derniers soupçons d'insouciance elle est volatile comme la poudreuse, recouvre tous les reliefs et harmonise
rend l'hiver nébuleux
c'est comme un rêve
le réveil au tournant jaja voudrait fermer les yeux encore un peu
ferme les yeux au milieu de l'effervescence au creux de l'encéphale il neige aussi ça étouffe les bruits ambiants
en tailleur sur un banc des flocons dans les cheveux
blanc sur noir
il laisse le monde s'agiter autour, les mains dans les poches le bas du visage emmitouflé dans l'écharpe
les lippes contre la laine pulse du souffle chaud - on sent plus le froid.

c'est comme en suspens ces derniers temps
les derniers temps d'être un enfant on se fait tout petit
pour dire au monde oublie oublie
oubliez-moi ici au pire c'est pas bien grave
on n'est pas si mal, ce n'est pas si mal de fermer les yeux sur ce qui pèse dans l'estomac, la turbulence sage comme une image on ne détestait pas - ah si seulement il pouvait rester là
à t'attendre à l'infini
au cœur du marché des fêtes de fin d'année.

mais tu vas pas tarder à revenir Colline
et jaja pourra faire son dernier caprice de môme
avant de devoir braver les dangers
(tu ne sais pas mais il a déjà donné son accord
pour grandir trop vite).

vapeur de chocolat et de lait écrémé
émane des stands décorés de givre, odeur de sapin
jaja tous les sens en éveil
recouvre la vision et rouvre les paupières sur les décors festifs. cherche dans l'agitation glacée des touches de vert
avant de te voir au loin
un gobelet dans chaque main - il espère que tu t'es pas trompé avec les parfums colline, que c'est bien marqué dessus - t'as l'air si soucieux.

et jaja l'air de rien, sort de la poche du manteau le dernier cadeau de tabasco, les lunettes pour voir au travers du monde il les met sur le nez pour t'observer arriver
le geste candide, comme pour vérifier si ça marche bien
si avec les verres rayons x on verra au travers de ton esprit tous les mécanismes qui s'inquiètent - que ce serait chouette de discerner ce qui tracasse les autres avec ce genre de gadget.
mais non
tout ce qu'on voit c'est le factice des décorations
que les marmottes sont fausses et que les traineaux c'est du toc.

le cœur se serre un peu - c'est la faute au gel
rien que le froid
et lorsque tu t'arrêtes finalement devant lui, jasmin retrouve des airs de son âge
esquisse un sourire un peu mesquin.
grâce à mes super lunettes j'ai vu que t'avais rien dans la tête colline !
étouffe un rire condensé de vapeur
avant de tendre la main pour récupérer la boisson sucrée que tu apportes
s'y réchauffe les doigts.
bon
on va m'acheter la ds après??
rongé d'impatience
on n'a plus beaucoup de temps colline.

coup sourd sur la tête trop pleine (de questions plus que de réponses)
fait cligner des yeux et jaja se renfrogne - c’est toujours aussi farouche Colline
tu vois, qu’il est encore là
l’enfant de son âge.
et c’est un peu scandaleux ce que tu dis, à lui qui oscille entre trop grand et trop petit tu remets en question tous les fondements et c’est aussitôt qu’on réplique
qu’on est pas un gamin mais un peu quand même.
y a pas d’âge pour jouer à la ds tu comprends rien.
en tailleur loin d’être à ta hauteur on lève le menton pour se grandir et regarder dans les yeux, toise comme s’il n’y avait aucune différence d’âge
jaja dévisage toujours sans ciller, ça non plus ça n’a pas changé.
et oui je veux vraiment ça, mais pas pour noël j’t’ai dis
pour te faire pardonner de l’autre fois.
celle où t’as fait tomber plus bas que terre, Colline
alors qu’au fond on sait bien que de tous les grands c’est toi le plus honnête.
et jaja coupe court au débat, noie la moindre réplique dans le chocolat chaud,
sirote à peine au début pour pas se brûler mais la première gorgée
c’est douloureux.
difficile à avaler parce que c’est un caprice, qu’on te fait
jaja n’est même plus en colère,
ça fait longtemps que c’est paisible en dedans malgré les sourcils froncés.
baisse les yeux d’entendre qu’on te met en difficulté, au pied du mur
il se dit un instant que c’est comme ça et pas autrement. pas le choix Colline
c’est fini d’être conciliant.
mais ça le peine tout de même de t’obliger à faire compromis et silencieux jasmin songe à ce que tu dis, fixe un point au sol entre toi et lui
pensif, finit par laisser la contrariété gagner les traits tirés
c’est un peu terne derrière les lunettes.
bah
j’avais prévu de participer aussi, j’économise. c’est juste..
coco elle en avait une mais on se voit plus trop à cause des devoirs,
et j’aurais bien voulu qu’on joue avant - hm
avant que j’ai plus l’temps,
j’sais pas.
mais si tu veux pas Colline tant pis
de toute manière on est bien décidé à grandir.

les paroles sages pour contrer celles aux allures immatures de jaja
mais colline c’est pas ça
il t’a dit - c’est pas une question de cadeaux de noël, on en est plus à un stade aussi enfantin. c’est pas de cet épuisement là qu’on se voit
mourir demain
(ou après-demain).
les deadlines sont bien plus précises.
et jasmin ne répond pas tout de suite, les songes comme noyés dans le chocolat chaud qu’on tient devant soi il se dit
qu’il ferait mieux de se taire et jouer au gamin trop idiot qui comprend mal, qui comprend mieux maintenant que t’explique. et puis passer à autre chose. trouver une autre idée de cadeau à exiger, ou même
laisser tomber l’envie de te tourmenter un peu.
les épaules frêles se haussent et on inspire
l’air froid
pique de cristaux de glace le cœur qui bat
encore.
demain et après-demain je m’en fais pas, je sais que ça ira
y a rien de prévu ces jours-ci.
c’est un peu plus loin que ça
mais pas trop non plus, Colline.
les dents malmènent les lèvres gercées et même si l’on tient du brûlant entre les doigts on est frigorifié tout à coup.
j’voulais juste jouer à la ds avant de partir avec le reste de ma classe la semaine prochaine.
tu vois
que ce n’est pas si loin que ça -
forcément que jaja compte les jours.

la peine de jaja elle est loin, quand on y pense ça fait longtemps qu’on a pas été triste Colline, la dernière fois
qu’on a pleuré
c’était dans les escaliers après avoir froissé les petits mots d’insultes glissés dans les casiers. avant ça c’était en face des boîtes aux lettres vides avec heather, devant toi et la vérité à la clinique, et puis au creux des bras de cosmos
quand on a réalisé que tout ça nous rendait triste. mais depuis
depuis on pleure plus - terminé les sanglots
ça empêche trop de voir clair lorsqu’il faut avancer.
le voile terne sur les prunelles c’est peut-être parce que ça fait longtemps justement.
mais jaja éclaire
se redresse tout à coup pour tourner des œillades qui se veulent assurer vers Colline qui menace de s’énerver.
non - non ! c’est moi qui ai choisi !
et peut-être
peut-être que ça te mettra d’autant plus en colère
qui sait Colline - peut-être que c’est des erreurs qu’on fait
mais il ne reste que ce sentier à jasmin pour espérer voir dehors avant demain.
je me suis inscrit pour la prochaine sortie
j’ai dis oui.
comme on parlerait
de ce que l’on a commandé à noël.
c’est pour ça colline, qu’on souhaite ajouter un peu de légèreté à la liste de ce qui nous attend.
pour ça que même à bientôt douze ans
on commande encore des consoles à noël.

incendies coupables au cœur de l’hiver
les flammes embrasent le petit visage tout à coup
jaja honteux d’avoir exposé les vœux au grand jour
car tu le regardes comme un condamné, Colline
il ne comprend pas pourquoi.
pourquoi tu le toises comme s’il était responsable de hautes trahisons,
ça résonnait pourtant tellement juste et vrai dans le cœur quand c’est apparu à la surface des songes, cette conclusion-là.
.... bah.
et jasmin auparavant, un peu plus un enfant qu’aujourd’hui
se serait insurgé qu’on dénigre ses grands plans d’évasions. c’est le meilleur qu’on ait jamais eu tu comprends, c’est celui en lequel on croit le plus,
sur lequel on a passé tellement de temps. c’est pas des cartes annotées et coloriées au crayon de couleur - non -
c’est sérieux Colline, c’est des plans de grand
au stylo - l’encre c’est pour de bon.
bah si, j’ai fait ça.
mais on ne s’indigne plus
que tu ne comprennes pas la vision qu’on peut avoir à l’âge de Jasmin.
ça fait presque aussi longtemps que vous êtes là
lui et toi
mais à l’échelle de la vie de jaja ça fait désormais plus de la moitié
et il commence à faire long
le temps passé ici.
c’est le seul moyen Colline. toi tu t’en fiches
tu dis que t’es impatient de sortir mais avoue que tu t’en fiches que ça prenne deux ou trois ans.
moi si j’attends ça fait loin
ça fait trop loin, j’ai pas envie d’attendre.

alors j’ai dis oui et j’irai la semaine prochaine
et j’aurai une deuxième étoile
et je te ferai plus chier pour cotiser pour m’acheter la ds.
c’est comme ça Colline
on revient pas sur les mots - de toute manière jasmin a déjà écrit son nom
à l’encre, impossible d’effacer.
et il met un point
se tait et boit en silence son chocolat chaud -
ça commençait à refroidir le temps qu’on parle.

c’est fini de pleurer on a dit
terminé les larmes on a promis
mais quand tu dis oui colline c’est tellement désavoué, si mal enterrée les peurs et jaja c’est celui qui s’y connaît le plus en botanique - pas besoin de ses super lunettes - au travers du vert tendre des cheveux on voit bien que dans les yeux c’est triste
à en mourir.
et la gorge se serre
et le chocolat est amer
comme si tu lui avais offert du café noir noir noir
pas une trace de sucre
quand tu dis oui.
mais on a juré de plus pleurer Colline
alors quand on lève les yeux vers toi comme pour vérifier si tu dis vrai et qu’on a la confirmation que tout ça est bien réel jaja inspire
fort
pour ravaler tous les débuts remords,
inhume, sûrement aussi mal que toi
mais après tout jaja a ses super lunettes
et à l’inverse de son point de vue on discerne sûrement mal tout ce qui se déroule dans ses prunelles à lui.
tant mieux tant mieux
on est pas venu ici pour sangloter
jaja voudrait il n’est pas sûr d’y arriver de toute manière
et puis
tu as dis oui.
alors de sous la neige émerge les restes d’euphories
survivants à l’hypothermie, ça bat encore sous les mailles du pull et du manteau
on a bien le droit de se réjouir encore

on n’a jamais promis de ne plus sourire, Colline.
on m’la fait pas c’est sûr que t’as assez ! t'as les moyens d'avoir les cheveux verts alors ça sert à rien de mentir.
et je veux pas la 2ds hein,
je veux celle avec la 3d !
pour voir en relief des couleurs plus vives encore
allez promet aussi Colline -
c’est fini de pleurer.

parle de temps Colline les aiguilles ne se sont jamais arrêtées tu sais celles des secondes a déjà fait vingt tours et moque celle des minutes qui avance elle aussi à son rythme
ça ne fait jamais de pause pour respirer.
mais lui et toi il fallait bien reprendre des souffles
souffler certains mots et depuis jasmin respire mieux,
on oublie la trop faible constitution encore un peu frêle pour douze ans
elle aussi peine à rattraper les années mais elle y va
on arrivera bien à être grand un jour.
et déjà jasmin se lève, comme monté sur ressorts dès qu’il est question de retrouver rien qu’un peu les jeux - ça fait longtemps qu’on s’est pas amusé colline
aujourd’hui sous le signe des sourires candides, ils refont surface
réveillé par l’après-midi passé avec toi
ils se font railleurs.
moi je t’attends depuis tout à l’heure hin !
toujours à attendre ceux qui ont l’âge de prendre le temps mais ça fait rien ça fait du bien aussi des fois de pas vivre trop rapidement,
même si on mord encore la ligne de départ - abandon des gobelets, le tiens qu’il te prend des mains et le sien pas tout à fait terminé dont on se débarrasse proprement - jaja fait souvent l’impasse sur tout ce qu’il y a de sucré en ce moment
mais il veut vraiment
se remettre en marche.
tient plus en place, lorsqu’on reprend là où on s’était arrêté pour se mettre en direction des accès au marché de noël et quitter son effervescence
il a du mal à ne pas prendre de l’avance
s’efforce à caler le rythme des pas sur les tiens même s’ils vont plus loin
les siens vont plus vite.
synchronise secondes et minutes pour qu’on vive un peu à l’instant.
et avec les sourires reviennent les pourquoi
typiques de jaja.
... n’empêche je comprends pas
t’as deux étoiles colline t’es pas trop loin des trois et de plus encore.
pourquoi t’essayes pas ? tu voudrais pas aller dehors quelques fois avant de partir pour de bon de l’académie - ça te dérange pas d’attendre ?
on a vraiment du mal à saisir colline
c’est si désagréable de se languir
comment tu fais ?

ma maman.
réponse immédiate d’enfant
fait rougir d’embarras tout à coup et jaja pique du nez pour voir les pas qu’on laisse dans la neige
fixe ses pieds
les empreintes sont petites encore c’est pour ça que le cœur parle trop vite
et il enchaîne aussitôt pour que colline n’attrape pas aux vols les répliques trop frêles
les mots faibles il en choisit des plus solides.
enfin je crois que ma mère m’attend, je sais pas, peut-être qu’elle fait la gueule parce que la dernière fois qu’on s’est vu je me suis trop mis en colère
mais ça fait longtemps alors
j’espère qu’elle m’en veut plus.
les dents malmènent les lèvres qui laissent trop passer, même si on sait que jamais tu trouveras les craintes enfantines ridicules colline - toujours tu écoutes d’une oreille attentive et jaja aime bien trop en dire parfois car il sait que c’est accueilli.
après tout, jamais on t’a vu piétiné des parterres
ni arracher des fleurs.
quand tu t’agaces c’est jamais à plus petit que toi que tu t’en prends,
pour ça que parmis les grands tu es un de ceux à qui on fait le plus confiance.
écoute quelques secondes la neige sous les pieds
et puis jaja reprend.
toi - je sais que tes frères et sœurs c’est pas vraiment tes frères et sœurs mais du coup vu que vous avez tous le même nom de famille c’est que vous avez les mêmes parents techniquement.
vous allez aller les voir à la sortie ?
toi qui vois plus loin que lui
raconte ce tu aperçois derrière les grilles Colline -
dis-lui qui c'est ?

des évidences au travers des prismes incrédules, clair comme de l’eau de roche
jaja hausse légèrement les sourcils tandis qu’il relève le nez vers toi tellement c’est si peu des doutes que tu provoques - quasiment toute la vie c’est immense
déjà que la moitié ici s’apparente à du sempiternel
alors presque l’entièreté c’est abstrait tant c’est grand.
oh.. bah oui si il s’est occupé de vous tout ce temps là faut aller le voir, c’est qu’il vous aime comme ses vrais enfants !
et l’absence de courrier c’est pas important
s’il y a toutes ces années là, les coucher sur le papier c’est un détail, on n’aura sûrement pas la place.
l’âge de savoir lire, peut-être pas entre les lignes mais de lire quand même,
jaja se dit que tu as du avoir le temps de déchiffrer tout l’amour que c’était
surtout si tu as pu rester aussi longtemps dans cette maison c’est que c’était la tienne.
et sa maison
peut-être aussi
mais quand tu parles d’une porte ouverte jaja ne se souvient pas avoir lu quelque part que ce serait le cas tu sais
on s’est si peu parlé les derniers instants ensembles
plutôt crié dessus et puis des hurlements incohérents
jaja n’est pas sûr d’avoir entendu le moindre je t’attends.
je sais pas colline
je me suis vraiment vraiment mis en colère tu sais..
scandé des suppliques à s’en brûler les poumons trop comprimés ils crevaient juste d’avoir rien qu’un peu plus de place pour s’étendre, vivre
et étriqués dans la cage
à trop grandir les jolis oiseaux s’arrachent les plumes - on aurait peut-être fini par couper les ailes pour garder plus longtemps enfermé..
il voulait juste tellement
aller jouer dehors colline, tu comprends ?
je crois que je lui ai fait beaucoup de mal.
mué d’instinct de survie, de peur de mourir étouffé dans la maison mortifère
ses bras trop serrés lui manquent
c’est encore pire les jours de neige.

on sait pas
on est pas aussi sûr que toi colline
jaja a beau pouvoir réparer tous les os ceux de maman on a pas su
pas eu le temps c’est allé si vite
quand on l’a arraché des griffes brisées en mille.
jaja a juste assisté aux enlèvements d’elle et puis de lui, sans jamais savoir où on l’a conduit. si on a bien pris soin d’elle, plâtré tous les morceaux et veillé à ce qu’elle se rétablisse même si ça pouvait prendre des années.
il espère
prie silencieusement dans ses songes d’enfant qu’on a eu la patience d’attendre qu’elle se rétablisse et qu’elle marche de nouveau aujourd’hui. sur les deux pieds, comme avant
dans la petite maison dont on sortait si peu - presque jamais - au moins
il y avait toujours de la musique et souvent à défaut de laisser vivre
elle faisait danser.
tu penses ?
qu’on n’a tué personne ?
les gens dont le cœur bat toujours ils donnent des signes de vie pourtant
ils respirent
pensent et font des rêves
écrivent des lettres parfois.
mais toi tu dis pas besoin,
pas besoin d’épistolaire pour relier les cœurs, y croire c’est déjà suffisant
si on y croit suffisamment les gens qu’on aime ne meurent jamais.
la preuve
toi tu fais dévaler des volées de marches à certain et ils tiennent encore debout.
et les cheveux en vrac jasmin retrouve des sourires
éparpillés pas bien certains mais bien les siens
c’était juste là sous la neige, on ne voyait pas à force de trop regarder ses pieds
plutôt que toi.
j’en reviens pas que t’aies fait ça.
t’as un peu un grain colline.
ou alors ton frère c’est le pire de vous et je sais pas si c’est mieux...
peut-être un peu des deux. des airs d’hésiter
mais c’est rien que pour déterrer l’espièglerie et la réchauffer un peu au creux de vos cœurs
faire repartir le vivant.
ça va je te charrie
j’m’en fous que tu sois un peu fou des fois
puis moi je trouve pas ça fou.

j’pense que tu ressens un peu trop fort et à des moments c’est trop à garder pour toi
mais y a rien de grave là-dedans je crois.
on avance de la même façon
sur ces sentiers-là.