il y a cette angoisse qui ne part pas. elle se loge dans son coeur depuis septembre et depuis quelques temps, prend une ampleur faramineuse. il y a une seule certitude à ses yeux : c'est qu'elle s'avère être fondée. anton est immobilisé sur son lit, la gorge serrée et les mains moites : ses yeux sont rivés sur son portable où il n'y a pas de réponse. son portable où il n'y aura pas de réponse à vrai dire, et si c'est le cas c'est qu'anaël se hâte de venir dans sa chambre.
tout d'abord anton a envisagé l'idée burlesque d'essayer de coincer sa porte avec sa chaise, chose dont il n'arrivera jamais car il ne possède pas la capacité innée d'être ingénieux comme dans quelconque série pour adolescents, puis s'est laissé retomber lourdement sur le matelas où s'étale la couette froissée et quelques oreillers.

c'est bien facile de se haïr d'une telle manière, de se demander encore et encore ce qu'il se passe, pourquoi anaël fait une fixette même sur sa présence - qu'est-ce qu'il attend de lui ? qu'est-ce qui fait que celui à qui il a porté préjudice (et anton ne s'en rappelle même pas !) s'attarde sur sa cause alors qu'il est souvient bien incapable de faire preuve d'une quelconque éloquence ? qu'est-ce qui fait dire à anaël qu'il souhaite être un tant soit peu proche d'anton pour instaurer ce drôle de rituel ? anton ne sait pas ! et s'il savait cela lui donnerait une idée au moins minime de comment il doit se comporter pour plaire à anaël et avoir la paix, gommer ce drôle d'aura un peu amer.

il a envie de pleurer et disparaître à la fois quand il entend les coups dans la porte. ça résonne trop dans son crâne qui entend tout, ça résonne trop et ça l'oppresse d'une horrible manière. anaël est de l'autre côté et il n'a ni envie de le voir, ni envie d'un quelconque contact social à cet instant. il se raccroche à l'image rurale de la tranquillité, au blé craquant sous ses pieds et -

il ne peut pas fuir. il ne peut pas fuir sa réalité, elle l'attrape et l'étrangle. anton est confronté à sa propre terreur, sa propre incapacité qui définit sa plus grande peur. il est incapable de dire un mot, de dire à anaël de rentrer - et décide de se cacher sous la couette pour essayer de faire taire tout cela. d'étouffer la crainte qui monte de plus en plus vite.

il s'accapare l'espace, l'oxygène, l'existence et plus encore - anaël existe et il le tonne, il le fait ressentir. anton le sent jusqu'au bas de sa colonne vertébrale.
aussi quand il s'approche, anton redoute : il le sent, il le guette avec ses oreilles, son ouïe fine. il perçoit les bruissements de l'amusement et la respiration qui se coupe pour mimer la grande surprise. et anton veut lui dire qu'il ne veut pas.

non il ne veut pas. il ne veut pas le voir, pas croiser son regard alors quand il s'assied sur le siège, il évite avec prononciation les deux billes qui ne cessent de briller d'amusement. ses épaules tombent un peu et il reste un rien inerte, ne bouge d'abord pas tandis qu'il laisse anaël et sa terrible sentence. il est confronté à l'obligation d'accepter car il n'ose pas, tout reste dans l'estomac. il digère ce qu'il n'arrivera sûrement jamais à dire car il ne peut confronter les autres avec un refus si net - si tranchant. du moins c'est rare et s'il le fait c'est qu'il ne se contrôle déjà plus.

on n'a pas le droit de sortir encore... pour une fois ça sort du bout des lèvres, il ne tonne pas. il parle évidemment du couvre-feu. je pense que tu devrais rentrer dans ta chambre. mais en contradiction avec ce qu'il dit et pour ne pas s'attirer quelconque ire, il s'activement lentement, regarde autour de lui pour enfiler un gros pull, retire sans pudeur son pantalon léger de pyjama pour un jogging épais. mais il ne met ni chaussettes ni chaussures comme acte de résistance.

non il ne veut pas, et quand bien même il voudrait - il ne peut pas. il est figé dans sa propre médiocrité, son incapacité à lui hurler de dégager, de le laisser tranquille. alors il regarde les baskets qui sont non loin d'anaël sans avancer.

à nouveau il ne dit plus rien.

ne me touche pas. ne me touche plus. épargne mes dernières ressources, épargne ma hantise et mes sentiments les plus purs : oui je te crains comme un cauchemar, oui j'ai peur de ne pas réussir à t'échapper.
et pourtant, peu à peu, tu raffermis ta prise sur moi. ta puissance m'envahit.

anton pourrait le balayer d'un coup de pied, le faire céder en faisant craquer son bras derrière son dos ; il pourrait lui tordre le cou avec sadisme pour se venger d'anaël qui le rend victime de la nécessité sociale. mais il n'en fait rien : il est plus grand, il est plus fort et pourtant un impuissant. ses mains ne sont pas faites pour tuer, pas faites pour infliger quelconque douleur maîtrisée : il n'y a qu'une tendre force, un pouvoir qui existe pour faire le bien.
il se laisse traîner derrière, toujours pieds déchaussés, toujours inapte à affronter la forêt et pour cacher sa crainte d'affronter seul anaël, il se raccroche à l'idée que sa plus grande crainte est de perdre sa dernière étoile.

il y a quelque chose qui lâche en lui quand anaël lui donne un petit coup dans les chevilles. une sorte de dissociation qui remplit son coeur d'angoisse pendant des secondes qui lui paraissent bien longues. son minois est livide et son expression affranchie de tension. il est dépossédé de lui-même et ne sait plus ou mettre la tête : il ne peut pas céder. il ne peut pas accepter, même avec toute sa meilleure volonté il ne peut pas juste enfiler ses chaussures car oui, il y a ce fil qui lui paraissait jusqu'ici inutile, sa capacité à supporter le joug des autres, ce fil qu'il néglige pour faire passer le bonheur d'autrui avant sa propre santé, ce fil qui a craqué.

ne me touche pas. ne me touche plus.

il n'arrive pas à le dire. ça ne sort pas, ça ne sort jamais. malgré ce qu'anaël lui intime anton secoue vigoureusement son crâne, et si l'on ne savait pas sa gentillesse habituelle, on pourrait l'associer à un enfant capricieux en cet instant. non. je t'ai dit non anaël, je veux pas perdre mon étoile, c'est important pour moi. peut-être que tu t'en fiches mais je peux pas. il se cramponne à la poignée de la porte et refuse d'accéder à la demande de l'autre élève. je suis désolé mais je peux pas. il parle doucement pour ne pas déranger les âmes endormies.

et alors anaël croit que - que quand il dit qu'il ne peut pas, c'est uniquement en rapport avec les étoiles n'est-ce pas ? ou fait-il semblant de ne pas comprendre pour se servir de l'inexactitude de ses propos comme une arme ?
pourtant anton fait de son mieux pour mettre des mots, de son mieux pour exprimer clairement son idée. mais ça ne suffit jamais, ils ne comprennent jamais rien - alors la colère monte contre lui-même d'être aussi inexact, aussi brouillon. il devrait être plus ferme il devrait pouvoir ne pas craindre les ombres et les terrasser juste d'un mouvement de main. il accepte la petite tape dans son épaule bien qu'elle fasse vibrer une crainte immense en lui. il se sent dépasser par les événements.

anton pourrait faire peur, il pourrait assouvir facilement quelques désirs de domination, ensevelir les dernières onces de liberté mais rien n'y fait : sa gentillesse prime sur une quelconque cruauté. alors douloureusement et avec les muscles tendus, il enfile ses chaussures. alors douloureusement il se laisse emmener, la tête basse.
il regrette de ne pas avoir pris de sweat. il va tomber malade.

quand ils sortent il voit bien qu'anaël se dirige vers la forêt maudite mais il ne dit rien. il n'est pas en position de s'opposer à cette décision. anaël continue comme une ombre le hantant, un esprit farceur imposant sa cadence derrière lui. anton la suit sans grande peine, il est habitué à la marche rapide.

il préférerait le silence pour une fois. même ici il entend la vie dans les bâtiments, la vie dans les forêts - et la voix de son compère qui se fond dans le tout. anton ne répond rien en premier lieu. il a le coeur lourd, déjà parce qu'il est dans la position délicate de la perdition - depuis un ou deux mois, et ensuite parce qu'il ne va pas y arriver. il fait un effort pour répondre, nourrir assez anaël pour avoir la paix. ça va. les mots restent coincés dans la gorge et anton s'efforce de regarder droit devant lui pour ne pas qu'anaël cherche d'une manière quelconque son regard.
et vous voyez, ce qui est terrible, c'est qu'il sent déjà les larmes monter - oui à la prochaine question il n'arrivera pas à faire semblant, il ne sera pas apte à donner une réponse. il sera obligé de ralentir un peu la cadence, avaler ses sentiments et essuyer d'une patte agile les pleurs qui commencent à couler.

ça rentre dans ses pores, ça le possède tout entier et le secoue profondément ce surplus d'existence ; anaël qui existe trop - il serait question de te taire toi qui es délétère. de disparaître, peut-être. de te faire discret car il a les sentiments fragiles et la sensibilité accrue.
il se tend et ferme les yeux pour ne pas céder, les petites tapes dans les mains sont des atteintes à son intégrité et résonnent de trop de partout
et c'est terrible. c'est terrible parce que ça s'ancre et ça ne part pas, ça entache son champ de vision et de réflexion. il n'entend plus les mots mais ces sons qui l'oppressent et lui empêchent de respirer correctement.

tonton - une fois.
tonton - deux fois.
tonton - trois fois.

il s'arrête complètement.

ARRÊTE lui qui parle toujours fort - c'est un cri presque de détresse. arrête je t'en supplie qu'il veut dire - mais il n'a pas les mots. ses muscles se crispent sous l'angoisse et il a du mal à respirer, à contrôler ce qu'il se passe de part la présence du sans étoile. arrête VRAIMENT vraiment vraiment - t-tais-toi ! ferme-la ! ça monte et ils ne peuvent rien n'y faire - ni anaël ni anton. il lève les yeux en chien de faïence, presque agressif car il ne veut pas qu'il l'approche. il veut de la distance, il ne veut pas qu'il le touche plus qu'il l'envahisse. c'est l'effet du stress, c'est tout qui remonte d'un coup et il s'accroupit au milieu du chemin en tripotant nerveusement sa manche pour s'aider à se concentrer sur autre chose, reprenant difficilement sa respiration.