La pesanteur de l’atmosphère, les nuages lourds de pluie prête à éclater, l’odeur de la mousse humide du chemin ; et ses pas dans l’herbe plus longue que ses chevilles. Maria avait toujours eu une démarche extrêmement déterminée, balançant nonchalamment son bras gauche de haut en bas, du ciel à la terre, la main droite fermement agrippée à son sac rempli de merveilles accumulées dans la journée. Elle ne pouvait pas s’en empêcher : elle passait son temps à ramasser un caillou qui lui paraissait étonnant, à retourner dans sa chambre récupérer un paquet de biscuits à la pistache, et puis une barrette sertie de petits brillants plus factices les uns que les autres. Et son pistolet à bulles. Un sandwich acheté, à peine entamé, parce que les tomates ont trop imbibé le pain aux graines et qu’au fond rien ne vaut un énorme panini au basilic et à la mozzarella.  

Cette fois, Maria avait d’autant plus de trésors. Elle faisait toujours plus attention lorsqu’elle décidait d’aller embêter Gaspard entre les allées des serres, parce qu’elle se doutait qu’il n’aurait rien prévu pour sa propre survie au cours de la journée. Alors elle avait emporté une dizaine de pansements rayés de couleurs pastel, des chips craquantes au poivre, de la sauce salsa un peu fade parce qu’elle n’était plus certaine de s’il appréciait l’épicé ou non, du thé glacé dans un thermos argenté, des verres en plastique marqués de fleurs noires. Deux sécateurs, des gants épais pour jardiner, son cahier où elle notait assidument chaque leçon que lui prodiguait Gaspard sur toutes les plantes qu’elle savait regarder, aimer mais jamais reconnaître. Elle se plaisait à penser qu’elle apprenait quelque chose, bien qu’elle ne retienne jamais qu’un dixième de ce qu’il pouvait bien lui raconter.

Autant dire qu’au moment où elle bouscula l’une des portes en verre recouvertes de poussière, le bruit de son sac sur les carreaux explosa dans le silence paisible des centaines de plantes en pleine croissance. « Mince alors, j’espère que la sauce n’a pas éclaté… », et de farfouiller dans son sac en continuant à grommeler des insultes envers les portes trop difficiles à ouvrir. Rassurez-vous, la sauce était encore en parfaite forme, bien à l’abri au creux de sa paire de gants. L’avenir leur révélerait si les chips pouvaient en dire autant ; un peu de surprise ne ferait de toute façon aucun mal à ce goûter.

« Gaspard, t’es là ? »

Le regard toujours plongé dans les tréfonds de son sac à désormais s’assurer qu’elle n’avait pas oublié les pansements, elle avança le long de l’allée terreuse, attendant de tomber sur le corps trop grand et les cheveux trop blonds. Son pied buta sur un arrosoir en fer plein à ras bord, renversant une partie de son contenu au passage, et elle finit par lever les yeux pour sourire entièrement à Gaspard.

« Désolée pour la cacophonie, promis c’est fini ! J’ai apporté le goûter et de quoi travailler très sérieusement, vraiment. Je ne te dérange pas ? Je suis trop contente de te voir, j’ai fait mille choses aujourd’hui je suis presque épuisée ! Qu’est-ce que tu fais ? »

Tout en babillant, elle sortit ses affaires les unes après les autres dans un entassement d’outils de jardinage, de matériel de premier secours et de repas improvisé. Elle n’en faisait jamais trop pour ne pas vivre en silence. Le bruit de la première pluie sur le toit cristallin confirma l’idée merveilleuse qu’elle avait eu d’aller aider Gaspard à jardiner dans la serre surchauffée.

Elle adorait Gaspard, et elle adorait le bruit de la pluie.