c'est qu'on a l'habitude des recroquevillements Nessa, pas vrai ? des ailes jamais vraiment déployées. des cages dans des cages dans des cages, ton cœur au creux des os au creux de la peau derrière les barreaux. une strate de plus, ça change pas grand chose.
comme à l'automne, mais
plutôt que des couleurs ocres,
on joue dans les feuilles (blanches)
petits et grands carreaux
et les plumes qu'on s'est vu arrachées,
elles sont au bout des stylos désormais. les traits tirés, par quatre épingles responsables de nos liens décousus - on est tout de même serein
car tu es là même si Jasmin
n'a pas dit envolons-nous
depuis environ une année-lumière.

éclat dans un coin de la vision - tes cheveux des blés
renvoient les rayons, ricochent sur la petite (grise) mine.
rappel - c'est vrai qu'il fait beau aujourd'hui ;
appelle - et dit viens Jasmin.
mais c'est pas-
l'heure de jouer
c'est quelle heure déjà ?
on n'a pas fini, Nessa.
on n'en verra probablement jamais le bout,
de tous les cahiers de tous les livres
tu refermes et dérobes
rends les mains vides
et puis tend la tienne.

la lecture c'est infini mais le jour,
la forêt et toutes les fleurs
à l'éternel éphémère, qui nous dit
qu'ils seront encore là demain ?
j'suis pas sûr...
Nessa, ça fait si longtemps
qu'on n'est pas allé les voir et
Jasmin craint que le lierre soit rancunier,
qu'on ne le reconnaisse pas après toutes ces semaines passées sans chausser les racines - on va trébucher, c'est sûr. on t'observe de l'autre coté et toujours assis, la gorge de Jasmin se serre, de tous les parfums qu'on ignore
le dehors lui manque - dehors tu y es
dehors c'est toi Nessa, tu lui as tellement
tellement manqué.

aux révisions on ne s'était pas tout à fait rejoint et c'était comme courir après le soleil que de se lever pour te retrouver,
saisir ta main et enjamber ce qui sépare -
se hisser sur le rebord et puis
enfin, enfin l'autre coté,
on est
dehors.

tombent les pieds d'abord, dans l'herbe tendre qui amortit toujours les chutes, l'on tient tout juste sur les genoux saillants mais aussitôt le corps réapprend,
à se tenir debout et respirer comme il faut -
il n'a pas lâché ta main, pas encore.
battements de cil, car l'extérieur éblouit un instant.
... attend, tu vas pas tout porter, donne.
c'est ensemble qu'on supporte le poids que c'est de grandir, tes épaules aussi elles sont étroites Nessa - alors Jaja défait l'emprise des doigts pour s'emparer de son sac, il fait comme toi et le hisse sur le dos.

c'est plus léger - un regard par dessus l'épaule
on a oublié d'épais bouquins sur les tables droites
ça fait hésiter une seconde

rien qu'une seconde et Jaja s'en détourne.
allez viens t'as raison,
on verra on s'en fiche.
entremêle vos doigts de nouveau pour qu'on s'éloigne de tout ça, la forêt bleue c'est à deux pas et déjà tandis qu'on s'engage sur ses sentiers la brise, heureuse de retrouver les enfants, passe ses mains de vent pour enlever un peu d'ordre de vos chevelures trop sages.
j't'ai déjà montré la cabane qu'on a faite avec les autres l'été dernier ?
qu'on lance désinvolte comme si c'était hier - ah
on espère, qu'elle nous attend encore, Nessa
il faut vraiment que tu voies ça.

plus qu'une base secrète Nessa c'est le berceau des rêves fait de brindilles et de mousse, à couver l'imagination on y a vu naître de grandes ambitions, c'est là-bas qu'on grandit
c'était là-bas qu'on grandissait
la peur qui brise la coquille, s'agite comme un oisillon au creux des entrailles à mesure qu'on chausse les racines, piaille des et si ? et si ?
et si l'on n'était plus assez petit
pour rentrer dans la cabane ?
Jasmin veut pas penser à ça, tandis qu'on y va avec toi, c'est emprunter les sentiers menant à l'été dernier et on en parle pas au passé.
c'est notre repaire, ouais !
et maintenant que t'es là ce sera le tiens aussi.
à partir du moment où tu as passé les grilles, Nessa,
tu es ici chez toi -
chez nous où qu'on aille,
et l'horizon a beau avoir des frontières
on ira quand même.

à l'orée des bois, les pas on cessé de faire crisser le gravier pour plutôt craquer les feuille - ça vit ça fait du bruit ça change des grands silences des salles de classe - on se languissait de ces mélodies. des violons inquiets au cœur d'elles
Nessa tu demandes, si ailleurs
ça sonne tout aussi bien.

ah - c'est vrai que les dangereux vivent un peu cachés eux-aussi - leur bâtiment a des airs d'édifice mystérieux dissimulé par la forêt, surtout que la brume qui l'entoure ne le rend en rien plus accueillant. pourtant, si tu savais
c'est là qu'on se sent le mieux.
c'est les plus sympa de l'académie je trouve.
fonctionne comme une famille, à défaut du même sang dans les veines on a la malédiction commune et porter du rouge c'est faire partie d'un clan. c'était évoquer des frères et des sœurs
pour ça que Jasmin a des airs paisibles en parlant d'eux.
les gens qui ont peur de nous, ils font rien qu'écouter les rumeurs. c'est juste l'alice qui est dangereux, pas la personne qui le possède. j'veux dire... c'est pas parce que t'as un couteau dans ta poche que tu vas tuer quelqu'un avec, tu vois ?
si l'on devait situer la douleur on la placerait à l'opposée d'eux.

et c'est vrai que ça manque d'amis du même âge et c'est affligeant parfois de ne pas pouvoir inviter les copains, de ne pas pouvoir t'inviter toi Nessa alors que c'est l'univers dans lequel on a le plus grandi.
bah oui, ce serait cool...
pour la récréation, on aimerait bien
pour la récréation seulement
tandis qu'on traverse la bruyère et que les lacets s'emmêlent dans les corolles, Jasmin trop occupé à vérifier où l'on met les pieds a le regard bas,
... mais c'est pas toujours très marrant, Nessa, tu sais, on fait pas que s'amuser.
Nessa sous les fleurs, il a de drôles de choses sous la terre,
parfois il vaut mieux ne pas trop creuser.

alors peut-être
peut-être que la réponse à la question
c'était un peu non.