les cinq sens engourdis à l'enfance, il fallait dire que la cinémathèque à la maison n'avait rien de très palpitant. fragrance de poussière, titres à rallonge et souvent, les images en noir et blanc. pas qu'on n'aimait pas le cinéma mais il suffisait de voir la place occupée par l'audiovisuel sur les étagères - infime. c'est que les Beretta préféraient remplir les bibliothèques de lourds ouvrages tantôt poésie tantôt philosophie, la science trônant imposante au milieu.

alors l'ennui, Swan connaît par cœur. en intraveineuse qu'on se l'injectait à la maison, et c'était peut-être ça qui avait engendré des coups de sang insolents chez lui. c'était vital de remuer les eaux stagnantes, éviter à tout prix de s'embourber trop vite dans les marécages adultes - on y faisait des vagues.

forcément, quand c'est Kalev qui annonce de la houle ce soir, tout le corps se tend. se redresse aussitôt le message apparu sur l'écran du téléphone, il avait lâché un bouquin barbant et entame plutôt la lecture des prévisions météo. sourire. un temps idéal pour la chasse aux sorcières.
"j'arrive" répondu illico, sans indications, simplement pour prévenir même si Kalev est probablement habitué aux arrivées instantanées. oh pas tout à fait cette fois-ci - un détour d'abord.

quittant son lit pour traverser sa chambre, sans ralentir, le mur comme obstacle, Swan y pose le plat de la main, touche à peine la surface qu'elle laisse place à un premier portail - débouchant sur un deuxième quelque part hors des dortoirs.

Kalev, si on a mis quelques minutes à arriver malgré l'alice empêchant tout retard, c'était pour la bonne cause.

lorsqu'un passage s'ouvre finalement en plein milieu de ta porte - c'est pour faire comme si on rentrait comme tout le monde - Swan l'emprunte les bras chargés de canettes de soda. on a fait une razzia en cuisines avant de te rejoindre, tu vois.

je sais que t'as toujours de quoi grignoter alors j'ai ramené à boire.

risette espiègle, le portail refermé derrière lui Swan fait aussitôt comme chez lui et s'avance pour aller tout déposer sur ton lit. frissonne dans son pyjama - à l'autre bout de l'académie il faisait froid - il passe les doigts sur son haut pour de défroisser. et puis lève les yeux vers toi, déjà amusé par la soirée improvisée.

du coup on mate un film d'horreur ? ça va aller, t'es sûr, tu vas pas crier ?

ponctués de ricanements - on a promis de venir, Kalev, pas de te tenir la main.