Cela faisait un quart d’heure que Robin, penché sur son portable s’acharnait à épuiser la faune et la flore de son camping afin d’avoir les ressources nécessaires pour satisfaire les demandes incessantes des animaux bavards du coin. Il avait téléchargé Animal Crossing la semaine dernière lors d’une nuit sans sommeil, désespéré de ne rien avoir à faire, et le jeu s’était révélé incroyablement utile pour se vider la tête, ainsi il avait continué d’y jouer. Si au début il s’était montré plutôt discret de peur qu’on se moque de lui à jouer à un « jeu de fille » il avait fini par dire merde à ces inhibitions idiotes et désormais il n’était pas rare d’entendre le jingle caractéristique du jeu résonner chaque fois qu’il était dans le coin.
Il était si concentré qu’il n’avait pas entendu la demande d’Ace tout de suite ; ses mots entrèrent par une oreille, ressortirent par l’autre aussitôt, et ce ne fut qu’à la deuxième phrase de son camarade qu’il réalisa qu’on lui parlait et ce fut suffisant pour briser sa concentration.

« Putain, j’étais à deux doigts d’avoir le requin ! Ace tu me dois treize mille clochettes ! »

Il se retourna vers son ami, un air renfrogné au visage, et en baissant les yeux vers le portable qu’il lui tendait, il lui fallut un instant de plus pour se souvenir de ce qu’il venait de lui demander.

« Pourquoi tu veux le numéro de Gabrielle ? fit-il en plissant les yeux, tentant d’avoir l’air neutre mais incapable de dissimuler la suspicion dans sa voix. »

Robin n’était pas le genre d’amoureux à faire obstacle à tous ceux qui pouvaient porter le moindre intérêt à celle qui occupait ses pensées ; mais son crush sur Gabrielle n’était plus un scoop pour personne depuis des mois –depuis le début en vérité– et il lui semblait un peu étrange qu’un ami tel qu’Ace lui demande un telle chose…

Étaient-ce là les prémisses d’une rivalité lycéenne sans pitié ??

« Je te les rendrai quand je téléchargerai le jeu.
— Mens doucement hein, répondit Robin en fronçant le nez, loin d’être heurté devant le ton cassant d’Ace –il avait appris à faire avec. »

Ace qui jouerait à des jeux sur son téléphone ?? On aurait tout vu. Même Robin n’était pas si dupe.
Une expression étrange s’installa brièvement sur son visage quand l’adolescent lui demanda pourquoi il avait besoin du numéro de sa douce, et s’il n’était pas assez futé pour y lire la gêne certainement ressentie par Ace à cet instant, Robin devina quand même, dans la perspicacité qui lui était toute particulière, que quelque chose était bizarre dans tout ça.

« Hm... J'ai cru comprendre qu'elle voulait le mien alors je vais lui envoyer un message vu que je ne la croise pas depuis quelques jours.
— T’es bizarre toi, on la voit souvent au volley pourtant. »

Robin le savait très bien puisqu’il passait la moitié de ses entraînements à la regarder –et le reste à se faire engueuler par Elyas pour manquer de concentration.

« Tu… »

Aïe, voilà l’appréhension qui arrive avec ses grands sabots et ses coups de latte dans les tripes.

« Tu la connais bien toi, Gabrielle ? »

Il estimait que non puisqu’il n’avait même pas son numéro de téléphone mais préférait tout de même être rassuré à haute voix ; et puis être proche d’elle ne voulait pas forcément dire qu’il éprouvait à son égard les mêmes sentiments que lui…
…pas vrai ?

« Bizarre je ne sais pas. »

Si t’es carrément bizarre mon vieux, pensait Robin en son for intérieur –il le pensait si fort qu’il l’avait peut-être grommelé dans sa barbe inexistante. L’adolescent avait l’habitude que son ami aille droit au but avec lui, et le voilà qui prenait d’un coup des sentiers détournés. Malheureusement pour lui, Robin n’avait que du flair dans ses choses là, et rarement la capacité d’analyse qui lui aurait permit de mettre les mots exactes sur l’étrange tension qu’il ressentait.
Alors tant pis, il haussa les épaules, hâtif de passer à autre chose.

« Tu trouves ça plus normal d'être collé à elle dans n'importe quelle situation, même celle qui imposerait une distance respectueuse ?
— Ça va détends toi hein, c’est pas ma faute si t’es trop coincé pour faire des trucs simple comme dire bonjour gentiment –Robin râlait, mais en son cœur ne s’agitait aucune forme de ressentiment ; l'imbécile, il l'ouvrirait moins grande s’il savait– en plus, techniquement je la colle pas tout le temps, hein, il ajouta un octave plus bas, comme s’il s’était senti tout particulièrement visé par la remarque. »

Il était plus conscient qu’on ne voulait bien le croire de lui de la façon qu’il avait de toujours trouver un prétexte pour s’approcher de Gabrielle et lui parler –mais il ne fallait pas abuser quand même, il n’en n’était pas à l’attendre devant la porte de sa chambre ou des toilettes comme un détraqué !

« J’irai pas dire que je la connais mais... C'est en cours.
— Eh j’comprends rien à ton histoire tu parles en énigmes, ça me saoule –il abandonnait vite, quand la réflexion ne suivait pas– tiens c’est dans mon tel’, fais vite parce que j’ai toujours mon tournoi de pêche à gagner, hein ! »

Et parce que Robin faisait confiance à ses amis, les yeux fermés, il lui glissa son téléphone déverrouillé pour qu’Ace puisse y trouver l’information qu’il cherchait.