toutes les peines, tous les maux : il faut les effacer. il n'est pas question de les enfermer en cage, réduire le malheur en le dissimulant sous un tas de bonnes choses comme vanter la propreté des couloirs pour faire semblant de ne pas voir que les larmes qui ont coulé dedans n'existent pas.
c'est trop simple. c'est trop vain. ce n'est voué qu'à un temps, faire semblant : on ne peut pas le faire toute une vie car sinon on finit par oublier, et orion ne peut pas soustraire le vice autour de lui pour sembler exister dans le meilleur des mondes. non il ne peut pas - car il l’aime trop, cette laideur à élucider.

dans sa petite routine sainte, il a bien calibré la rencontre dans son agenda, il a une heure entre la fin de son cours et le rendez-vous dans le bureau du conseil, cela lui permet d'arriver tranquillement, gérer son temps si quelqu'un décide de lui parler soudainement dans les couloirs, et de trier les documents du jour.
oui tout va bien dans le meilleur des mondes, tout semble s'enchaîner avec un naturel plat déconcertant. il range bien tranquillement ses affaires dans son sac en réexpliquant à un camarade une notion incomprise du cours de biologie auquel il vient d'assister, puis attrape son sac bien rectangle bien droit, dans un cuir qui ne fait mine de jamais s'user.

mais alors - il n'imaginait pas. mais alors il ne voyait pas la possibilité même que maria vienne la chercher, et se laisse surprendre pendant quelques secondes. son regard traverse le sien et comme d'habitude, il ne semble rien voir, n'émet aucun jugement sévère, ni aucune amitié. ils disent maria laide et c'est bien ce qui le fait tourner le regard habituellement, pour accrocher ses mirettes à son derrière bien rond - et comprendre en quoi son être tout entier la rend ignoble comme ils le disent.
parce qu'il ne voit en maria qu'une violence, et qu'il trouve intérêt en elle que parce qu'elle fait détourner les yeux comme le soleil quand on le regarde trop longtemps. les autres font mine de ne la fixer que par moquerie mais orion ne s'abaissera pas à ça, il la fixe car il la trouve fascinante et qu'elle regorge de nuances qu'elle veut effacer sous ses airs animaliers.
bonjour matriona. la prononciation des r est maîtrisée. je ne pensais pas que tu viendrais aussitôt, et surtout à la sortie des cours. il a repris contenance, la surprise n'aura duré qu'un instant. lui aussi continue à la regarder, et s'il ne sourit pas ce n'est par méchanceté - c'est qu'il n'en voit pas l'intérêt. ça ne te dérange pas qu'on aille vers la salle du conseil, plutôt ? on y sera plus tranquilles.

elle dégurgite les paroles, maria semble vomir son être à chaque instant, tout sort de son être trop lourd - sans jamais, ô grand jamais, s'alléger. alors maria est aussi difforme qu'orion est carré, elle se tasse tout autant qu'orion s'élance et dans ce couloir l'on dirait davantage un duo comique que deux êtres destinés à se regarder sérieusement - ah mais orion ne le voit pas tout cela. dans son étrange neutralité qui flanche davantage vers l'admiration, il ne se rend sûrement pas compte de l'utopie dans lequel il souhaite fonder ses idéaux, et à quel point il est idiot d'imaginer que maria puisse se complaire autrement que dans sa propre mélasse.

je ne souhaitais pas t'offenser. il annonce simplement. il ne s'excuse pas, orion ne s'excuse que pour les choses importantes : une histoire de prénom n'en vaut pas la peine, il faut donner de la valeur aux mots et la notion de pardon ne vient s'appliquer que pour ce qui heurte vraiment le coeur. et pour l'instant maria ne semble pas offensée dans sa carapace épaisse.

et il ne comprend même pas la quelconque allusion qu'il pourrait y avoir derrière la notion de tranquillité, il ne voit pas l'illogique sous-entendu de la fièvre sensuelle - ou même sexuelle, qui va clairement à l'encontre de sa tranquillité à lui. il s'avise de lui adresser une oeillade torve, toujours incroyablement impassible, et répond en posant délicatement son bras sur les épaules de maria, comme elle lui semble fragile !, quand elle bouscule - ou plutôt lui semble-t-il que c'est plutôt elle qui est bousculée. une récompense ? à quoi t'attends-tu ? je ne suis pas là pour jouer. si la salle du conseil te semble trop loin on peut se poser dans une classe, tu préfères ?

ce n'est pas qu'il est gentil, c'est qu'il est juste. pour l'instant maria ne lui a causé aucun tort, alors il n'a pas de raison d'afficher une quelconque sécheresse ou cruauté. non il se pare de sa simplicité. il ne la regarde toujours que du coin de l'oeil.

voyez-vous on n'ose jamais perturber le rythme inlassable d'orion, ou du moins il ne se laisse plus aucune faille assez humaine pour que cela soit possible.

ou bien est-ce le contraire ? orion est peut-être à lui seul une immense faille de l'humanité - si bien qu'on peine à plonger dedans car elle est trop lumineuse, éclatante et qu'on ne sait pas quoi y trouver dans le contrebas.

dans tous les cas il est rare que l'audace naît car il sait intimer d'un regard, il sait faire taire d'une parole, sa carapace est d'apparence bien dure, il n'y aurait pas d'amusement à tenter de le frapper - juste des retombées potentiellement, qui, elles, n'ont rien d'amusant.
pourtant orion est venu se frotter à ceux qui n'ont rien à perdre, à ceux qui s'en fichent de perdre leur temps qui est infini et inutilisé dans cette académie à tenter de créer une fissure dans son armure de plomb. et non pas de diamant, car orion reste un jeune homme de dix-huit ans doué de sentiments, et s'il était fait de cette pierre incassable (mis à part par un autre diamant) il n'aurait pas la sympathie humaine de tenter de relever ceux qui lui semblent à terre. et c'est en invoquant cette sympathie qu'il espère les toucher donc, et les convaincre de ne pas tenter de les blesser, lui qui vient sans lame.

il ne sait pas vraiment s'il s'y attendait à ce que cela arrive. la petite graine de la trahison germe, mais une autre aussi - et il ne reconnaît pas cette fleur qui risque d'éclore s'il se laisse trop aller. éperdu mais ses yeux ne sont pas encore alertes, étrangement il n'éprouve pas la situation : ce n'est pas familier non, et il a un peu peur, mais il n'en sera pas hanté pour l'instant. ou si - mais pour toute autre chose, pas dans un plaisir sexuel non mais dans une contemplation morbide, un de ses tableaux qu'il affectionne secrètement. son horreur à lui et dedans il doit bien y avoir quelques scènes qui ressemblent à cela.

c'est de l'harcèlement sexuel. tu ne devrais pas faire ça, cela pourrait se pousser autrement, tu sais. il ne le dit pas avec véhémence, il ne sait même plus s'il a envie de le dire. c'est dans l'ordre des choses.

orion dirait sans ciller qu'il ne veut pas de l'obscurité. ou justement ne le dirait-il pas, car personne ne lui demanderait - puisque c'est évident, n'est-ce pas..? que jamais ne se dessine dans ses abysses la salubrité du vice. et maria parle beaucoup. et orion est toujours au sol, un homme à terre ! mais il ne veut pas de renfort, il se conforte dans ce tête-à-tête troublant où il demeure dominé. s'il était impotent il lui dirait que l'harcèlement sexuel relève de pulsions qui n'ont rien à voir avec le désir, que c'est plus profond et qu'elle pourrait violer son âme sans même éprouver une once d'attirance pour lui. mais s'il le faisait, elle risquerait de continuer dans sa lancée monstrueuse
alors il ne dit rien.

il l'observe du bas, se mouvoir, vivre, respirer - la poitrine se soulève et il voit à peine ses yeux sous cet angle. il se met sur ses coudes pour se relever un peu, ne pas succomber à une quelconque humiliation. est-ce que tu te rends compte que ça ne me fait rien ? c'est stérile. comme discussion, comme situation - il continue, ne s'arrête pas en si bon chemin, croisant ses yeux. si tu ne comptes pas d'efforts, entendre ce que je vais dire, tu peux partir. il reste calme, montre qu'il ne sera pas détruit par la situation. il pourrait rester là longtemps - orion ne se laisse pas avoir par la honte, il imprime plutôt chaque seconde pour pouvoir se les remémorer plus tard - mais c'est un secret.