quoi qu'en dise l'un des plus (si ce n'est le plus) précieux de ses amis, Swan se considère très diplomate. après tout c'est une vie passée à faire des compromis qu'on a mené et il est parfois nécessaire de faire de petits sacrifices pour de grands résultats. un peu de sommeil contre la meilleure place au premier rang, des nuits éveillé contre trois étoiles au col des chemises - toute l'insouciance en échange de la pleine conscience. ainsi l'on est à l'heure et le cœur léger
au bon endroit au bon moment -
jusqu'à ce que cet ami dont on parlait ne vienne troubler tout le paisible de Swan qui tout à coup se rappelle
la fois où l'on a perdu au change.

qu'ils sont aigre-doux tes appels à l'aide, Ulysse ! auxquels on répond sous la table avec une expression amusée désabusée, Swan joue le jeu comme si rien n'avait changé - c'est encore un peu amer de constater que les concessions n'empêchent pas les copains de redoubler. on s'ennuierait presque et les premiers matins il avait eu le réflexe de te garder la place à coté de lui - ce qui fait passer pour un idiot lorsque  personne ne vous rejoint finalement -
alors il s'était dit qu'il avait le droit
d'être rien qu'un peu mesquin ce matin.

pour cela que Swan sourit à l'heure des retrouvailles, éclipsé de cours sous couvert de détours aux sanitaires on y retrouve Ulysse et l'affront sonne comme un compliment.

moi je trouve que je m'en sors pas trop mal. t'as bien pris mocha ET caramel ?

attend qu'on vérifie avant de criser Ulysse - et Swan s'empare serein de sa commande pour pincer la paille entre ses lèvres, goûte songeur une gorgée. deux, trois secondes, et la langue claque sur le palais tandis qu'on acquiesce d'un hochement de tête, risette satisfaite -
par le café frappé et puis tes exclamations, il faut l'avouer.

ah tu avais oublié ? pourtant j'ai fait ce que tu voulais Ulysse, j'ai bien dit au prof que tu serais en retard.

peut-être qu'on a précisé que ce n'était pas seulement d'une moitié de matinée, mais ça Swan le tait et se contente de boire une autre gorgée, dévisage Ulysse l'air sage comme une image - avant de hausser les épaules lorsqu'on a suffisamment bu.

il a hâte de te rencontrer l'année prochaine.

on hésitait jusqu'à maintenant mais ils sont incontrôlables les rictus amusés lorsque tu es dans les parages Ulysse alors va - dans un an Swan recommencera à te garder une chaise à ses cotés.

c'était peut-être tout une enfance passée tiré par quatre épingles qui avait rendu Swan avide de débordements. Ulysse tu es un excessif, avec un trop plein en dedans, et c'est toujours amusant à constater jour après jour. la voix qui claironne haut, et le visage trop expressif, tes émotions en majuscule ce sont des lectures qu'on affectionne tout particulièrement. alors forcément que Swan s'esclaffe en assistant à ton agacement.

oh Ulysse ne me dis pas que tu fais parti de ces grands naïfs qui considèrent qu'omettre c'est mentir.

et il te laisse lui prendre son dû des mains, range plutôt les siennes dans les poches de son uniforme - c'est un peu comme donner un hochet à un enfant pour apaiser ses caprices, il suffit d'attendre que ça passe pour récupérer ensuite l'air de rien. c'est bon pas vrai ? ces saveurs de frappuccino là, elles font immédiatement retrouver le sourire.

ça fait plaisir d'entendre que tu tapes des sprints pour moi plutôt que pour arriver à l'heure en classe. hé, dis-toi que l'année prochaine, quand on serra dans la même, tu ne seras plus jamais en retard !

car on n'est pas le genre de garçon à dire tout haut "je m'ennuie quand tu n'es pas là", c'est un peu honteux d'avoir seize ans et de se languir encore des autres, de se languir de toi Ulysse. Swan garde pour lui qu'on t'a déjà réservé la place à ses cotés au premier rang, fait plutôt mine de réfléchir distraitement à la question posée, avant de hausser les épaules, désabusé.

et pour la fille de tes rêves j'en sais rien moi - use de ton charme naturel ou de ton intelligence effarante plutôt que de tes rabbits, au pire ?

ricanements narquois, toujours un peu plus gentillets lorsque c'est en ta compagnie. vu que le temps est une valeur relative désormais, il le prend - s'avance lentement pour te reprendre la boisson et puis, vient s'adosser aux lavabos derrière toi, croisant le bras libre contre le poitrail. et sourire tandis qu'on reprend une gorgée de café glacé sucré, ça fait pincer la paille entre ses dents blanches.

... c'est qui cette fille ?

tu sais bien qu'on est friand de ragots croustillants, Ulysse, au diable les cours pour une fois, dis-lui - de qui rêves-tu la nuit ?

les ricanements résonnent dans la pièce blanc éclatant, ricochent sur le carrelage les échos de vos âges. c'est que Swan affectionne particulièrement les échanges frivoles d'adolescents, aime parler des filles comme tous les garçons qu'ils soient de bonne ou de mauvaise famille. c'est universel comme conversation. et Diane, c'est unique comme nom.

un peu que ça me dit quelque chose - elle est dans ma classe...

laisse planer la suite le temps de t'écouter attentivement esquisser un portrait de celle qui te désempare. ah Ulysse, sur la liste de petits détails que tu dresses, à coté de chaque adjectif Swan coche la case - tu as tout bon. si seulement tu étais aussi attentif en cours que lorsqu'il faut décrire ton amoureuse.

... c'est une très bonne amie. un peu ton équivalent mais version fille. enfin t'en fais pas Ulysse, c'est toi qui a la première place dans mon cœur.

son souffre-douleur adoré, et il pouffe de rire. plus encore lorsque tu en rajoutes, redemandes des belles paroles tandis que tes gestes manquent toujours autant de poésie - manque de tâcher la chemise impeccable - le gobelet a dangereusement tangué et il y a du café glacé qui en déborde, vient éclabousser les chaussures.

grande inspiration, le frappuccino récupéré qui lui coule sur les doigts, Swan baisse la tête pour constater l'étendue des presque dégâts - sa chemise est intacte, tu as une bonne étoile Ulysse ! - et il fixe une seconde le vernis des mocassins qui a été touché. c'est pas grand chose - il tape un scandale quand même.

Ulysse, t'es un gros lourd !

c'est difficile de ne pas sourire quand on s'agace pour de faux contre toi - il pose le gobelet sur le rebord du lavabo et se redresse pour te toiser, joue le rôle comme il faut.

et dire que j'allais te proposer de te faire des éloges la prochaine fois qu'on se verrait avec Diane - bah tu peux rêver ! je lui dirais de surtout pas accepter de prendre un café avec toi, vu que c'est prendre le risque de se le faire renverser dessus !

et Swan se détourne pour être revêche jusqu'au bout, te fait désormais dos, trop occupé à faire couler l'eau pour rincer ses mains poisseuses - ah, peut-être que lorsqu'on aura fini d'être effronté on développera, Ulysse,
on te dira ce qu'on entend par charme naturel -
les airs que tu as quand on se cherche par exemple,
ça fait partie de la liste.

laisse planer le doute quant à la proximité, rien qu'une risette en entendant tes songes combler ses silences. et tu t'excuses juste après, alors Swan se met à sourire pour de bon. tant que tu ne regardes pas dans sa direction, Ulysse, car à peine tes œillades reviennent-elles dans son champs de vision qu'il reprend des airs flegmes, impassible au possible. un seul aveux, il t'a déjà dévoilé le podium de ses affects, sur le ton de la plaisanterie, certes. mais ce n'est pas son genre de revenir sur les paroles lancées. soit tu rattrapes au vol, soit ça s'évapore volatile. c'est le propre des langues de vipère comme la sienne, tu as choisi le bon mot. haussement d'épaules, innocent pour de faux. quoi ? ce serait pas la vérité ? qu'elle court le risque de finir ébouillantée si elle accepte de prendre un café avec toi. il pourra ajouter que choisir une boisson froide éviterait les drames, mais il n'a pas envie d'être un bon pote à ce point.

et puisqu'on est étrange, on persiste à te garder suffisamment intrigué - suspendu à ses lèvres - Swan aussi, aime bien aiguiser les curiosités. les tiennes, lorsqu'elles te font approcher pour chercher les yeux de son reflet. une fois les doigts rincés à l'eau claire, il coupe les robinets et t'accorde enfin un regard. parce que ça t'intéresse vraiment... ? Ulysse, ne parles-tu pas haut et fort pour couvrir la voix des autres, justement ? il fixe ton image dans les grands miroirs, sans rien dire tout de suite, avant de se permettre un rictus - lève une main mouillée par dessus son épaule, il déplie vif les doigts pour t'envoyer un peu d'eau au visage - un rire.

comme ça tu recules d'un pas, Ulysse, et on peut alors faire volte-face pour se tourner vers toi. s'adossant aux lavabos, désormais on t'observe pour de vrai, et pas dans la glace. alors vas-y, essaye de deviner. qu'est-ce que je pense de toi, par exemple ?

oh, tu peux le traiter d'idiot, Ulysse, ça ne fait rien. dès la naissance les contresens, comme si cela relevait de la génétique, depuis toujours on ne croit pas ceux qui nous pense imbécile car la raison coule dans nos veines. ou bien était-ce avec le temps ? à mesure qu'on lui répète comme une ritournelle, les berceuses pour s'endormir à l'enfance. Swan tu seras brillant, forcément, et à force d'effleurer avec les mots ils se sont glissés sous la peau.

alors on admire comme à des représentations comiques, la tête à peine inclinée et le sourire en coin du coté où elle penche, les mains agrippées au rebord du lavabo derrière lui. ce sont les délimitations du ring dans lequel on se livre ces petits affrontements mesquins qu'on aime tant lorsque c'est avec toi Ulysse, et l'on t'attend. il a porté le premier coup, l'air de rien, mais ça frappe comme il faut : flagrant, comme tu es déstabilisé désormais. même tes répliques vacillent, morcelées par l'impact. il se moque. "mais mais mais", ça va Ulysse ? t'as l'air de convulser à force de réfléchir - encore un peu d'eau pour faire passer tout ça ? tu sembles surchauffer, regarde-toi - tu souffles même du nez.

tu es sûr ? que ce n'était pas la question. la direction semblait donnée clairement, après tout, lorsque tu t'es demandé ce qui pouvait bien se tramer dans les synapses de Swan, les regards traçaient des lignes limpides. de toi à lui et de lui à toi.

ça semble t'affoler qu'on vise aussi juste alors que c'était lancé à l'aveugle - la balle dans ton camps - comme si la saisir pouvait te brûler les doigts, tu refuses de tenir pour de bon. et c'est moins amusant tout à coup, car on ne comprend pas. c'était pourtant comme d'habitude, et comme d'habitude te plaît, même si l'on est secret et un peu mesquin. pas vrai ? bah... il t'arrive quoi tout à coup ? la risette s'éclipse et Swan se redresse, au moment où ton regard lui échappe lui aussi.

et que c'est frustrant d'échanger avec toi tant tu aimes les détours ! les sentiers que tes émotions empruntent ne font aucun sens et sentir l'illogisme l'envahir lui aussi le perturbe beaucoup - il ne comprend pas pourquoi l'agacement monte chez lui aussi, comme des petites flammes qui grimpent et viennent effleurer ses joues. surtout quand tu dis vouloir t'en aller. ça va je te posais une question simple pas la peine de taper un mélodrame. "je me moque de toi", t'as vraiment du culot alors que c'est pas moi qui traite l'autre de con.

et non, tu ne t'en vas pas, Ulysse. comme tu ne t'en vas pas courir les jupons en espérant qu'on t'encourage sincèrement - si c'est s'abaisser à quelque chose, alors Swan ne le fait pas. tu ne t'en vas pas, ou alors, c'est lui qui s'en va avant. tu me saoules. et je suis en train de rater tout mon cours. il ne récupère même pas son gobelet lorsqu'il s'éloigne des miroirs pour traverser la pièce, ouvre la porte sans un regard. enfin si, rien qu'un seul : par dessus l'épaule et dédaigneux. j'ai pas ton temps, Ulysse, je suis plus au collège, moi. et puis s'en va.