c'était trop d'agitation effervescente, trop de divertissements vains au creux de grandes questions effrayantes. ces dernières semaines comme des atteintes à ses fondations qu'il croyait plus solides, Swan avait l'impression d'assister à l'affaissement de la scène où il jouait le rôle qu'on lui avait écrit, tandis que les camarades des représentations suivent de moins en moins leurs répliques. ne respectent plus les déplacements : ils sont bruyants et battent trop fort du pied, manqueraient presque de briser les planches sur lesquelles on repose.

il n'a pas l'énergie d'improviser, et pourtant il le faut. parce que le texte que l'on connait par cœur ne suffit plus, à calmer les psychoses nevrosées de Carmen, à tenir tout ce public hystérique en haleine. il ne comprend pas qu'au sein des institutions puissent naître ces envies de chaos. que les discours illuminés de Nausicaa soient capables de faire écho, et qu'on se retrouve même à tendre l'oreille aux idées folles de grands sabotages soufflées par Kalev la nuit tombée.

incapable de saisir, pourquoi des mots parfois trop simples comme les tiens, Ulysse, le percutent aussi fort, alors qu'on s'en moquerait mesquin en temps normal. on devrait te laisser les scander sans rattraper au vol, car ce sont des paroles volatiles et trop insouciantes auxquelles on lui a dit de ne jamais s'intéresser. et pourtant, ça l'intéresse. encore aujourd'hui.

on aurait voulu se détourner des badauds le jour de tes esclandres - tu sais, ce spectacle auquel tu t'es livré au festival - et pourtant. ça lui avait fait plaisir qu'on se moque de toi, et il avait rit au diapason au moment des humiliations - mais pas pour les raisons que l'on croit. et se sentir rassuré ce jour-là n'a fait qu'alimenter le trouble, rendre les pensées plus bruyantes encore. on voudrait qu'elles se taisent.

rien qu'un peu de silence. qu'on est venu chercher parmi les rayons paisibles de la bibliothèque comme on fait souvent. réécrire par dessus les doutes avec des songes savants, c'est ce qu'il fait le mieux - ah, peut-être qu'on n'y arrivera pas ; pas si tu cries comme ça, Ulysse.

tu te crois soleil et lui satellite ? que le monde tourne autour de toi et qu'on est là pour t'admirer à travers les étagères ? Swan a sursauté lui aussi, et c'est pour ça, l'œillade méprisante. je suis pas "planqué", je cherche un bouquin, c'est le principe d'une bibliothèque en fait. et il pourrait te rejoindre de l'autre coté d'un claquement de doigts mais reste immobile, soupire même lorsque c'est toi qui fait l'effort. du premier pas.

pour te montrer mesquin, et il soutient ton regard un instant avant de baisser les yeux sur l'ouvrage qu'il avait pioché lui aussi, faisant mine de lire distraitement la quatrième de couverture. pour me faire serrer par des tentacules dégueulasses ou finir dans la boue jusqu'au cou ? ouais, non merci. et tu pourrais dire qu'on est un peu trop optimiste pour affirmer être aussi grand au point de garder la tête hors des marécages de la course de relais, il ne se vexerait pas.

non, si son visage se ferme tout à coup c'est parce que tu le prends pour ce qu'il n'est pas, c'est-à-dire quelqu'un de foncièrement méchant. mais si tu veux qu'on se montre mauvais, Ulysse, on peut. tiens, écoutes comme c'est rétorqué froidement. on t'a pas disqualifié pour relation incestueuse avec une autre élève alors je suis pas sûr qu'un motif beaucoup moins grave telle que la taille qu'on fait soit pris en compte. sans même t'adresser un regard, si c'est pas beau.

tu n'y crois pas ? à sa tragicomédie. pourtant il s'efforce, tu sais, d'y mettre la bonne intonation et les inflexions de voix qu'il faut. celles qui ne trembleront jamais et contre lesquelles tu pourras t'en donner à cœur joie, frappe de toutes tes forces qu'on cillerait à peine. dis-lui qu'on est crédible et que ça te rend fou de rage, la façon dont il te parle, inacceptable, la manière dont il évite tes regards comme si tu ne méritais pas les siens. oui, maintenant qu'on était entré en collision avec autant d'amertume, on devrait se repousser Ulysse - ce sont les lois physiques qui le veulent. et Swan aussi, peut-être un peu.

mais non, tu n'y crois pas - la preuve ! tu vois. clair dans son jeu. et c'est insidieux comme les désolés l'atteignent mieux que des coups bien portés. ça se faufile sous la peau, fait presque tressaillir les os qui tenaient bon jusqu'à lors, et pas bien loin il y a le cœur. il se serre en entendant qu'on est surtout des potes.

c'est trop l'atteindre, d'étreindre les battements comme tu le fais et de les rendre erratiques sous ses airs impassibles. il se braque comme si tu l'avais vraiment cogné, tourne la tête pour encore moins te voir. j'y pensais même pas, à la dernière fois. que l'on s'est vu de près, là, dans les reflets des grands miroirs.

et l'on pourrait s'arrêter là, une fois les colères ruminées mise en bière et enterrée, on ne devrait pas avoir grand chose à se dire au bord des tombes. mais c'était sûr que tu ferais du bruit, Ulysse - Swan songe qu'on pourrait se trouver dans les allées d'un cimetière que tu parlerais tout aussi fort. ils vont te mettre dehors si tu baisses pas d'un ton.

plisse les yeux, il n'y a rien que ses doigts qui se tordent un peu sur la couverture du livre qu'il tient. c'est trop. trop de mots trop fort, trop toi. alors que lui se sait entier et sans rien à envier aux autres, lorsque tu clames que tu emporteras ta présence ailleurs pour l'offrir à quelqu'un que tu ne connais même pas encore, il a la sensation désagréable qu'on lui arrache quelque chose. quoi. il ne sait pas. c'est pire, de ne pas savoir.

c'est trop.
alors le regard qu'on t'adresse tout à coup est gorgé de chaos malgré sa mine imperturbable - c'est tout dans les yeux, ce que tu provoques. et un peu dans les mots. super. tu m'en vois ravi. c'est sympa de venir jusqu'ici pour me tenir au courant. du coup j'imagine que j'aurai la paix désormais ? que tu vas cesser de m'envoyer des messages pour prévenir du retard alors qu'on n'est plus dans la même classe. et puis de me faire quitter les cours pour me parler des filles qui t'obsèdent en ce moment. parce que pour te tenir au courant aussi, j'en ai rien à foutre, Ulysse.

résonne et brise, toutes les apparences une seconde, avant de se rassembler aussitôt. il se détourne et repose le bouquin alors qu'il en avait besoin, histoire de ne plus te dévisager, et puis commence déjà à s'éloigne. il ne veut pas que tu le penses ignorant - tu y crois toujours, pas vrai Ulysse ?

et quoi encore ?! ça suffit Ulysse n'en rajoute pas - ne sens-tu pas sous tes doigts que la peau n'a rien d'invincible comme ces statues penseuses qu'on imite si souvent ? - elle s'électrise aussitôt et tendre, elle marquera à la seconde où tu lâcheras son poignet. l'angle osseux de l'épaule au creux de ta paume, sûrement que tu peux déceler sous l'uniforme qu'il point un peu trop - ah, qu'il exècre ces rappels cruels - Swan est faillible quoi qu'il en dise. vulnérable, à la manière de ceux qu'on méprise parfois.

il t'impressionne quand même - c'est le but ! - c'est la rumeur intimidante sensée faire taire les audacieux et couvrir ses propres craintes. elles existent, tu sais, il a beau jouer la sourde-oreille et se répéter les jolis discours formateurs, il les entend malgré tout. se demande parfois s'il ne devient pas fou lui aussi, comme sa sœur. et si c'était dans son sang ? on avait hérité de l'intellect, alors pourquoi pas la déraison ?

quand tu le regardes droit dans les yeux et que tu prononces des répliques qu'on te pensait incapable de formuler, il se sent vraiment dérangé. assailli de pensées inconvenantes, comme des vagues impudiques sur ses plages sages.
un sourire et il se noie.

froisse le visage, alors que tu offres des plaidoiries qui font bourgeonner son cœur. tu es injuste, Ulysse ! si j'ai bien saisi c'est moi le problème ? c'est un peu ce que tu es en train de dire. pourquoi n'a-t-on pas le droit au même traitement que les autres ? on se verrait accorder des privilèges qu'on comprendrait mieux - ce serait logique - car ça ne bousculerait pas ses habitudes. mais sous ses yeux tu portes des coups bas, la preuve : tu te sens traitre.

et tu te trompes. ce n'est pas qu'il s'en fiche, alors qu'il devrait pourtant. c'est qu'on a ni le temps ni le droit, d'être un adolescent indolent et empli d'inconscience - tu l'encombres Ulysse, et c'est bien ça le problème. reprend donc tes humeurs ! alors tais-toi un peu. et même silencieux tu es encore agaçant - car il doit se faire plus grand et tendre le cou pour se délester de tout tes tempéraments - les sourcils sont à peine froncés lorsque Swan se hisse à ta hauteur. porte les lèvres à la source des distractions - les tiennes que trop de sottises franchissent - et ses paupières se sont closes, car c'était se faire traitre à son tour.

stop, ça suffit - il faut que tu te taises maintenant pour que l'indiscipline reste obéissante - ses égarements délaissés sur tes lippes, Swan veut repartir la conscience tranquille. au coin des lèvres qui se tordent en moue désabusée, il y avait encore un peu de toi, et il se hâte de répondre pour masquer, qu'on ne te sente plus. c'était rien, oublie. si l'on s'est fourvoyé et que tu n'es pas... qu'est-ce que tu es ? si ce n'est un menteur Ulysse, qui bredouille et rougit quand on t'accorde un peu trop d'attention. toute celle dont il est capable et qu'il s'est toujours refusé d'offrir, tu y passes le pouce et il te voit faire et il ne sait pas. s'il a envie de se mettre en colère face à ton étrange réaction ou bien disparaître pour de bon.

tu as beau dire d'accord, il n'est pas sûr de quoi tu parles et cette incertitude qui perdure l'exaspère. surtout quand tu lui accordes un de ces petits sourires arrogants - ceux que tu fais si bien et qu'il aimerait souvent effacer - aujourd'hui c'est la première fois qu'il ne trouve pas les mots à rétorquer insolent. "..." non, vraiment, rien ne lui vient, si ce n'est va-t'en. défile-toi comme d'habitude et va-t'en !

ses épaules contre les rayons, s'y plaquent un peu plus quand tu obstrues le champs de vision - tu ne pars pas - pourquoi tu reviens, Ulysse ? si tu n'es pas- ... recule. le cœur cogne contre les parois, à vouloir percer pour te bousculer. ou bien te rejoindre. et c'est toi qui fait le premier pas cette fois ; à la collision des souffles au moment où les paupières s'abaissent, il a soupiré à se demander, pourquoi tu restes, Ulysse ? avant de commettre un second outrage sans se poser plus de questions.

songe juste reste, et Swan est trop méthodique pour utiliser des termes aussi simples alors c'est autrement qu'il suggère. exige que tu restes quand ses mains emprisonnent le coton blanc de l'uniforme et froisse ta chemise au niveau des flancs, et le baiser qui s'alanguit à vouloir que ça dure plus longtemps, lui aussi, dit reste. c'est désordonné et plein de négligence quand c'est avec toi Ulysse et c'est tout ce dont on manque, alors reste.

mais tu t'éloignes, et le souffle court, on rouvre les yeux - pour voir tout ce qu'on redoutait. c'était toi et tu ne sais faire que dans la légèreté - celle qu'on trouve lourde, pesante, et qui fait qu'on doute toujours. quoi, qu'est-ce qu'il y a ? il n'y a vraiment que toi pour ponctuer de trois lettres ahuries tandis qu'on voudrait des paroles rassurantes. Swan défait alors les doigts qui s'étaient crispés sur les étoffes pour plutôt les poser sur ton torse, sans pousser encore mais on peut t'éloigner fort. si c'est pour rire et te moquer, vraiment, va-t'en Ulysse. tu vois bien - on est sérieux.