l'accalmie retrouvée après les jours de tempête les esprits échauffés Bonnie patiente sagement entre les murs blancs et froids de l'hôpital de l'académie ; sa respiration saccadée un peu plus que d'habitude mais Bonnie c'est pas le genre de fille inquiète - la normalité se trouve là quand on a été bercée de cris d'angoisses d'incertitudes une nuit entière durant, sans savoir où aller sans épaules auxquelles se raccrocher.

la petite fille aux cheveux d'or passe une main dans son cou pianote sur son portable à intervalles réguliers, jette un oeil sur le porte du cabinet au cas où elle s'ouvre enfin - son aîné est derrière elle le sait et peut-être que ça devrait la consoler de sa solitude mais Bonnie n'en fait rien ; elle se contente de le rejeter un peu à sa façon, le ramener aussi avec des pleurnicheries disséminées stratégiquement pour enjoliver le rôle de cadette à protéger - et de toutes ces façons elle se débrouille pour le maintenir à distance.

la poignée tourne enfin alors elle décroise ses jambes et se redresse, remet ses cheveux noués en place et lève un sourcil.

« d'habitude t'es plus à l'heure que ça pour les consultations. » sans attendre un quelconque accord Bonnie passe à côté de son frère en posant une main douce et étonnante sur son épaule, et pose son sac de cours sur le premier siège venu.

« pas la peine de t'inquiéter autant, je vais bien tu sais. »

bien sûr qu’il lui sert les préconisations habituelles, les justifications inutiles sur son comportement excessif - elle ne le méritait pas tant que ça et c’est bien la Providence qui lui avait offert des années en arrière un frère en or pur, mais comme souvent - toujours - Bonnie avait décidé de le traiter comme les autres. Avec une pincée d’amertume et beaucoup de colère froide sous des traits glacés « tu parles trop. C’est pour ça que t’as pas de copine. »

l‘étudiante s’assoit sur  le divan d’examen sans attendre de commentaire, défait le haut de son uniforme et s’appuie sur ses bras. Elle lève les yeux au ciel sans qu’il le voit - peut-être que si mais ça n’a pas d’importance après tout puisque lorsque leurs regards se croisent elle adoptera systématiquement le sourire poli de rigueur.

« j’ai fait plusieurs insomnies les nuits passées. » elle n’apporte pas la précision du depuis quand puisque ça semblait évident pour tout le monde, même si Bonnie semble toujours être bien au-dessus tout ça, à confondre la force et l’inconscience de caractère, elle se mure dans des superficialités qui n’ont aucune consistance.

« et ça fait une semaine que ça... ronronne un peu quand je respire. » elle mime le battement de cœur avec ses mains, ne s’étonne pas de trouver de l’inquiétude sur le visage de Krystian alors anticipe et élargit son sourire de gamine gâtée - t’inquiète ça va aller qu’elle aimerait lui dire mais ce serait l’aveu d’une considération, de ses angoisses, de ce qu’elle lui doit.

« je vais peut-être demander à rejoindre les NOVA, aussi »

de toute sa cruauté Bonnie regardait son aîné s'inquiéter trop, davantage si c'était possible et si elle n'en affichait rien elle en tirait une satisfaction malsaine, propre aux petits filles gâtées trop choyées. Elle se redressa et remit ses cheveux décoiffés derrière son oreille, le toisa de toute sa hauteur offerte par la table d'examen, et malgré tout ça, il était bien plus grand qu'elle, dans tous les sens du terme. «pourquoi pas ? Je risque pas grand chose de plus que maintenant, de toute façon. »

Sa voix était désinvolte et la vérité se trouvait bien là : elle n'accordait pas beaucoup d'importance à sa sécurité et ne rechignait jamais à le prouver, si et seulement si elle maintenait toujours un contrôle absolu sur ceux qui l'entourent.

« de quoi t'as peur, Krystian ? » puisqu'il était si gentil et que Bonnie ne connaissait pas la générosité et l'abnégation désintéressée, elle se disait toujours que son frère agissait par intérêt, de manière plus ou moins consciente « si intégrer la section NOVA m'accorde un peu d'autorité dans cette académie, je n'y vois que du positif »

Elle regarda sa main pliée et fit craquer ses doigts sans les quitter des yeux, déclarait son argumentaire de défense soigneusement préparé jusque là, puis de toute façon, elle ne demandait aucune autorisation à Krystian : peut-être qu'un peu, elle cherchait autre chose, et ça n'était pas une forme d'approbation.

« ça ne marche pas vraiment, d'être respectée simplement parce que tu es vertueux ou que tu manigances » il n'était pas ouvertement au courant de ses agissements, elle se le répétait en boucle, et c'était bien mieux comme ça - ça l'arrangeait de penser que son frère n'était pas des plus alertes en ce qui concernait les bruits de couloirs et les réputations.

« alors peut-être qu'on me verra plus comme la petite chose fragile, qui va s'effondrer au moindre coup de vent ou pic de stress. »

Là enfin, Bonnie regardait Krystian droit dans les yeux, sans ciller, sans détourner son attention.

il avait tout du prince charmant, Krystian, un peu de chevalier servant, tout ce qui allait pour les contes de fées ceux qu'on racontent aux enfants pour polariser un peu plus le monde : Bonnie tenait davantage de la sorcière, pas celle décrépie et malveillante par égard d'âme, mais la femme indépendante qui refusait par-dessus tout les hommes venues la secourir d'un mal inconnu.
Ne restait plus qu'à le faire comprendre à son cher frère.

« tu vois, tu as placé le devoir avant l'amour dans ta phrase. »

Elle le jaugeait de son regard clair et sévère, impassible sous son attitude glaciale.
Elle descendit de la table d'examen et replaçait ses vêtements comme à son arrivée - sans se tourner vers Krystian.

« tu sais, le pouvoir ne me rendra pas... mauvaise » les boutons consciencieusement rattachés, un peu plus à la hâte peut-être - ça devenait étouffant, tout d'un coup « j'aurai juste plus de crédibilité aux yeux des autres. Et j'arriverai à vivre une vie plus normale, en étant intégrée, et tant pis si c'est de cette façon. »

Elle posa ses yeux bleus sur lui - elle ne voulait pas le faire souffrir autant, mais ce choix ne lui appartenait pas entièrement.

« tu peux m'en dissuader autant que tu veux, tu sais bien que je ferai comme je veux, de toute façon »

Elle passa une main sur le bras de son demi-frère, d'un geste qui se voulait rassurant, alors qu'il n'était là que pour détourner son attention du véritable problème.

« je suis pas ton fardeau, Krystian. »

l'espace d'un instant, Bonnie resta muette et immobile, à observer son frère aîné trouver des justifications à ce qui n'avait pas lieu d'être : mais dans son orgueil assassin elle avait poussé les frontières de la décence au plus loin, et là voilà maintenant à presque culpabiliser d'être aller si loin dans ses propos injustes.

Mais Bonnie ne comprenait jamais réellement ce qui relevait de l'honnêteté et le sacrifice de soi, alors elle claqua du talon soudainement pour se reprendre, releva le buste, et s'approcha pour déposer un baiser sur la joue de son médecin personnel.

« ça va, j'ai compris aussi. »

Elle lui sourit doucement, noie le poisson de leur passé commun par manque furieuse de l'envie d'aborder tout ça, et ramassa son sac tombé à terre.

« je vais tâcher d'être un peu plus présente, pas en tant que simple patiente »

en lui demandant tacitement de ne plus la considérer simplement comme telle, avant de laisser un rire léger s'échapper d'entre ses lèvres

« peut-être qu'on arrivera à avoir une vraie relation frère-soeur toi et moi »

Et elle ne parlait même pas d'amour entre eux.
Elle s'éloigna doucement en prenant le soin de vérifier qu'elle n'avait rien oublié, et adressa un dernier regard à Krystian, avant de quitter les lieux.

« faut pas m'en vouloir, je n'ai jamais été habituée »