Au milieu du bleu, du jaune, du vert et du rose on se souvient de tout. On se souvient des courses au milieu des bois, de cette racine qui nous a accroché le pied une fois. On se souvient des séances de ricochet près de la rivière, du jardin secret. On a menti, tu sais. On a dit qu'on avait trouvé le bonheur passé les portes du collège, parce que sur les photos ça souriait. On a dit qu'on avait touché du doigt l'équilibre qu'on avait jamais eu quand on a commencé à devenir grand. Pourtant ça avait toujours été là. Au milieu des bois. Quand on sautait dans la rivière à pieds joints. Quand on se lançait de la boue pour punir l'autre d'un rire trop sonore, d'une phrase de trop. Depuis le début c'est là. On avait été si laids au point de ne pas oser se regarder dans le miroir, et pourtant. Pourtant quand on se regarde nous, ce n'était plus si moche comme tableau. Est-ce que tu t'en souviens ? Est-ce que tu l'as ressenti, toi aussi, cette impression de ne pas être au ras du sol quand c'était nous ? Est-ce que c'était pareil pour toi ? Tu sais, on s'est senti bête. C'était si idiot qu'on en a ri. Cette révélation face à laquelle on comprend que le meilleur avait toujours été là, qu'on avait cultivé nos plus belles fleurs pour l'autre, à chaque fois. Des années à se chercher, à se détester en silence, à se meurtrir le corps et le cœur quand on donnait tout ce qu'il y a de plus beau sans s'en rendre compte. C'est ce qu'elle aimerait te dire aujourd'hui, Felix. C'est pour ça qu'elle avait suée, fait naître dans ses mains cette part d'intimité. On était allé au plus profond de soi chercher ce qui brillait le plus pour le matérialiser et te l'offrir. Le crâne en était encore douloureux. Mais ça ne faisait rien.

Ça observe les gens qui dansent, la douceur du mois d'octobre. Il fait étrangement bon ici, petit cocon où se croise la joie et la timidité. Ça surprend quelques sourires timides entre des personnes chères, ça observe les amis du coin de l'œil, satisfaite de voir sa galaxie briller sans se ternir. Ça a dansé dans sa robe bleutée une bonne partie de la soirée. Cascade qu'on avait laissé rousse, couleur d'origine, bouclée et soigneusement coiffée. À défaut de pouvoir porter ce que l'on voulait, on s'était accessoirisée en conséquence. On avait accordé une danse à Pryam, une tradition vieille de la première année entre quatre murs. On était passé de bras en bras, Valéry pour rire un bon coup, Elior parce qu'on s'était promis de danser ce-soir, Elyas parce qu'on ne pouvait pas passer un bal sans valser au bras d'un de ses meilleurs amis. Sans doute Robin, aussi. On s'était glissé près de Gab pour la complimenter, on avait veillé sur Cosmos, saluée les filles de l'équipe à coup de grand sourire, même celle qu'on appréciait le moins. Ça avait regardé, l'heure, Felix, hâte d'en arriver à la fin, tout en sentant son cœur de plus en plus battre. Impossible de se savoir certaine de ce qu'on s'apprêtait à faire. En vérité, il y avait beaucoup de panique. Peut-être était-ce trop. Peut-être même que ce n'était pas assez. Compliqué de communiquer sur ce qu'on ne pouvait verbaliser. La demi-mesure, ça n'avait jamais été son truc.

Et quand le roi et la reine désignent leur cavalier, on réalise qu’il n’est plus question de fuir. Après tout, c’est un peu votre soirée. Elle t’avait laissé être le prince d’Agnès durant la pièce, elle voulait que tu sois le sien pour les trois prochaines minutes, avant la fin du Festival. Alors ça s’approche de toi, ça a le cœur qui bat déjà trop fort pour son propre bien, mais qu’importe. Elle est là juste devant toi, rien que pour toi.

« On danse ? »

Toi aussi tu connais la tradition, non ? On invite toujours le plus beau des garçons pour la fin.


 

@Felix Zepelin + Bal + Octobre 2029

Sourire.
Surprise.
Pensais-tu qu’elle n’allait jamais te le demander ?
Attendais-tu qu’elle le fasse ?
Elle t'accorde sa plus belle danse ce soir, celle qu'elle n'accorde à personne. Parce que la légende sonnait ô combien stupide (illégitime) à ses oreilles jusqu'à maintenant. Parier l'amour sur quelques pas rythmés quelle idée ? Elle qui s'est faite ragoûtante pour ne pas affronter la pureté, elle qui avait trop peur de ce sentiment que tout le monde chante. Parce que quand on est Aglaé, rien n'est jamais vrai. Mais quand on est toi, rien n'est jamais vrai non plus, hein Felix ? Et c'est pour ça qu'on s'assemble, pour ça qu'on s'est cherché si longtemps. On a redouté la vérité des années durant, peur de voir son plus grand espoir être bien laid au final. On avait perdu tellement de temps.
C’était loin d’être laid.
C’était même putain de beau.
Et elle s’était demandée, tu sais, pourquoi n’avait-elle pas eu le courage de tomber amoureuse de toi plus tôt. Elle s’était demandée pourquoi avoir perdu tout ce temps à fuir quand l’évidence est tellement forte qu’on ne peut voir plus qu’elle. Tu brilles Felix. Dans ton costume elle trouve que tu es le plus beau d’entre tous. Et on aura beau lui rappeler que son copain est une tête de con, on aura beau la charrier en lui disant que ça ne tiendra pas parce que vous êtes aussi gamins l’un que l’autre, elle n’en aura rien à foutre Aglaé. C’est toi et elle. Elle et toi.

« C’est pas tellement une question. Je te donne ma dernière danse. »

Brutale Aglaé. On se dresse comme d’habitude sur l’autel de la fierté. On fond de l’intérieur mais on continue d’avoir la tête haute à te défier du regard. Jeux de l’enfance qui n’ont pas de fin. Et elle sait que ce n’est pas grave, que si les mots sonnent autoritaires, le regard supplie qu’on s’oublie dans les bras de l’autre juste quelques minutes. Ta main dans la sienne elle sent son cœur rater la reprise. Plus aussi grande, Aglaé, qui se laisse entraîner à travers la foule. Tu pourrais l’emmener au bout du monde qu’elle se laisserait faire, la légende lui semble d’un coup beaucoup moins stupide.

Parodie de savoir vivre et de galanterie qu’on exécute en riant. Jolie révérence qu’elle te fait, en prenant soigneusement les bords de sa robe bleutée pour te saluer. On se souvient d’une époque où on regardait les grands faire, on avait tout pareil imité les aînés pour se moquer. À se glisser des beurk en voyant les corps se toucher et les lèvres se joindre. À dix ans on préférait se battre pour camper dans la chambre de l’autre en prétextant qu’il n’y avait jamais rien. Aujourd’hui on fait comme les grands de l’époque. Aujourd’hui ce n’est plus aussi ragoûtant. Glisse une main dans la tienne, entremêle les doigts dans un sourire alors que la seconde trouve ton épaule. Tu lui demandes de ne pas trop te marcher sur les pieds, à ça elle ne peut que répondre :

« Je ne te promet rien. »

Et ça te dévore du regard, Felix. Elle n’ose pas te dire qu’elle a rêvé cet instant des jours durant. Faire comme les grands. Est-ce que tu te souviens du sens de cette danse, Felix ? Est-ce que tu trouves toujours ça stupide ? Est-ce que tu commences à y croire, toi aussi ? Les doigts qui pressent un peu plus fort, encore. On danse notre dernière danse, Felix.

« T’es beau, ça te va bien le costume. »

On se souvient d’une époque où on rechignait à passer les robes de princesse, parce que c’était trop la honte de ne pas jouer les garçons avec toi. On avait tellement l’habitude de se battre et de se hurler dessus que ça faisait étrange, bizarre, de redevenir la princesse coquette qu’on a toujours été un peu au fond. Et ça sourit en repensant à tous ces bals, à celui de ce soir. On avait vu cet évènement presque une dizaine de fois. Pourtant ce soir rien n’avait son égal. On s’est entraîné des jours durant à faire une belle pierre alice. On pourrait la faire naître dans ta main dès maintenant. Mais timide Aglaé, n’ose pas encore t’achever. Pour le moment elle se contente de chercher ton front, murmure au bord de tes lèvres dans un sourire complice.

« Mmh… C’est que tu es devenu bon danseur. Je vais peut-être t’embarquer dans ma chambre pour te voler d’autres danses. T'as rien de prévu après ? »

 

@Felix Zepelin + Bal + Octobre 2029

« Alors tu préfères les robes de princesses aux mini-jupes ? Intéressant. »

Sourire sur ses lèvres, Aglaé. Lueur de jeu dans le regard, car même en imitant les grands on n'oublie pas vos reflets d'enfants. Pour toi elle ira revêtir les plus beaux tissus si ça peut te faire plaisir, si ça peut préserver cette lueur si particulière dans tes yeux. Parce qu'on se sent belle, le sais-tu ? Si belle, mais pas comme avec les autres. Si belle, parce que c'est toi. Un regard nouveau sur soit même qu'on ne voit qu'à travers toi. Si souvent elle avait lu dans les yeux des gens, Felix, le désir, l'envie, la jalousie, la haine et le dégoût, Felix. Parfois elle avait pu capter la tendresse de l'amitié, la fierté des proches. Mais ça, jamais. Dans tes yeux y a des joyaux, des galaxies nouvelles. Il y a des étoiles qui dansent, un sentiment d'appartenance. On s'accroche à ton ciel pour y prendre la plus belle place, place qu'on s'accapare jalousement parce qu'elle a si peur de perdre son piédestal, Aglaé. Se sent magnifique de cœur et pas seulement de peau. Parce que tu avais eu raison, Felix. Ce jour-là, dans le miroir, on avait été beaux ensemble et monstrueux seuls. Sers un peu plus tes doigts, accueille ta peau contre la sienne. Y a un univers dans ton regard, Felix, le plus beau qu'elle ait jamais vue.

S’extasie de tes pas de danse, Felix. Mouvement fluide et grâce qu’on aurait jamais soupçonnée chez toi. Et t’arrives encore à la surprendre après bientôt dix ans à s’observer de près. Et on se demande, Felix, tout ce qu’il reste à découvrir de toi, tous ces mystères qui portent ton nom dont on ne connaît rien. Grisante sensation de comprendre que même en se connaissant par cœur il y avait encore de l’inconnu. Grisante sensation de commencer à rêver le jeu de piste de ton corps, pour connaître dans les moindres détails toutes tes subtilités même les plus insoupçonnées. Ferme les yeux l’espace d’un instant, Aglaé, pour profiter de l’instant, s’en imprégner. On ne veut rien oublier.

Bride de philosophie entre les quatre-temps, on peut se permettre de penser puisqu’on n’a plus à regarder nos pieds. Souffle un rire face à tes questions, Aglaé même castratrice sait laisser des options. Dernière danse qui n’a de dernière que le nom, parce que Felix jamais on ne veut que s’arrête. Danser jusqu’à n’en plus pouvoir, parce qu’on s’en fout du monde, s’en fout du reste, tant de pas perdu à observer ceux des autres, on voulait rattraper tous les mouvements manqués, maintenant.

« Je ne sais pas, jusqu’à maintenant je pensais que tu préférais taper dans des sacs que danser. »

Tu te souviens de la fois où tu as tapé dans le siens ? Elle avait tant hurlé qu’on avait cru voir les vitres se briser. Le feu de son regard était furieux de jour-là, celui d’aujourd’hui est tout aussi intense… Mais il n’a rien à voir. Et ça pétille Felix. Tambour du cœur qui ne cesse de croître. Compense l’absence furtive de ton regard en l’accaparant davantage. Sourire plus joueur mais timide. C’était la dernière danse de la soirée mais la première d’une longue lignée. Et là contre ta peau on veut jurer que c’est acté. Qu’on t’a bien entendu, Felix. On a reçu tes messages. Comme la dernière fois.

« Continue de danser, j’ai quelque chose pour toi. »

Dérobe ses doigts de tes étreintes pour te tenir la main.
Ferme les yeux, ce front contre le tien.
Et ça continue de danser, Felix, un deux trois, un deux trois. Mais à mesure qu’on valse on sent se durcir quelque chose sous la paume, Felix. Quelque chose de chaud. De loin on pourrait croire qu’elle se repose sur toi, seulement son froncement de sourcil concentré trahit le labeur en cours. Le cœur battant, se rappeler de l’émotion qu’on y avait mis la première fois, des images qu’on y a intégré la première fois. Alors que ça grossit entre vos paumes, Felix. Forme chaude et lisse peut-être devines-tu déjà ce qu’elle créer.

Des images de ce jour à la rivière, à la sortie des primaires, trempés de la tête au pied. Et ça grossit.

Des images de ce soir d’orage, à te dire que tes peurs lui serait toujours graves. Et ça grossit.

Des images de cette fois où on est allés boire pour la première fois, finit dans les rues de central town à observer les étoiles et s’extasier sur cette constellation en forme de pinte. Et ça grossit

Des images de cette course dans les gradins, où après t’avoir fui par pudeur on avait tout compris. Et ça grossit

Des images des reflets dans le miroir où on avait tant aimé qu’on t’avait haït. Et ça grossit.

Des images des ricochets dans la rivière, se réconcilier tout comme à la première dispute, en face du lieu de votre premier affrontement, à goûter tes lèvres dans le creux de tes bras. A dire c’est à moi. Et ça grossit.

Des images des caresses sous les draps, à te faire écouter la cassette de sa voix brisée d’autrefois. Pour finalement te dire je t’aime et te dire que c’était derrière ce mot-là qu’on allait graver nos noms. Et ça grossit.

Ouvre enfin les yeux, Aglaé, mais n’ose pas croiser ton regard tout de suite. Fixe ses chaussures, petit cœur chaud, lisse et pastel caché entre vos paumes. Et ça te murmures, Felix.

« J’y crois un peu à la symbolique… »

 

@Felix Zepelin + Bal + Octobre 2029

Respires, Aglaé, respires avant de rater la reprise tellement ça bat en dedans. Fixe les pieds, qu’on se sent petite tout d’un coup. Si tu savais, Felix, comment le cœur à nu ça impressionne plus que tout le reste. Les pluies de coups de l’enfance, toutes ces fois où on frôle de se marquer la peau par excès de rage ou d’héroïsme, ce n’est rien face à toi. L’orage qui gronde, les éclats de lumière vengeresse qui déchirent le ciel pour faire tout trembler en dedans, ce n’est rien face à ce qu’on te dit maintenant. Les hurlements, toutes ces fois où l’on se déchire et s’écorche de nos maladresses et nos égos, de ces éclats de miroir du passé qu’on chéri et du futur qu’on voudrait projeter, tout ça, tu sais, ce n’est rien face à ce qu’on ose te montrer. Pierre solide qui pourtant bat au même rythme que le cœur affolé de sa créatrice. Respires, Aglaé, respires pour ne pas chavirer. La peur d’en avoir trop dit, trop dévoilé d’un coup, si peur de te décevoir, de te faire peur, de t’imposer une responsabilité dont tu n’as peut-être pas envie. Respires, Aglaé, respires, t’as tellement l’air d’un géant en cet instant, Felix.

Et ta main qui presse alors que les mots s’étranglent, c’est ce qui fait relever la tête. On ose lever le regard intimidé sur ton visage si redouté. On appréhende de voir tes ciels se voiler de peur, Felix, on sait à quel point ça peut faire peur d’entendre de quoi un cœur bat vraiment. Pourtant tes étoiles ne sont pas moins étincelantes. Ça brûle dans ta paume d’une chaleur qu’on a jamais sentie avant. T’as l’air d’avoir réalisé quelque chose, Felix, massue de la vérité sur ton crâne, dans ton regard y a la leur révélatrice des grands inventeurs et on se demande de quel genre d’illumination t’as été béni.

Toujours aussi petite, Aglaé, mais on reconnaît tes marques, tu t’insultes encore, Felix, incapable de te dire beau. Pourtant t’es magnifique, tu l’as toujours été. On t’as jamais dit qu’on voit les éclats pailleté sur ta peau depuis le premier jour. Qu’on a vu ta joie le jour où on s’est serré la main pour promettre qu’on ne se ferait plus la guerre, le jour où tu l’as porté sur ton dos quand les défis allaient trop loin et que la petite fille faisait craquer le masque furieux de son égo. On t’as observé en rougissant quand tu dormais, t’avais promis de pas lâcher la main et toute la nuit tu l’a tenu quitte à avoir mal au bras. On a vu comment tu étais sublime quand dans l’horreur de l’orage tu serrais fort et disait qu’on n’était pas si horrible que ça. Et ce soir encore, Felix, on ne voit que les éclats de beauté sur ta peau. Quand on pose une main sur ta joue, alors que nos étoiles elles dansent ensembles dans les yeux.

« Je te crois. »

Tes lèvres sur les siennes, on se perd. Ne réalise pas tout de suite l’ampleur de ce qu’il se passe, de ce que l’on vient de se promettre. Est-ce qu’amour sonne avec toujours pour toi aussi ? Il lui semble, tu sais, qu’elle pourrait te dire que ça a toujours été toi, que ça sera toujours. Et la pierre toujours chaude la main. Embrasse tes lèvres, se serre contre toi. Le monde autour elle s’en fout, ça ne compte pas. Et Léonard pouvait bien aller se faire foutre avec ses prédictions, c’était toi et elle contre le reste du monde.

Léger rire quand on quitte la douceur de ta bouche pour gagner celle de la peau. Cette même main sur ta joue on prend le temps d’écouter les tambours du cœur.

« Je veux te faire confiance. Je sais que… Que ce n’est pas simple pour toi, qu’on a beaucoup à apprendre mais je veux te dire, te montrer avec ça qu’on peut apprendre ensemble. Qu’on peut gaffer ensemble et que ce sera jamais un problème parce que t’es pas un problème Felix, t’en a jamais été un. »

Les mots ça se perd, ça s’entrechoquent qu’on ne sait plus si ça fait sens. La gorge aussi nouée que toi.

« Je suis désolée d’avoir été aussi longue… Je suis désolée d’avoir dû avoir peur de te perdre pour assumer ce que je voulais vraiment. »

Et on se promet en fermant les yeux alors que les doigts caressent la peau que plus jamais.

« Je t’aime. »

Et ça sonne avec éternel.

 

@Felix Zepelin + Bal + Octobre 2029