C'est au grand damne de ses ambitions, en dépit de son orgueil (quoiqu'il n'ait jamais été mention de lui), que Diane s'était exilée des autres et de leur effervescence, des regards et des bruits, bruissements d'insectes insipides. Et même lorsqu'ils ne l'étaient pas (des insectes, ou insipides) la foule était insupportable, et le poids de sa propre conscience était lourd de rien mais lourd quand-même.

Elle le fuyait, c'était inéluctable mais visiblement inconscient. Il y avait des regards placés trop haut dans l'estime qu'il était dangereux de chercher trop longtemps. A attendre l'approbation de quiconque elle aurait eu vite fait de s'effondrer, et avait préféré, plutôt que d'attendre, la fuir - feinter de n'en avoir que faire qu'il l'estime ou non. Il y avait eu un millier de détours dans son propre esprit qui lui avaient fait prendre des chemins sinueux et malsains au travers desquels elle entendait des reproches muets et insidieux : des reproches qu'elle attribuait à la voix et aux yeux de Jae-sung mais qui ne venaient en fait que d'elle-même.

Sous le soleil qui réchauffait sa peau froide et éclatait contre sa chevelure d'argent à lavande, elle s'était installée là un stylo à la main et les courbes couchées sur le papier du carnet - le deuxième de la semaine - relié et broché avec la même délicatesse que tous les autres qu'elle avait l'habitude d'emporter avec elle. Un ouvrage fait main, un jour où elle s'était éprise de ce talent tout particulier qu'était la reliure. Et dessus elle y aurait couché des poèmes si Jae-sung ne s'était pas empressé de l'interrompre.

Ses mots ne percutèrent pas, Diane n'en entendait que ce que son esprit pouvait concevoir, et elle fronça les sourcils légèrement. Ses humeurs étaient imperceptibles, ne témoignaient que de lueurs fugaces dans ses yeux, à peine de rictus ou de manières. Elle avait l'air presque morte, dénuée de tout, alors qu'elle vibrait d'émotions trop amples pour elle.

« De quoi... ? »

Ses mains avaient refermé le carnet dans un mouvement délicat avant de se poser sur ses genoux. Le figement était à deux pas de la prendre tout à fait, et elle s'efforçait de faire quelques esquisses de mouvement mesuré pour ne pas rester paralysée.

« Je ne suis pas sûre de comprendre. »

Le temps que tout se mette en place dans sa perception étriquée et Diane soupçonnait déjà des bribes de ce qu'il laissait entrevoir.

L'avait-elle blessé ? Elle haussa les sourcils dans une mine stupéfaite - ou ce que son panel d'expressions pouvait lui permettre du moins.

« Je suis désolée. Ce n'était pas mon intention. Je ferai plus attention la prochaine fois. »

Et hocha la tête comme si elle avait compris, sans saisir qu'elle n'avait en vérité rien su déceler.

« Je tâcherai d'être plus avenante. »

Diane ne se risquait pas à croire qu'elle était importante, trop réticente à l'idée d'être égocentrique ou suffisante (ce qui ne l'empêchait pas de l'être, d'ailleurs). Alors lorsqu'il lui disait que son avis importait, elle avait fait la sourde oreille. Ce n'était pas tant qu'elle n'avait pas entendu, mais plutôt que les mots ne percutaient qu'à moitié, n'avaient pas l'impact qu'ils étaient censés avoir.

Elle se disait que, sûrement, elle avait du mal agir et lui faire porter le poids de son caractère froid et distant. C'était sûrement de sa faute, à Diane, d'avoir fait ressentir ce rejet (insupportable) et ce manque de confiance en lui-même. Elle s'accablait encore et toujours pour n'avoir jamais cessé d'être Diane ; fragile et fébrile au contact social, incapable de supporter trop longtemps le lien sans vraiment savoir pourquoi.

C'est qu'elle refusait de voir ce qui avait vraiment été leurs tords à eux, et prenait tout pour elle ; elle était forcément coupable, malade. Quelque chose n'allait pas chez elle - pourquoi le fuirait-elle, sinon, alors qu'il était si accueillant ?
Pourquoi le fuirait-elle, si ce n'était pas elle le problème ? Il ne lui avait rien fait. Pire encore, il venait s'excuser de sa propre initiative.
Quel garçon charmant.
Et elle, de quoi avait-elle l'air, sinon d'une ingrate ? Incapable de prendre l'attention qu'il lui donnait, incapable de s'en satisfaire. Quel genre d'être humain aimait une présence aussi frustrante que la sienne ?

Elle avait secoué la tête.

« Ne dis pas ça. Tu n'as rien fait. »

L'émotion débordait de ses lèvres, dans une voix monotone qui avait tremblé sur la fin - et c'était déjà beaucoup de la part de Diane. Elle avait inspiré un grand coup, commençant déjà à perdre son souffle. Son cœur matraquait sa poitrine et les pensées faisaient la course à savoir qui de "S'excuser" ou "S'expliquer" aurait eu raison d'elle.

Mais pour s'excuser il faudrait qu'il lui reproche quelque chose.
Pour s'expliquer il faudrait qu'elle sache ce pour quoi elle s'accablait.

« Ce n'est pas de ta faute si je suis... »

Quoi ?
Qu'est-ce que je suis ?

« Je suis mal à l'aise, présentement. Je m'en veux de t'avoir fait sentir que c'était de ta faute et je ne sais pas comment te convaincre que tu n'as rien à te reprocher. »

Elle hocha la tête.

« Je resterai plus souvent avec vous, alors. Comme ça plus de malentendus. »

Ils avaient bon dos, les malentendus.

Drôle de mot que l'envie. Si elle avait envie de leur faire plaisir et que leur faire plaisir mentionnait de faire des choses pour lesquelles elle n'avait aucun élan, de quoi avait-elle envie, Diane ? Si elle voulait passer plus de temps avec eux mais que le faire la mettait mal à l'aise, de quoi avait-elle envie, Diane ?
Le problème de l'envie c'était que Diane était toujours incapable d'avoir ce qu'elle voulait ; ce qu'elle voulait c'était d'être heureuse ; et le bonheur avait toujours des airs de chimères capricieuses. "Diane", en son identité, était interdite d'avoir envie ; car ses envies étaient vouées à la frustration.

Mais c'étaient des discours qu'elle ne pouvait se permettre de tenir ; des discours qui rendaient malheureux ou agacés ; qui prouvaient encore qu'elle se complaisait dans son malheur et qui finirait de faire lever les yeux au ciel tous ceux qui avaient mis ses espoirs dans son futur bonheur. Alors elle ferait semblant, aujourd'hui encore.

Elle hocha la tête.

« D'accord. »

Tant pis pour cette fois-ci, tant pis.

« Seulement si j'en ai envie. »

Comme si ça avait du sens.

Elle haussa les épaules, et tritura entre ses doigts adroits le cahier de notes brodé. Le silence qui commença à s'installer la mettait mal à l'aise, et elle chercha quelque chose à dire, quelque chose pour combler. Mais Diane n'avait jamais été très douée pour ça ; elle préférait le figement.
Alors il y eut le silence, où Diane resta à l'affut d'une moindre prise à laquelle s'accrocher.

« Et... »

Mais se ravisa. Ce qu'elle s'apprêtait à dire était sûrement comme tout le reste ; fade et faux, inutile et gênant. Elle secoua légèrement la tête, comme pour symboliser qu'elle avait abandonné l'idée ; que sa phrase resterait en suspends dès le premier mot et qu'il devrait s'en contenter.