante et des notes doucereuses qui entonnaient déjà parmi le brouhaha, elle ne voyait que toi - elle saisit ta main, mue sa bouche en un sourire satisfait presque enfantin et fait un pas pour rapprocher vos deux corps. Elle ne t'entraînait pas encore sur la piste de danse et laisse quelques secondes couler pour respirer ce parfum si masculin mêlé à l'odeur de ton corps pour y saisir toute la saveur : ça la ramenait à des instants fiévreux, Gabrielle, et elle se soûlait un peu plus de la froideur de ta peau, les yeux perdus dans la vague de vos retrouvailles.

« J'accepte avec plaisir, Ace Ackerley. »

elle avait toujours le choix - et elle te le faisait comprendre, dans sa douceur abyssale et ses yeux tourmentés par le désir que tu faisais naître au creux de ses paumes. Elle laissa ce début de tension en suspens et glissa d'un pas vers les couples de la dernière danse.

Elle se retourna et enjoint vos deux mains pour relever ses iris vers les tiennes - et elle te laissait libre champ d'actions, choix de tout mouvement et amplitude de rythme pour t'assurer tacitement qu'elle suivrait dans tous les cas.

« tu sais ce que signifie la dernière danse, je suppose ? »

elle caressait doucement la peau de tes mains et se déplaçait doucement, réfléchissant silencieusement à exécuter les bons pas, appliquée à la moindre fausse note, pourtant, elle voulait simplement profiter de cette soirée à l'écart du monde entier pour votre univers exclusif.

« en plus avec ce qu'il s'est passé au stand de Valéry... Les gens vont finir par s'imaginer beaucoup de choses à notre sujet. »

sa voix douce berçait sans tumultes ses questions intérieures et devant la quiétude de votre danse elle dénoua vos mains pour accrocher tendrement son bras derrière ton cou - et elle guettait ta réaction, parce qu'hésitante, peut-être qu'elle allait trop vite pour toi.

« j'espère que tu ne te sens pas forcé par tout ça, au moins. »

comme si tu allais échapper de ses bras, glisser entre ses doigts et t'envoler alors que sa voix se fane, elle inclina sa tête pour venir contre ton torse, s'imprégner de cette aura qui l'appelait frénétiquement, la rendant quasi-sourde aux sollicitations extérieures.

«en tout cas... je suis très heureuse, en cet instant, je voulais que tu le saches.»

que tout ça, c'est pas des paroles en l'air.

lorsque la glace se répand doucement sur ses petites mains enlacées dans les tiennes, elle sursaute, tressaillit un peu, le contraire serait te mentir ; elle fait un pas automatique en arrière, joint ses deux mains pour les réchauffer et ne te quitte pas des yeux toi sa vision de l'esprit qui semblait bien trop merveilleux pour être réel, elle s'en étoufferait pour y exister pleinement, se noyer dans ton être et y renaître couverte de blessures peut-être.

et puis le contact se renoue, quelques phrases en l'air auxquelles elle ne répond rien, elle peine à respirer, elle suffoque un peu plus loin de toi et ne retrouve vie qu'à vos deux mains réunies. elle sourit à s'en décrocher la mâchoire, se fige au souffle contre ses doigts, et alors que la danse reprenait, elle interrompt vos mouvements ; de ses deux mains elle enlace les tiennes, les étouffe contre sa peau, et les porte à ses lèvres pour, à son tour, les réchauffer tant qu'elle le pouvait encore - et puis elle te sourit, Ace, dans toute sa candeur.

« t'as raison, ne pensons plus à tout ça. »

alors elle se replace en position initiale, serre un peu plus fort tes doigts contre les siens, et lie vos deux regards pour t'appeler un peu plus à te concentrer uniquement sur elle ; tout lui appartenir pour qu'il n'en reste plus rien le jour - la minute - où tu ne l'aimeras plus, même pas un tout petit peu.

« en fait, je pense pas à grand chose à part... enfin, j'veux dire... »

elle se perd un peu dans sa spontanéité, celle qui l'empêchait de réfléchir avant de parler, qui courrait depuis quelques jours chaque fois où elle te voyait, pour de vrai ou dans son esprit, celle qu'elle devait côtoyer pour ne pas perdre une chance, une seule, de faire partie de ton monde.

« j'ai envie de t'embrasser »

tout de suite maintenant, elle te le préciserait si jamais elle avait eu plus d'audace, mais il y a toujours ce risque, ce danger qui court que tu te lasses d'elle et ses sourires, son innocence, sa bêtise un peu aussi, et son égocentrisme ; celui qui ne régit plus sa vie depuis que t'es arrivé, puisqu'elle n'a plus le temps de penser à autre chose que toi depuis la nuit enflammée de vos échanges par téléphone - mais ça, elle pouvait pas encore te le dire.

« et de ma vie, t'es le premier pour qui j'en ai autant envie. »

elle rit un peu plus, serre tes mains pour se donner un peu plus de courage, t'empêcher un peu aussi de perdre le contrôle comme quelques secondes en arrière, ou te l'offrir amplement si t'en avais besoin.

« le reste, on verra après, si t'es d'accord. Après cette soirée, cette nuit. Après maintenant. Là je veux juste un moment avec toi. Que tous les deux. »

ses yeux ne quittent pas ton visage - elle rougit, elle le sait, et elle ne se cache pas.

« S'il te plaît. »

ses jambes menacent de s'effondrer à mesure que ton regard la toise entièrement, elle sent son corps entier se consumer mais elle avait décider de vivre ce soir - alors quand vos lèvres se heurtent et s'entrechoquent elle ne fuit pas et passe une main dans ta nuque pour t'attirer un peu plus vers elle, et entre deux souffles elle renouvelle le baiser, aux yeux de tous peu importait. sa respiration à peine retrouvée elle prend ton visage délicat entre ses mains froides et t'appelle encore - toujours.

« je suis à toi pour ce soir, cette nuit aussi. comme toi tu es à moi aussi. »

et après tout sera peut-être fini - la suite lui tord le coeur et coupe sa respiration mais elle n'en avait plus rien à faire entre tes bras ; et elle s'en mordrait sûrement les doigts, ce frisson qui la parcourait à mesure que les syllabes s'échangeaient, ce je-ne-sais-quoi qui rendait sa posture inconfortable tout en offrant la pleine ascendance sur elle toute entière ; mais elle n'en fit rien, balayait les idées noires d'un battement de cils et revint chercher un énième baiser au milieu de la foule hurlante - étrangement silencieuse dans votre intimité.

sûrement, les questions fuseraient dès le lendemain matin, peut-être même que son téléphone était déjà rempli de messages intrigués, qui savaient sans réponse jusqu'au lendemain matin, jusqu'à ce que votre nuit s'achève et le soleil redémarre un nouveau jour ; ce jour où tu ne l'aimeras plus, elle le sait presque déjà.

« j'ai le droit de visiter ta nouvelle chambre, monsieur le major ? »

et elle rit, sourit au creux de tes lèvres alors que ses mains ne lâchent pas leur prise sur tes joues, elle t'offre tout son bonheur de la soirée quand bien même son coeur se sentait déjà piétiné par ta présence dans sa vie ; surprenante et instable, c'était bien toi qui avait tout balayé sur ton passage. et inconsciente elle se perd sur ton chemin, te suit sans crainte sur le chemin qui la mènera à sa propre déchéance : ça aussi elle le sent et elle sait.

« et puis tu me laisseras dormir dans ton lit immense, quel honneur. »

à ton oreille elle vient murmurer l'autorisation dont elle se défait sans demander plus, elle prend tout ce que tu as à lui donner pour ce soir seulement, comme le marché a été tacitement conclu à vos lèvres scellées - c'était beaucoup trop simple depuis le début pour que le joli conte de fées se termine aussi bien.

entre tes mains elle se sentait vivre alors elle se laissait bercer par la musique et l'enchaînement des mouvements. Sa tête se perd contre toi son corps entier s'imprègne des effluves de parfum et ses yeux se ferment de temps à autre pour que la moindre seconde ne se dérobe pas - déjà elle sait qu'elles seront rares au lendemain.

dans l'ivresse de l'instant elle pourrait dire beaucoup de choses - des je t'aime en cascade quand bien mêmes ils sont irréfléchis, prématurés, et seront feuilles mortes dès l'instant où les syllabes auront franchi ses lèvres : alors elle se tait et serre un peu plus fort tes mains dans les siennes.

les sons s'arrêtent pourtant le brouhaha reprend, et elle se fige un instant à contempler ton visage, graver tous les traits dans sa mémoire pour y retrouver toutes les couleurs au petit matin, elle sourit l'innocente inconsciente et approche son visage de ton oreille.

« c'est l'heure que tu m'emmènes dans ton palais, mon Roi ? »

quand tu la jetteras hors des murs de ton palais elle s'en voudra pour tout ça son coeur se serrera et elle pleurera sûrement - elle s'y attend déjà et son épiderme frémit mais tout ça aussi, ça la fait vivre, et elle leur a promis : à Elior, Blanche, Eulalie et Elyas un peu aussi, elle a juré de ne pas reculer et d'exister au travers tout ce dont elle avait envie

ce soir c'était toi et personne d'autre
son unique pour des heures, une nuit, et si tu portais l'emblème de l'âme soeur dans son royaume elle pressentait que tout ça, c'était pas tout à fait vrai.

elle va chercher un nouveau baiser entre tes lèvres, entre vos sourires et déjà elle t'entraîne hors du monde pour la suite.
ce soir, elle te donne le droit de lui mentir si c'est pour lui montrer que tu l'aimes.