carmen a besoin de s'isoler. respirer le grand air des toits, sentir le vent frissonnant dans ses cheveux qui s'étalent tout contre sa peau encore un rien juvénile - carmen ne sait pas si elle a hâte d'être adulte. car les adultes ont une fausse liberté mais ici aussi elle est enchaînée en rat de laboratoire ; il lui semble que chacun de ses gestes sont observés et qu'elle ne peut échapper à la fatalité des rumeurs.

ils lui veulent du mal et elle ne peut rien y faire. juste lutter, encore et encore. mais pour cela il lui faut une énergie épuisée jusqu'ici, il faut qu'elle s'apaise pour retrouver la force de soulever tous les maux du monde solitairement. ce n'est pas grave, ça ne la dérange pas - il faut qu'elle s'y fasse.
quand elle ouvre la lourde porte, sa peau frissonne et sur ses lèvres des cheveux viennent se coller ; elle les dégage de deux doigts las, s'avançant sans trop se soucier de la silhouette déjà présente. elle ne veut pas se battre contre le monde aujourd'hui carmen - non elle veut échapper aux inflexions terribles d'autrui.

pourtant ça ne rate pas car amélie vient jusqu'à elle pour apposer son regard de reine d'un royaume dont elle ne connaît ni les secrets, ni les sentiers ; elle ne la craint pas mais s'en méfie. ses yeux se relèvent naturellement pour se planter dans ceux de sa camarade et il faut un temps pour répondre. c'est étrange comme remarque - c'est vrai, pourquoi s'attarder ainsi à souligner une évidence que personne ne nie, pas même elle ? carmen échappe à l'humanité sauvage en s'attardant à son tour dans le ciel - puis revient sans hargne. sa voix n'est pas aussi cruelle qu'on l'a dépeint et dans ses yeux, il n'y a pas l'once d'une quelconque méchanceté. toi aussi tu l'es. seule. elle n'a rien à ajouter puisque visiblement elles sont destinées à se perdre dans ce genre de banalités.

amelia est un mensonge à l'humanité. ou peut-être la reflète-t-elle trop bien que c'en est troublant..?
carmen n'arrive pas à faire le choix, tandis que ses yeux sont toujours tragiquement posés sur amelia, comme une malédiction. elle veut savoir ce que ça fait de se faire observer par un fantôme et d'avoir sur soi le poids de ses conjurations. jamais les autres pâles figures n'ont accepté de danser avec elle, elle rencontre toujours des feux trop brûlants dans ses drames.
pourquoi es-tu seule carmen, elle aimerait la réponse elle aussi ; se fondre dans la masse immonde et grouillante d'humanité. amelia a trop de questions pour quelqu'un qui ne la connaît que très subtilement et carmen n'a jamais désiré se la jouer mystérieuse. mais elle n'a pas de réelles réponses à donner, à cette étrangère au coeur fouilli, qui veut détruire le sien.

elle l'observe toujours silencieuse, sans sourire. ses mains viennent discipliner ses cheveux encore une fois pour éviter de les avoir sur le visage. tu ne crois pas que si je le savais ils me détesteraient pas ? je prends pas de plaisir à me faire haïr. contrairement à d'autres personnes ici - mais elle n'oserait pas le dire. elle n'a pas encore cette audace.

ses yeux vrillent à la remarque. il y a quelque chose de plus terrible qui passe dans ce regard aux phrase d'amélie, une réalisation qu'elle refuse - un fléau qui pourrit peu à peu sa confiance envers les autres chaque jour.

il y a encore du vent. carmen le sent siffler dans ses oreilles et il est presque doux, comparé
à la voix d'amélie - cruelle et pleine de mauvaise volonté. ses mains sont contre son corps mais son visage se crispe dans la provocation, dans la confrontation de ses sentiments. carmen aurait préféré la haine, la haine a l'avantage de représenter une estime, une valeur. pour haïr il faut de la volonté alors que la moquerie n'est qu'un passe-temps oubliable, qui ne marquera les esprits qu'à l'orée de devenir adulte. tu mens. elle est de plus en plus agressive, mordante ; ses épaules se tendent et tout a imperceptiblement changé. amélie a déclenché autre chose, a touché autre part - une corde plus sensible sûrement.

en un instant, elle est devenue une ennemie.

et malgré l'affirmation de la diffamation, c'est trop réel pour qu'elle ignore totalement cette possibilité. elle le sait au fond d'elle que tout cela, ça fait du sens au-delà des mots. ils ne me comprennent juste pas. et toi non plus tu ne me comprends pas. l'incompréhension supposée permet à carmen de marquer une distance entre amélia et elle, séparer distinctement les coeurs.