Le coeur à l'asphixie, avoir des élèves à l'alice limité était un problème à gérer que tu n'avais pas anticipé avant de signer ton contrat avec l'académie. En vrai mère poule, grande soeur de coeur,  tu ne pouvais pas t'empêcher d'avoir encore plus peur qu'eux pour leur propre santé. Mais le plus dur, c'était de devoir réfréner cette angoisse pour ne pas les inquiéter, devoir sourire et prétendre que tout ira bien et ce, pour l'éternité.

Traversant les couloirs complètement débraillée, l'écharpe à moitié par terre et les talons trempés, tu t'étais faite surprendre par la neige qui était tombée d'un seul coup, recouvrant d'un tapis de neige les jardins et les routes de l'école. Sortant de la chambre de Lysandre, tu voulais rejoindre le service concerné pour avoir des retours sur l'évolution de son état.
Mais en ce jour, ils semblaient tous assez débordé. L'état d'urgence tout ça tout ça...

Pendant que le personnel médical a le dos tourné, tu tournes toi les talons vers le service de quarantaine, celui assez restrictif ou étaient encore enfermé certains de tes élèves dont leur alice avaient subitiment disparu. La curiosité exacerbée, tu te sentais tout à fait légitime de braver les soit-disants interdits. C'était tes élèves, un point c'est tout.

Derrière la vitre teintée, tu les observes travailler à leur bureau ou regarder des vidéos sur l'ordinateur, allongés sur leur lit. Cette vision t'emplissait de tristesse mais tu t'efforçais de comprendre et d'accepter qu'il en était ainsi. Pour le bien de tous.

— « Ah ?! »

Tu te retournes et te colles à la vitre, prise en flagrant délit par celui qui venait d'interrompre ton espionnage. Tes yeux se plissent un instant et tu bas des cils.

— « Christian ? Krystian ? Oh mais je ne savais pas que tu travaillais ici ! Tu te souviens de moi ? Daisy Marshall ? On était dans la même classe. Ou alors tu avais une année de moins. Je sais plus. Comment ça va depuis le temps ? »

A sa première réaction (interrogation), tu laissas ce sourire béat sir ton visage, pensant toujours à une blague ou à un malentendu. Puis tes sourcils se froncèrent et tes yeux se plissèrent pour le dévisager... tentant vainement d'analyser s'il plaisantait ou ne faisait aucun effort pour y mettre du sien. Apparemment, c'était ni l'un ni l'autre.

— « Comment ça ? »

Méfiante et surtout peut-être un peu vexée d'avoir été oubliée alors que tu te considérais sainement inoubliable pendant tes années à l'académie, tu le dévisageas d'un dépit un peu idiot. Avais-tu perdu tout ton panache Daisy ? Tu dévisageais ton ancien camarade d'une incompréhension d'abord totale avant d'hausser les épaules pour dédramatiser.

— « Et bien, je pensais mon charme na-tu-rel légendaire. Je t'enverrais une copie de la photo de classe si tu me crois pas. Ou alors... non je suis confuse désolée, ce n'est pas si important je pense. »

Il te tendit la main et tu hésitas plusieurs secondes avant de la prendre, un peu mal à l'aise. Un faux sourire aux lèvres, un peu forcée par le désappointement, tu pris un peu de temps pour répondre. Trop occupée dans tes pensées sur le moment en roue libre, tu avais buguée sur place avant de rétorquer en bégayant.

— « Euh non pas du tout. Je venais chercher des résultats et je me suis égarée dans l'étage. »

Tu restas un instant stoïque, à le dévisager lors d'une bataille de regards à savoir qui dirait en premier que c'était un énorme mytho auquel personne ne croyait.

— « Je mens, tu sais que je mens. J'avais besoin de les voir un instant. »

Au début, tu pensas qu'il te reconduirait dans le bon couloir, au bon étage, malgré que tes yeux le suppliaient avec intégrité. Mais tu l'observas immobile et attentive à chacun de ses mouvements pendant qu'il semblait hésiter sur place à prendre une décision.
Finalement, il choisit de laisser tomber ses clés - étrange d'ailleurs - et d'aller se préparer un café. Tu mis plusieurs secondes avant d'afficher un sourire ravi, de les ramasser de t'éclipser à son signal à l'intérieur de la salle ou les élèves se trouvaient.


Quelques dizaines de minutes plus tard, tu ressortis l'air un peu plus serein et l'esprit baigné des rires et de la joie des enfants. Eux, ne perdaient pas espoir. N'étaient-ils pas d'ailleurs un exemple à suivre pour vous tous ? Car c'était vous les adultes qui paniquiez face à cette situation inexplicable.

Tu rejoignis la salle de pause et ferma la porte derrière toi. Posant les clés sur la table, tu pris une chaise pour t'y asseoir.

— « Merci Krystian. C'est dommage que tu ne te souviennes pas moi. Mais c'est encore plus généreux de ta part de m'avoir fait confiance sans me connaitre. »

Tu pris tes aises en t'accoudant, et désigna la bouilloire des yeux.

— « Je veux bien un café s'il te plait. »

Et d'un sourire chaleureux, tu enchainas les questions, décidée à en poser durant le temps ou il daignera les écouter (et y répondre).

— « Ça fait longtemps que tu travailles ici ? Tu étais major, tu aurais pu parcourir le monde pour le guérir, avec ton Alice. »

C'était étrange, parce qu'il paraissait animé de la même logique que tu as en postulant ici. Du moins, tu ne prétendais pas le connaitre à ce point et partager son vécu, mais il semblait également prioriser l'école au monde extérieur. Comme si vous aviez un but commun ici, providentiel.
Il pose ton café sur la table et tu le portes à tes lèvres sans pour autant cesser de le regarder. Il avait un sourire doux et calme, qui trahissait une humilité devenue rare dans hautes sphères de cette institution.

— « C'est amusant. Tu n'as pas l'attitude qui va avec les idées. Tu sembles réaliste pour un idéaliste. »

Tu secoues ta tasse, l'air faussement mystérieuse. Comme ces marabouts que certaines soeurs collectionnent sur leur frigo.

— « Comment je sais que tu es un idéaliste ? Tu ne m'aurais pas laissé voir ces enfants sinon. »

Tu bois un coup et manque de t'étouffer. Décidément tu devais arrêter de t'improviser moralisatrice à deux balles, car ça te seyait mal.
Il te demande ton nom et tu fais la moue, arborant une expression blasée et sur-jouée dans la vexation pour exprimer une susceptibilité exagérée.

— « Boh super. Daisy Marshall. L'Alice de la muse. Je suis la professeur principale des TECH ! »

Daisy Marshall, très bien.
T'avais envie de faire la blessée pour cet oubli quand même un peu vexant. Tu n'as pourtant pas un souvenir invisible de toi dans ta jeunesse. Comment pouvait-on ne pas te connaitre ?
Sans vouloir partir dans un drame inutile, tu continues de sourire à cet ancien élève devenu maintenant médecin. Parler d'idéalisme dans une école semblait ironique à y repenser, et pourtant en voyant les élèves derrière la vitre de la quarantaine, tout prenait son sens.

— « C'est injuste qu'ils ne soient pas rendu à leur famille, je le conçois. Mais si c'est un virus, je comprends aussi la position de l'école de vouloir limiter sa propagation. »

Et tu te rends compte de ta bêtise, et de l'égoïsme dont tu as failli faire preuve en risquant toi même de t'exposer. Pourtant, ton instinct te criait que cela n'avait rien à voir avec ce que l'école voulait vous faire croire. Trop de secrets, trop de manigances, toi même tu te sentais bernée par quelque chose qui t'échappait dans ta propre histoire.

— « Je voulais voir comment allaient mes élèves. Je suis maintenant sûre qu'avec une personne comme vous pour vous en occuper, je peux dormir tranquille. »

Tu tournes le badge dans tous les sens, hésitant à y aller discrètement finalement. Même s'il avait plus ou moins donné son autorisation, ce n'était peut-être pas prudent. D'un autre côté, tu devais en avoir le coeur net.

— « Alors Krystian... Je vous ramènerai votre badge et on dira que rien ne s'est passé. Merci pour votre écoute et pour notre secret. »