L’adolescent avait le pas traînant en rentrant de l’hôpital ; pas qu’il soit particulièrement malade mais l’insouciant qu’il était avait peut-être un peu abusé de son alice à renfort de petites utilisations répétées au cours de la semaine passée. Le résultat n’était pas bien surprenant : une baisse de tension généralisée ainsi qu’une fatigue soudaine dont il aurait bien aimé se débarrasser en une sieste vite fait bien fait. Mais hélas, le corps humain ne fonctionnait pas comme il le désirait, et sous la consigne de se reposer, Robin s’était mis en chemin en direction du foyer pour s’y détendre sans avoir à rester seul dans sa chambre –on savait trop bien son aversion pour la solitude et il l’évitait quand il le pouvait.

Mais au détour d’un couloir, des éclats de voix s’élevèrent, et il y avait suffisamment de colère palpable dans ces emportements pour l’intriguer ; il se risqua donc à se mêler de ce qui ne le regardait pas et se laissa guider à l’oreille jusque sous un escalier par ce qui semblait être une dispute…de couple ? Il fronça les sourcils en penchant la tête par-dessus la rampe pour mieux voir les visages des intéressés –il se sentait peut-être un peu trop fatigué pour lutter contre ses instincts et sa curiosité naturelle ; c’était bien pratique comme excuse pour ne pas s’occuper de ses fesses et avoir des gens à qui parler– et il lui sembla reconnaitre la figure délicate d’une jeune fille tout de pastel vêtue dont le nom lui échappait.
Impossible de s’en rappeler, et pourtant, Robin était persuadé qu’il l’avait déjà entendu en des termes pas très avenants qu’on réservait souvent aux femmes aux mœurs jugées déplaisantes pour des raisons qui lui passaient un peu par-dessus la tête. Il haussa les épaules ; qu’il se rappelle d’elle ou non, une dispute était toujours un spectacle amusant à observer du haut d’un escalier quand on n’avait rien d’autre à faire pour s’occuper.
Mais l’échange semblait inégal, à y regarder de plus près, et il connaissait trop bien l’impulsivité de la colère des garçons de son âge –n’était-il pas le premier à y succomber lorsqu’il perdait pied ?– pour juger que ça ne pouvait pas déraper.
Le plus important lui semblait d’intervenir pour faire redescendre la tension qu’il sentait monter chez le jeune homme énervé, mais il n’avait pas trop envie de passer pour la commère de service qui les observait depuis tout à l’heure et avait décidé de s’en mêler au moment propice –pas qu’il se fiche d’avoir une quelconque réputation de voyeur de disputes, mais il avait la conviction que ça n’allait pas aider à calmer les choses.
Il hésita un instant, incertain de la démarche à suivre, avant de faire ce qu’il savait faire de mieux, et y aller au talent –ça n’était pas forcément positif à chaque fois cela étant dit.

En se cachant discrètement en haut de l’escalier, il retira une de ses chaussures et la lança sur le couple de sorte à ce qu’elle atteigne l’épaule de l’autre garçon. Il espérait que l’absurdité de voir une seule chaussure leur tomber dessus allait l’interrompre dans sa colère, et ainsi il attendit quelques secondes pour le laisser se poser des questions avant de se montrer enfin, dévalant les marches à cloche-pieds –meilleure idée pour un type qui rentrait de l’hôpital pour fatigue exacerbée, vraiment, bien joué.

« Eh ! Vous avez pas vu ma chaussure ?! »

Il prit le temps de descendre toutes les marches, et d’arriver à leur hauteur, essoufflé d’avoir trop forcé ; pour se reposer, il posa une main sur la première épaule à sa portée –celle de la fille– pour y prendre appui et souffler un coup.

« Franchement les lacets c’est méga chiant ça se défait tout le temps et après on perd toujours ses pompes, ça vous arrive jamais ? On pourrait avoir des chaussures à scratch sérieux... Il marqua une pause, prit la mine de celui qui réalise qu'il vient peut-être d'interrompre quelque chose –un jeu d'acteur au moins digne d'une série Disney Channel. Au fait, c’était vous que j’entendais gueuler depuis là-haut ? »

Opération turbo-relou lancée.

Le silence se fit lourd et imposant pendant quelques secondes, le temps que l’absurdité de son entrée en scène ne fasse son effet et –il l’espérait– apaise un tant soi peu les esprits échauffés. En tout cas, c’était certainement comme ça qu’il fonctionnerait si en pleine dispute une chaussure solitaire lui tombait dessus, suivie de près par un idiot à cloche-pied. Mais Robin était peut-être trop simple, ou bien la situation était plus compliquée qu’il ne l’aurait songé, car la stupeur ne dura pas aussi longtemps qu’il l’escomptait et les voix s’élevèrent de nouveau sous les escaliers.

Une petite main s’agrippa à sa chemise, et tout dans l’attitude de la jeune fille lui donnait l’envie soudaine de se faire chevalier ou héros de dessin animé ; avoir quelqu’un à sauver.
C’était donc avec peut-être un peu plus de sérieux qu’à son arrivée que Robin se tint devant celui qu’on lui avait designé comme le méchant de l’histoire, et à la façon dont il attrapa fermement le bras de son adversaire tandis qu’il tentait de retrouver sa prise sur la demoiselle, il aurait presque eu des airs conquérants s’il avait eu ses deux chaussures aux pieds.

« Bah…, il se gratta l’arrière de la tête de l’autre main en s’adressant à l’autre garçon, cherchant ses mots avec la nonchalance que sa fatigue induisait, le truc c’est que c’est un peu mes affaires maintenant que je vous ait vu, ça me ferait chier d’être puni par Rex pour avoir rien foutu alors que tu menaces quelqu’un sous mes yeux, t’as vu ? »

Il baissa les yeux vers la demoiselle au regard implorant –elle aussi semblait sortir tout droit d’un écran de télévision avec ses mimiques, sa gestuelle et la théâtralité de sa voix.

« Qu’est-ce qu’il te veut ? Puis en relevant une fois encore la tête vers le jeune homme. J’suis claqué donc j’ai moyen envie de me battre avec toi mais si tu continues à forcer je te le dis direct, mon étoile je m’en bats la race alors c’est toi qui voit. »

Parce que Robin était comme ça ; prêt à sacrifier le peu qu’il avait pour des gens qu’il ne connaissait même pas dans l’espoir que les autres ne voient plus en lui le moins-que-rien qu’il observait dans le reflet du miroir chaque matin.
Sa prise se fit plus ferme sur son bras, et peut-être, imbécile qu’il était, qu’il se risqua à activer un peu son alice pour que le geste accompagne la parole
et sous sa main s’agitait doucement mais sûrement l’eau de l’épiderme adverse.

« Lâche l'affaire, non ? »

Robin, malgré ses airs confiants, avait répété un nombre incalculable de fois dans sa tête : pitié laisse tomber, pitié laisse tomber, pitié laisse tomber –tout en espérant qu’aucun des deux n’ait un alice pour lire dans ses pensées. Il avait beau se jeter dans l’action sans y songer à deux fois, s’il pouvait éviter un nez en sang et un nouveau passe-droit pour un aller-retour à l’infirmerie, ça l’arrangerait.
Il fut donc soulagé de voir l’autre garçon abdiquer, amer, mais le venin qu’il crachait en s’éloignant lui tira une expression de dégoût plutôt qu’un soupir rassuré.
Il y avait des choses que Robin n’aimait pas entendre ; qu’on suggère qu’il n’aidait les autres que pour en tirer du bénéfice en faisait partie parce que ça touchait presque trop juste –mais pas tout à fait.
Il voulait juste qu’on l’apprécie, pas profiter d’une quelconque dette pour soulager ses pulsions adolescentes.
Et puis bon,
elle n’était pas Gabrielle.

« Gngngn, personne va sucer personne, tocard, il maugréa dans sa barbe en l’observant s’éloigner avant de se tourner enfin vers elle. »

Elle avait lâché son tee-shirt et le remerciait déjà mais quelque chose sonnait faux ; il y avait comme un décalage entre ses mots et son attitude, comme si elle ne pensait aucune parole prononcée, et ça avait le don de mettre le jeune homme en alerte.
Il haussa les épaules, l’air de rien, et pencha un peu son visage vers elle en plissant les yeux comme s’il essayait de résoudre un puzzle compliqué –et sans vraiment respecter les notions basiques d’espace vital mais avec lui c’était parfois beaucoup demander.

« T’es sûre que ça va ? il demanda aussitôt, il t’a pas fait mal ? »

Ah ! il réalisa alors qu’il n’avait toujours pas remis sa chaussure et l’illumination pouvait se lire sur son visage comme dans un livre d’images –il s’éloigna d’elle pour récupérer son bien.

« Tu t’appelles comment au fait ? J’ai pas retenu quand il l’a dit, désolé, fit-il en équilibre alors qu’il remettait sa chaussure. »

Un petit sourire satisfait étira ses lippes quand il baissa les yeux sur ses deux pieds chaussés –l’équilibre était rétabli !– avant de reporter son attention sur la jeune fille, un peu ennuyé.

« Ah moi c’est Robin du coup. Et franchement laisse tomber ton histoire de dette hein, on s’en fout, fit-il en haussant de nouveau les épaules avant de se fendre d’un ricanement idiot. Ou au pire tu me payes un truc au distributeur et on en parle plus haha ! »