Un temps glacial s'exerce. À l'approche de l'hiver. Aux règles qui se voient être renforcées. Sans explications. Sans raison. Seulement des bouts de papier pour vous ordonner. De faire. De vivre. Bientôt de respirer. Contrôlant vos vies comme tu contrôles les âmes qui errent sur tes lèvres, Ama. Des marionnettes en mal de famille. Abandonné. Vendu. Jeté. Rejeté. Des simples déchets desquels l'on vient se débarrasser. Saupoudrer d'excuses pour alléger la culpabilité. Et des nouvelles, belles promesses, qui n'arriveront jamais. Des vies déchues avec lesquelles ils s'amusent. Riant probablement de vous. De votre faiblesse. De vos regards amers qui ne changeront jamais rien. De simples insectes grouillant dans l'antre de cette Académie. Tu as envie de dégobiller, Ama. La rage qui erre au fond de toi. De ce qu'ils ne savent pas. De ce qu'il ne sait pas non plus.


Ils ne savent pas. Les missions que l'on vous confie. Afin de vous rendre moins humains que vous aimeriez l'être. Des monstres en sursis. Que l'on épuise avant d'enterrer. Tu ne te vois pas sortir de cette cage en vie, Ama. Tu sais que tu y mourras. Que tu rendras ton dernier souffle entre ces murs. Pessimiste ou réaliste. Paranoïaque ou lucide. Tu aimerais t'y tromper. Pour qu'il n'ait pas à se poser des questions. Ces questions que vous vous posez en ce moment. Ce genre de question dont les réponses ne viendront que tardivement. Vous avez besoin de savoir. Besoin vital de comprendre. Pourquoi. Pourquoi la vie doit-elle se passer ainsi. Pour vous qui n'avez rien demandé. À qui l'on ne laisse pas le choix.


Un silence vagabonde. Assise sur le dossier d'un banc. Un bonnet bien enfoncé sur les oreilles. Une bague qui jongle entre les doigts. Tu patientes. La venue de ton alter-ego. Relation de longue durée. D'une connexion presque innée. Vous vous ressemblez, Ama. Un peu trop, sûrement. Vous accrochant à la réalité de l'autre. Comprenant que vous vous faites du bien quand vous êtes d'accord. Cet endroit respire l’asphyxie. Vous étouffant. Vous avez besoin de vous révolter. Chacun à votre manière. Il est possible que cela soit malsain. Que votre rencontre ne soit pas de bon augure à la fin. Mais tu n'en as cure. Tu en as besoin, Ama. De savoir que tu peux compter sur lui. Asmo.


« Oh, Asmo. Te voilà. » tu n'as pas besoin de le voir pour l'entendre. Reconnaître le bruit de ses pas. Tu prends garde à ce qui t'entoure, Ama. Parce que les marionnettes muettes se méfient de toi. Parce qu'ils jugent ton existence avant de chercher à comprendre. Une suceur d'âmes. Horrible monstre. Bien pire qu'eux, à leurs yeux. Alors tu as appris. À entendre. À écouter. À analyser. Pour trouver la paix. Mais comme un manque de confiance en toi, tu relèves les yeux. Pour croiser les siens. Qu'ils jugent démoniaque. Pour t'assurer que c'est bien lui. « Viens là, j't'ai gardé une place. Désolée s'il fait froid, j'avais besoin de prendre un peu l'air. J'ai l'impression qu'on nous observe tout le temps quand on est à l'intérieur. » parano, qui sait. « Quoique... tu m'diras y a peut-être des micros dans les bancs et qui sait, une caméra dans la fontaine... » pour garder un œil sur les rebelles.

Des reflets. Des orbes similaires. Loin de leur couleur, mais de ce qu'ils racontent. La haine, la colère et la froideur. Celle qui ne se dirige que sur les autres. Ils ne comprennent rien. Les soumis, les incapables. Ils ne comprennent rien. Les bien-heureux, les imbéciles. Ils ne comprennent rien à ce qui vous entourent. Ce qui vous rongent. Ce qui vous détruit en secret. Des planètes différentes dans une même académie. Vos mondes sont bien éloignés, Ama. Votre monde est bien éloigné du leur, mais pendant une brève seconde, vous y êtes libres. Vous croyez à vos espoirs. À votre soif de liberté. Vous y croyez comme les enfants croient à la magie de Noël.
Cet homme vêtu de rouge et blanc.
Une main vagabonde vient se perdre. Sur son épaule. Agrippant sa veste de tes doigts fins, fébriles. Ce contact qu'ils vous interdissent. Ici, vous n'en avez cure. Ici, vous enfreindrez les règles. Parce que c'est tout ce qu'il reste à faire. Et un léger rire, éphémère, s'échappe de tes lippes. « J'te reconnais bien là. » vague murmure égaré. Égal à lui-même, un sentiment plaisant remonte ta trachée, Ama. Parce qu'il est là, si près de toi. Ce garçon que tu considères comme la seule famille qu'il te reste.


Doucement, ta tête vient se poser sur la sienne. Brièvement alors qu'il sort ce morceau de papier. Qu'il commence à le lire. Des règles. Encore. Absurdes, vous privant du peu qu'ils vous restent entre ces murs. Il cherche ton avis sur la mise en garde de vos Alices et une moue prend forme. Relevant les yeux sur le ciel voilé. Un silence s'installe malgré toi. Repassant les derniers événements en date. « … Je ne sais pas... mais ils parlent d'effets diminués et le fait qu'on ne puisse plus s'approcher limite... est-ce que quelqu'un n'aurait pas disparu dernièrement ? Quelqu'un a peut-être vu son Alice diminuer sans raison ? Ou alors cette personne est malade ? » une réflexion fait son chemin. Laissant l'imagination et les suppositions prendre le pas. « Enfin... peut-être plusieurs ? Si ce n'était qu'une seule personne, je ne vois pas pourquoi nous serions en quarantaine... ce ne serait pas logique, non ? Je veux dire, dans les séries il y a des quarantaines quand un groupe de personnes est touchées, non ? Quelque chose est forcément arrivé dernièrement pour que ce soit mis en place. » les séries. Celles que tu aimes tant. Ces mondes alternatifs ou imaginaires. Ceux qui tendent à faire rêver. À faire croire que tout est possible avec de la volonté. « Tu crois... qu'il y aurait un genre de virus ? » tu penches le regard sur lui. Interrogative.


C'est la panique qui risque de voir le jour. Si tu as raison, Ama, ce virus pourrait créer un mouvement de foule. Incontrôlé et incontrôlable. D'enfants ayant peur de perdre ce qui les rends uniques. Ce qui vous enferment, pourtant. « J'arrive pas à voir clair dans tout ça... je veux dire... si c'était un virus, est-ce qu'on passerait pas des examens ?... » Un pied bat la mesure. Une mesure lente et distordue. Sur le bord du banc, il s'agite à mesure que les idées défilent. À mesure que les suspicions prennent le relais. Tu ne sais que penser de cette situation. Elle semble sans queue ni tête pour des enfants ignorants.

Son monologue s'élève. S'étire. Et attire inexorablement le silence de ta part. De temps à autre, un muscle se tend. Un muscle facial s'effrite sous ses dires. Il a raison. Il a raison et tu aimerais pouvoir le lui dire. Tu aimerais avoir la chance de pouvoir le lui confier. À quel point, malgré son manque de liberté, il est préservé. À quel point, quelque part, cela te soulage de savoir qu'il n'a pas à le porter. Ce fardeau qu'ils font peser sur vos épaules déjà presque résignées. Le sang qui s’enlise entre tes doigts, Ama. Il serait plus juste de parler d'âmes à ton égard. Celles que tu as volée. À des êtres humains. À des hommes. Des femmes. Celles qu'ils ne retrouveront jamais.
Parce que tu ne rends pas.
Le regard fixé sur le sol. L'air absent. La mine sombre. C'est le silence et la sensation de son regard qui attire le tien à nouveau. Ne rien laisser paraître. Ne rien laisser entendre. Pour sa sécurité avant la tienne. « Hum.... ce n'est pas si bête en soit. » répondre avec des pincettes sans tout renier en bloc. Pour ne pas éveiller ses soupçons. « Après tout... comment ils ont l'air d'avoir énormément de droits et sans l'aide du gouvernement ou un truc comme ça... j'vois mal comment ils pourraient vraiment y arriver. J'veux dire, certains enfants sont là parce qu'ils ont été livrés par leur famille, d'autres sont venu d'eux-même et beaucoup ont été arrachés à leur foyer. » c'est une évidence qu'il serait difficile de nier. Tu le sais. Il ne doit pas se douter de ce que vous faites. Vous, les gamins à part. Triés sur le volet. Comme le bétail que vous représentez. « Ils pourraient pas faire tout ça si quelqu'un de plus haut placé n'était pas derrière eux.... » et même si tout cela est vrai, il n'en reste pas moins le mystère. Le mystère de toute cette mascarade.


« Mais.... même si tout ça est exact, ça n'explique pas pourquoi ils ne font rien.... j'veux dire si on est vraiment une armée de super soldats ambulants, pourquoi est-ce qu'ils laisseraient faire sans rien bouger justement ? » malgré tout, ça ne te semble guère logique cette histoire. Ce qui arrive, ce qui n'arrive pas. Ce qui se dit, ce qui ne se dit pas. Comment trouver le vrai du faux. Démêler le bourbier qui se terre en secret. Et soudain une nouvelle idée s'agrippe à toi. Levant un doigt en sursautant légèrement. « C'est quelqu'un ?... imagine, ça arrive que certaines personnes développe un Alice en rapport avec le leur, donc t'imagines si en fait... c'est quelqu'un qui a soudainement vu un Alice pouvant diminuer les autres, arriver ? Peut être qu'ils ne font que nous observer pour savoir de qui il s'agit ? » cela semble irréaliste maintenant que tu le dis. Mais n'êtes-vous pas vous-même un peu irréels ? Perdu à mi-chemin entre l'être humain et l'anormal.
Mi-monstre, mi-ange.
Une main se perd dans la crinière. Ébouriffant cette dernière en râlant. Accompagné d'un son nasal bruyant. « J'sais pas... tout me paraît plausible et en même temps complètement débile... » rien n'a de sens, mais rien n'en a jamais eu à ton goût. La vie elle-même ne semble parfois ne plus en avoir.

Tu ne sais plus. S'il est de mise d'être sincère. S'il est nécessaire d'être toujours enfoui sous les secrets. Tu ne sais plus ce qui doit être fait, Amaryllis. Si tu pouvais parler, délier ta langue scellée, que dirais-tu ? Y arriverais-tu ? Avec les années de souffrances. Les années d'obligations. Il est devenu plus aisé de tout camoufler. De tout enterrer. De tout supporter. Avec ce poids immense sur vos épaules. Vous, les enfants armes. À disposition des plus grands. Sans consentement. Sans permissions. Sans contrat. Vous existez donc vous êtes à eux, point final. Serais-tu capable de le lui expliquer, si tu pouvais ?
Sûrement pas.
Alors tu es heureuse de voir qu'il ne remarque rien. Voilé par l'impression de ne pouvoir regarder les autres dans les yeux. Tu aimerais qu'il ose avec toi. Qu'il se laisse aller à oublier ce fardeau. Mais pour une fois, cela te sert bien, Ama. Qu'il ne voit rien. Écoutant simplement tout comme tu le fais à présent. Attrapant le paquet qu'il te tend. Enroulant un morceau de cancer entre tes doigts. Tirant simplement cette bouffée que tu aimerais mortelle immédiatement. « Ils ne diront rien, oui. On le sait déjà ça. Et si on s'approche trop de la vérité ils feront peut être même quelque chose pour nous en éloigner.... hum... Après est-ce qu'un alice comme ça pourrait vraiment exister ? » quelque part cela paraît trop grand. Trop imposant.


« Si quelque chose du genre existe réellement.... on est mal barré. » et tu le sais. Avec la classe dangereuse. Et cet Alice ne doit pas y être, il ne doit pas exister. Tu ne veux pas y penser, Ama. Préférant tirer sur ton cancer à nouveau. Laissant une fumée blanche s'échapper lentement. « Une maladie ne serait pas plus plausible au final ? Ou quelque chose dans le genre ? Comme un virus que quelqu'un aurait introduit ? C'est peut être pour ça qu'il y a toutes ses règles maintenant ? » cela te semble plus réaliste à ton sens, mais en même temps les Alice restent quelque chose d'inconnus. Vous ne pouvez pas tous les connaître. Tous les voir. Tous les appréhender. Vous ne pouvez pas tous vous rencontrer. Alors qui sait finalement.
Qui sait.
Allongeant tes jambes, tu t'étires à nouveau. Observant le ciel voilé un instant. « Au final... on est pas grand chose, mais heureusement qu'on est deux ! » un petit sourire étire également tes lèvres. Parfois, tu as besoin de le dire à voix haute. Pour alléger ton monde. Rien qu'un instant. Pour la vie du meilleur côté. « Enfin... tout ça ne nous fait pas vraiment avancer... ce n'est pas comme si l'on avait un quelconque indice qui puisse nous aiguillier sur une piste ou une autre... » terrible de ne rien savoir. De n'être que des enfants. D'être simplement des prisonniers.