carmen n'a rien à perdre. ni des étoiles, ni l'occasion d'avoir une bonne note. elle croit fermement au fait que de toute manière, ezéchiel finira par faire le travail pour deux et qu'elle n'aura qu'à le regarder faire sans broncher ni aller à l'encontre de sa volonté quant aux décisions à prendre à propos de leur projet.
elle a sorti son cahier de brouillon où quelques notes traînent pour au moins faire un rien semblant et surtout où elle s'occupe à colorier des fleurs dessinées paresseusement et qui ont le mérite d'être au moins un peu jolies. quand ezéchiel brise le silence, elle relève à peine son nez mais écoute tout de même ses plaintes, fronçant ses sourcils au fur et à mesure. son crayon rose qui grattait la feuille jusqu'ici s'arrête et ses yeux remontent jusqu'à son visage à lui, ses cheveux encadrants toujours droitement son minois. ses lèvres couvertes de rouge à lèvres carmin se plissent et elle relâche ce qu'elle tenait dans un bruit mat, ses ongles rongés venant rencontrer le bois de la table sans agressivité. c'est donc d'abord un silence, ponctué de micro-gestes comme celui-ci, puis une poursuite de son activité initiale.

sans se soucier de sa propre insolence, elle recommence à dessiner, le visage dissimulé par le rideau de sa chevelure. tu n'as pas à me parler comme ça. elle réclame à juste titre d'après elle, et ne semble pas déterminée à faire un effort de plus malgré la réprimande agressive. de toute manière peu importe ce que je compte te dire, tu vas garder ton idée initiale. donc ça ne sert à rien. donc laisse-moi tranquille.

ses doigts se serrent encore tout autour de son crayon qu'elle pourrait lui enfoncer dans l'oeil pour le faire taire - elle chasse vite cette possibilité. elle glisse des mèches de cheveux bien souples derrière son oreille pour apercevoir ezéchiel, un rien nerveuse par la situation.
c'est aussi qu'elle ne s'en pense pas capable, qu'elle ne voit pas en quoi elle réussirait mieux que lui - et que non elle ne peut pas prétendre s'illustrer génie auprès de lui. dans un mouvement las elle récupère un livre ouvert par ezéchiel à la bonne page, préférant se perdre dans les lignes sans comprendre un mot plutôt qu'affronter son regard. ses doigts passent sur l'encre et elle fait bien semblant d'enregistrer des informations, résolue à ne pas ouvrir la bouche sur le sujet même si elle semble s'informer. ça ne me dérange pas de travailler avec toi si tu es tout seul, sans tes amis je veux dire. ce n'est pas une petite voix, pas un demi-aveu, non elle est confiante quand elle dit ça en calant sa tête contre sa paume pour la maintenir. t'es différent et moins agressif. elle ne sait pas si c'est là le
bon terme mais suppose que cela fera l'affaire pour faire passer l'essentiel de ce qu'elle pense.

ça arrive que je te fasse profondément chier ? carmen demande, piquée à vif. elle n'a que faire de la suite de ce qu'il dit. à vrai dire elle s'en fiche bien de ce devoir, bien des conséquences que cela aura si elle arrive devant le tableau sans savoir quoi dire. elle laissera ezéchiel la rattraper et il sera doublement félicité pour avoir su réagir face à l'urgence.
elle abandonne définitivement l'idée d'essayer de lire au moins une ligne et se redresse en s'appuyant sur le dossier de la chaise scolaire. ses bras se tendent dans le mouvent et elle
a les mains à plat sur les pages pleines de mots. c'est eux qui te disent de penser ça de moi ? c'est car je suis pas comme vous ? si son ton est inflexible, carmen a toujours des tempêtes dans le coeur qu'elle retient pour l'instant. pas de drame - cela ne sert à rien, n'est-ce pas. pas de conclusions hâtives qui lui feront du mal là où devrait tout aller bien.

ezéchiel lui aurait dit n'est-ce pas, alors pourquoi se sent-elle à ce point concernée par l'idée affreuse d'un complot dans son dos ? de murmures effacés à ses oreilles alors qu'elle fait tout bien pour éviter les regards trop cruels d'ezéchiel - oui il n'y a pas de raison, alors pourquoi se sent-elle obligée de le fixer avec des prunelles légèrement écarquillées, comme un animal pris dans les phares ?

ils ne se comprendront jamais complètement car ils n'ont pas envie de mettre l'effort nécessaire. ils ne sont pas à deux doigts de le faire, il n'y a rien de tragique non plus dans cette manière de se regarder sans toujours se voir - juste la banalité d'adolescents ne pouvant entretenir des liens passionnés avec chaque personne qu'ils croisent.

carmen prend toutefois à coeur ce conflit et reste encore immobile en écoutant ezéchiel qui a toujours beaucoup à dire, beaucoup exprimer car lui aussi dit tout ce qu'il pense. ces oiseaux de malheur ne connaissent pas les filtres, je ne sais pas si je te trouve chiant. ce n'est pas le terme qu'elle mettrait d'instinct pour qualifier ezéchiel ou même qualifier quiconque. car il n'y a pas de mensonge et c'est ce qui l'atteint le plus. ses mains glissent de la table à ses cuisses et elle fixe sans discerner les lettres ce qu'ezéchiel écrit à toute vitesse. on s'en fout de la date. elle ne se penche pas, ne fait même pas semblant de récupérer le livre en question ; presque penaude. tu changes de sujet comme de chaussettes. elle constate - toujours. ça ne lui plaît pas, sinon elle ne le dirait pas.

la réponse est aussi simple que la question : c'est-à-dire que rien n'est complexe quand on ne ment pas, l'on se confronte simplement sans chercher à mettre d'artifices inutiles pour adoucir les angles - et l'on déclare en attendant la réaction de l'autre. donc c'est tout, elle le regarde chercher des réponses, sans bouger ses fesses. de l'extérieur, il est flagrant qu'elle ne fait rien et ne cherche même pas à se faire guider - seulement à en finir sans produire le moindre effort pour un exposé dont elle n'a rien à faire. ce n'est même pas si le sujet l'intéressant, si elle était en duo avec quelqu'un avec qui elle se sentait profondément bien - non elle subit cette condition, esseulée et prisonnière d'ezéchiel. mais ce dernier point, elle ne veut pas en entendre parler car carmen aime se croire libre bien qu'elle ne le soit pas ; pas de limites à l'horizon, elle fait ce qui lui chante quand elle le veut, prudente face à la moquerie.

ses yeux se plissent imperceptiblement avec agacement (car elle ne connaît pas l'indifférence) et elle répond un peu plus sèchement. ce n'est pas car tu as trois étoiles que c'est toi qui décides quand je dois prendre une pause ou non. sans réellement remarquer ou se rendre compte réellement de l'absurdité de la situation pour elle qui ne travaille pas ; en cet instant, elle en oublie les rapports de force. puis c'est toi qui détournes le sujet comme un idiot alors que tu veux aller vite. elle, elle se contentait de colorier sa fleur jusqu'ici.

ezéchiel donne toujours des impressions d'indifférence, arrive à rendre d'un regard, d'un soupir, insignifiant aux yeux de tous. elle le voit au moment où il prononce ces mots, elle le voit à sa manière d'agir, suggérant bien qu'elle regroupe d'elle-même tous les critères qu'on octroie aux nuisibles.

carmen se penche, s'appuie sur la table et quand elle recommence à colorier, sa mine menace de casser sous le poids de sa frustration d'être traitée ainsi - car carmen n'a jamais assez d'attention et qu'ezéchiel en a trop peu à lui donner. je pourrais faire semblant d'en avoir quelque chose à faire de cet exposé. mais ce n'est pas comme si tu faisais semblant d'en avoir quelque chose à faire de moi. on remet sur le pied d'égalité toutes les sincérités, remet des mots dessus pour faire comprendre qu'il y a une part du problème des deux côtés, qu'on n'est pas la seule fautive dans cette histoire qui n'a jamais vraiment débuté. à son tour un soupir s'arrache d'entre ses lèvres et elle laisse retomber le crayon d'un geste vain et agacé, exactement comme au début de la discussion : tout cela ça ne mène à rien.

non elle ne pense pas. enfin peut-être que si en réalité, l'amour des autres est un moteur qui lui a permis de survivre jusqu'ici et sans ça - elle se dessécherait avide des autres et le coeur solitaire. elle est à deux doigts de lui retourner sans agressivité la question (et moi si je travaillais, me donnerais-tu de l'attention ?) mais elle reste en suspens dans son esprit, sans jamais traverser la cloison de sa gorge. malgré les sentiments à l'égard d'ezéchiel, aussi divers qu'éparpilles, éparses et sans constance, carmen n'est pas terrassée par ses colères habituelles car malgré lui, le blond possède des allures de soleil de printemps qui viennent apaiser son coeur et ses envies de conflit perpétuelles.

alors elle est bien calme, ne se lève pas, n'envoie pas valdinguer son ordinateur onéreux ; tandis qu'ezéchiel agit en reflet éloquent, à peine plus expressif. je ne prends jamais les gens pour des cons. et elle ne ment pas, ezéchiel n'est pas une exception. carmen a le mérite d'estimer chaque avis, chaque personne qui interagit avec elle, même les plus méprisables. je pense que oui, pour répondre à ta première question. elle est toujours immobile, a visiblement terminé sa réflexion pour lui offrir une réponse réfléchie dont elle n'était pas sûr de l'aboutissement quelques minutes auparavant.

sur la satisfaction d'un accord tacite - de sa présence et de son calme, et donc du fait qu'ezéchiel s'adonnera au travail en solitaire, carmen n'a pas à donner son avis. il est toujours étrange de naviguer tout près de lui et de trouver des échos étrangers à sa propre personnalité. elle hurle contre l'hypocrisie mais se surprend à craindre quelques sincérités à son nom car, il ne mâche jamais ses mots.

elle ne remarque même pas le privilège de son nom et l'indulgence d'ezéchiel à son égard tandis qu'elle retourne vaquer à son occupation, le coloriage, de manière insouciante.