qu'on presse le pas ou non ils sont silencieux les couloirs, tous les sentiers qu'on parcourt, c'était comme y être une ombre
car tout le monde sait, désormais
qu'on a rarement le temps de s'y attarder.
et il n'y a bien que les roses et les œillets
qui bruissent au creux des brises
ils sont les seuls à lui rappeler son nom
ils disent - bonjour Jasmin
bien plus discrètement que les copains.

écoule les heures du dimanche au cœur du Grand Parc, c'est là qu'il erre en attendant lundi et ces dernières semaines les week-ends lui semblent long. avant, on n'avait pas assez de temps pour s'amuser d'abord, et puis pour étudier ensuite. mais c'était comme si le printemps avait du retard et que les secondes s'étiraient
et Jasmin n'ose plus demander aux amis
leur compagnie pour accélérer le sablier.
il a trop de fois répliqué non
pour dire oui aujourd'hui.

alors à l'abri des magnolias on lit,
en tailleurs à même le tapis d'herbe tendre -
se dit qu'à force d'être assis là
on pourrait se confondre aux fleurs
et peut-être qu'à ce moment
enfin, on dirait à haute-voix
"voilà du jasmin".

Jasmin, scandé au loin, fait sursauter et lever les corolles pâles du petit visage tout à coup - on l'a appelé ? identifié la couleur des pétales pour de vrai ? et le cœur bat fort à l'idée d'être cueilli
par celui qu'on reconnaît aussitôt
cette plante-là, c'est bien toi
O-Owen !
Jasmin t'appelle tout pareil.

ferme aussitôt le livre qu'il tient et pose au sol il voudrait presque le faire disparaître dans la terre meuble tandis que tu le rejoins, parce que c'est pas marrant la lecture et il redoute
il redoute que tu le trouves ennuyeux
comme tous les grands dont on se moque parfois.

fébriles, les doigts se pose sur le quatrième de couverture au moment où tu arrives, drôle d'euphorie que de te voir elle fait fleurir des sourires incontrôlables,
Owen, longtemps c'est minuscule comme mot
on pourrait dire une éternité
ça fait un giga bail même !
qu'on répond malhabile -
... ça va ?
on a presque oublié comment c'était
d'avoir douze ans avec toi.
tu... t'es tout seul aujourd'hui ?
c'est rare.
Jasmin aussi
mais c'est commun
presque normal.

paradoxe à vos âges, désempare à se voir s'adresser à l'autre comme si l'on était de vieux amis alors qu'il n'y a pas plus jeune que toi et lui
Owen, tu le dévisages comme si tu l'avais cherché des mois, et pas seulement toute la journée d'aujourd'hui - c'était peut-être un peu le cas - et Jaja se sent honteux tout à coup de ne pas t'avoir aidé à le retrouvé.
il s'était un peu perdu lui-même il faut dire.
balbutie à l'idée que tu puisses te faire du soucis
si jamais lui en avait quelques uns,
il secoue vite la tête pour dire non !
non non tout va bien, j'ai pas-
je vois pas pourquoi j'aurais des problèmes.
on n'en a jamais eu aussi peu que ces derniers temps
du moins, des problématiques d'enfant -
et en y songeant, il remarque
que ça lui manquait presque
d'avoir des ennuis.

des ennuis, on ne veut pas t'en amener
Owen, on ne veut pas que tu t'ennuies,
risquer de te faire bailler aux corneilles
c'est hors de question.

alors du plat de la main il cache la couverture du livre qu'il lisait, appuie presque comme pour faire disparaître dans l'herbe et puis sous terre - le Jasmin que tu connais n'est pas du genre à s'étaler sur la littérature,
c'est un truc peu palpitant d'adulte, ça.
rien, on m'a prêté un bouquin mais
c'est ultra chiant, j'accroche pas.
c'était faux -
mais c'est ce que quelqu'un d'insouciant dirait.

et comme d'habitude lorsqu'on te retrouvait c'était l'heure d'annoncer tous les enthousiasmes du moment, Jasmin fait l'inventaire rapidement, les lèvres entrouvertes prêtes pour les bonnes nouvelles -
titube et hésite car
il n'y a pas grand chose
qui accourt pour franchir.
coupe tout de même court au silence -
t'as vu j'ai gagné ma deuxième étoile !!
un peu trop extatique alors que tendre le cou pour montrer les broderies au col de la chemise prouvait bien qu'on s'était un peu trop assagi.

dans un coin de l'esprit de Jasmin,
il y a une petite voix qui dit
tu vois Owen, c'est bien la preuve
qu'avec moi désormais on s'ennuie.

déglutit pour ravaler les craintes, il embraye.
ça veut dire que t'auras plus à me filer la moitié de ton dessert à la cantine, on aura les mêmes !
pour ça il faudrait qu'on se remette à manger ensemble.

et les joues lui brûlent coupables
alors Jasmin déchante malgré lui -
ne peut pas s'empêcher de coucher les regards,
ils viennent se poser sur ses mains
nouées nerveusement.

Owen pardon, Jasmin aujourd'hui
(comme depuis quelques temps)
n'a rien de très impressionnant pour lui.