alors voilà. c'est un jour qui a la saveur de tous les autres, un jour où il s'est levé, où il a enfilé sa chemise, où on lui a remis son col tordu - où il a enfilé ses chaussettes puis ses chaussures. c'est un jour d'été qui a déjà un peu la saveur de l'automne car on commence à avoir le nez qui pique de la poussière des feuilles mais le soleil est toujours très haut.

il reprend ses habitudes : s'assied contre le mur, regrette silencieusement de ne pas être avec vega car il risque de souffrir d'une bulle un peu solitaire, une bulle qui fait écho à des affres qu'il aimerait bien oublier. ce n'est pas grave, il n'aura qu'à parler à toussaint - ce n'est pas grave il récupérera ses notes sur quelqu'un d'autre, il trouvera toujours quelqu'un d'assez gentil pour l'aider. il rêvasse, gribouille sur sa feuille en tentant de s'accrocher au cours, mais la vérité est qu'il ne remarque même pas quand le professeur est interrompu par quelqu'un qui toque à la porte. lui aux aguets sur les bruits n'entend pas que c'est lui qu'on appelle, et il faut que l'adulte de la salle répète à plusieurs reprises son prénom, la porte toujours ouverte, pour qu'il réagisse. il soulève ses sourcils et s'affaire à se lever. évidemment il est bruyant et même qu'il fait tomber la trousse de la personne derrière en tentant de passer derrière son voisin. il se glisse jusqu'à la porte en s'excusant à moitié du dérangement et referme derrière lui.

il ne comprend pas directement, à vrai dire. il lui faut un temps pour enregistrer les mots que la petite lui dit très vite, un temps pour les ingurgiter et y mettre un sens - ils se mêlent à tous les bruits de l'école, et puis en plus de tout cela - ce n'est pas tous les jours qu'on découvre des petites sœurs, vous savez.
il ne dit rien, la fixe de toute sa hauteur sans même envisagé qu'il peut être intimidant. ses lèvres sont closes et il y a mille questions qui lui viennent - mais elle a plus que cinq ans, plus que la plupart des élèves qui arrivent ici - c'est incompréhensible qu'elle soit arrivée si tard, incompréhensible que ses parents ne l'aient pas envoyée plus tôt s'ils savaient que c'était une alice.
hein..?
c'est bien là sa seule réaction. même son interjection est bruyante, il reste immobile, ne sourit pas particulièrement, et c'est de manière monosyllabique qu'il brise le silence parmi toutes celles qu'il aurait pu choisir.

anton peine à déchiffrer les émotions qui traversent le visage de nessa - elle semble si jeune ! si jeune, si jeune - à peine dans la fleur de la jeunesse, c'est un petit bourgeon encore, et il faut les chérir ces jeunes pousses pour ne pas qu'elles ne meurent.
il ne sait pas quoi faire de ses mains - est-ce qu'il doit la prendre dans ses bras ? est-ce qu'il doit saisir son visage entre ses longs doigts à la peau un peu sèche (dont vega se plaint souvent), est-ce qu'il doit se mettre à sa hauteur ? il regarde la tasse un instant et suppose qu'il doit la prendre, alors vient le premier contact d'épiderme à épiderme, transfert de l'offrande d'une famille dont il ne reste que des souvenirs

même pour elle.

il pensait que tout allait bien, là-bas. ça lui semble insensé que maman est partie, ça lui semble insensé qu'elle se soit échappée car la vie était belle et qu'ils allaient souvent à l'océan, qu'ils passaient beaucoup de temps le soir dans les parcs à trois - et qu'il n'y avait aucune raison. même qu'ils se tenaient la main quand maman était enceinte et qu'il est parti dans la voiture, qu'ils pleuraient ensemble, n'est-ce pas ?

et maintenant il ne sait plus s'il a imaginé tout cela, si ses souvenirs sont des mirages pour le préserver tout ce temps. est-ce qu'à l'époque, tout allait si bien quand il a dû rejoindre le coeur lourd l'académie.
il serre la tasse avec la même nervosité que nessa et on voit alors dans la délicatesse du coeur, la volonté de bien faire, les mêmes racines. la même éducation.
merci... merci beaucoup... elle est jolie, couleur soleil. couleur poussin, couleur tournesol. oui c'est joli, mais il n'arrive pas à le dire.
anton se tourne à moitié vers le professeur pour l'interroger lui aussi du regard, et ce dernier rentre dans la classe qui bavarde déjà en acquiesçant. sûrement signe qu'il peut rester un peu avec elle. je... je suppose que je peux rester un peu avec euh... toi... il tient fermement la tasse, c'est son point d'accroche pour ne pas se laisser submerger. tu as cours là ? d'abord quelques formalités, qu'il reprenne conscience de ce qu'il se passe - il ne commente pas les commentaires d'enfant de nessa, la douceur avec laquelle elle lui a planté une aiguille meurtrière dans le coeur.

il n'y a plus de famille. il n'y a plus qu'eux.