Le corps qui se glisse au mur comme dans l'impossibilité de tenir droit tout seul - les pas qui s'avancent, lentement, yeux baissés, lèvres closes et ça relève le regard seulement pour s'accrocher à lui, seulement pour le voir - les voix qui s'apaisent, qui se taisent, mais quelle importance, tu n'y accordes rien, si ce n'est le battement frénétique de ton cœur, silencieux.

On ne sait pas où tu (en) es, Elior. Jamais dans le grenier, pourtant parfois tu sembles vouloir t'y cloisonner, toujours dehors, quelque part, ici et nul part - toi non plus, tu ne sais pas, Elior ; c'est comme ne plus savoir où aller, ne plus avoir de repère, de maison, de place pour soi-même - comme un nul part où aller.

Comme si c'était de trop d'exister.

Pourtant, c'est faux, tu connais l'absurde de ton raisonnement, la bêtise des pensées, ce dramatique qui te colle à la peau, comme un désespéré en manque de plus d'entaille à l'âme - c'est faux, tu le sais - la raison même y es, sous tes yeux, pourtant, quelle importance quand l'esprit est à la dérive. La raison, le raisonnable, le judicieux, la réalité, quelle importance quand on perd un peu trop de soi et qu'on a plus envie de retourner dans notre propre corps - c'est comme un déni de soi, un déni du reste, de ce qui est vrai.

On est malheureux et on veut rester malheureux.
Parce qu'on pense le mériter, parce qu'on s'imagine pas que ça va aller mieux.

Alors les pas t'avaient menés à lui et maintenant, tu ne savais pas trop quoi faire. Tu l'avais fuit, un peu comme tout le reste, le volley, les cours, tes amis, tu avais tout fuis et tu t'étais fuis de toi-même - tu ne savais plus où tu en étais et la peur, la colère, tout le reste s'était envolé, ne restait plus que ce silence, cet air maussade que tu avais toujours eu et les regards fixés sur le sol comme si le poids sur tes épaules étaient devenu trop lourd pour faire autrement.

Alors, évidemment, tu baisses le regard à ses premiers mots, les lèvres croquées par les dents et, pourtant, ça relève un peu le menton pour l'observer ; ça fixe ses doigts, sur ses lacets et ça se perd dans la contemplation.

— ... Faut croire. aurais-tu envie de dire, pourtant les mots se bloquent dans ta gorge et tu te retrouves muet, comme incapable de prononcer la moindre syllabe - et puis, tout s'emballe, ta peau s'échauffe et un frisson s'élance sur ta peau ; c'est le malaise palpable alors que le palpitant s'emballe.

— ... Désolé. que dire d'autre à part des excuses, des excuses pour trop de choses à plus savoir les énumérés, parce que tout est de trop et toi certainement.

---

arrête de toujours t'excuser
Elior
surtout pour ce que tu es

---

Y a le coeur qui bat si vite et si fort à t'en donner des maux d'estomac, la gorge qui se serre comme s'il t'avais étouffé de sa main et ses mots, comme une claque au visage, semble brûler tes deux joues d'une fureur soudaine. Les prunelles qui s'élèvent se font ridiculement assassines, tandis que les ongles se plongent dans tes paumes comme dans une parodie de contenue factice.

— Tu l'as lu. et ça sonne comme une accusation, la déduction limpide, seule trace de ce qu'il s'était déroulé il y a des mois de ça - les mots d'une mère qu'on croyait morte, des mots d'amour et pourtant de départ, des supplications de pardon parce que tout ça était trop dur, parce qu'on était l'ancrage d'une vie qu'on voulait pas, d'un passé honteux, d'une liaison ignoble, l'enfance d'un connard, d'un pédophile, d'un mari qui bat sa femme et son enfant, d'un homme, tout simplement.

Il l'a lu. et là n'est pas la véritable raison de ta colère soudaine, puisque tout se cache dans ta honte, dans ta honte de toi-même, dans ta honte d'elle, de vous, mais de toi, de toi surtout. Qu'il plonge dans ton intimité, cela ne t'avais jamais semblé indécent puisque tu étais à lui, mais la honte, trop forte, trop grande, qui avait rongé tes entrailles avec une délectation certaine depuis l'année dernière, s'était fait un festin à tout ravager sur son passage, ne laissant intacte ni ton cœur ni ton corps.

— Y a rien a dire là dessus. C'était en novembre, on en a rien à foutre maintenant, ok. Pourquoi tu ramènes ça maintenant putain ?! la voix qui tremble, le corps qui perd ses moyens et y a tout qui tombe.

On est plus contre le mur à présent, ça se tient bien droit sans le lâcher du regard et la mâchoire se fait plus dure - ça se mord la langue comme pour retenir des mots trop haut et puis finalement, en as-tu vraiment la force, Elior ? As-tu vraiment le choix de n'être moins que ça quand il était lui-même le catalyseur de ta propre haine.

— Et si tu veux tout savoir, je te l'aurai jamais dit parce que y a rien à en dire.

---

ou plutôt parce que tu as peur de le perdre

---

Fugace est la colère que tu lui voues, plus grande est la tienne envers toi alors qu'il n'en démord pas, t'assènes des paroles trop justes et trop vraies tandis que tu te débats et t'englues dans la perdition de toi-même. Tu n'es pas de ceux qui prennent les mains tendues, tu es de ces irraisonnées qui mord les doigts, sûr de s'en sortir soi-même ou au contraire, pour s'y complaire et ta propre idiotie flagrante dans cette conversation n'est que l’essence d'une fureur toujours plus grande ; pourtant, son calme froid t'enrage.

Il t'énerve, Elior.
Toujours moins que toi-même, mais il t'énerve.

Bêtement, stupidement.
Parce qu'il a raison.

— C'est pas ça... c'est juste... ça détourne le regard, ça cherche les mots et puis rien ne sort et la frustration toujours plus grande n'est accentuée que par le ridicule de ce que tu ressens.

— Tout m'enrage. et ça assène à nouveau le regard, comme pour le viser lui-même - ta colère n'avait jamais eu grand sens, ni vraiment de limite et encore moins de légitimité ; quand tu perdais les pédales, Elior, tu n'avais plus rien de toi-même ou peut-être, au contraire, un peu trop de ce toi que tu ne veux pas.

— Et tout me blesse. le trop d'émotion d'un coup qui humidifie les yeux et casse la voix - fragilité soudaine - trop de vérité d'un coup, la réalisation subite, le trop plein qu'on sait pas gérer, pourtant, les flammes de colère ne s’atténuent pas et dans ce paradoxe inexorable que tu représentes, tu changes tes larmes en fureur ardente.

— Je sais pas ce qu'il se passe chez-moi, Elyas, okay ?! Je sais pas, j'en sais rien, y a trop de bordel dans ma tête et je veux pas te dégager de ma vie c'est juste... c'est juste que j'ai envie de péter la gueule de tout le monde, j'ai envie de maudire tout le monde, j'ai envie d'envoyer foutre tout le monde, j'en ai marre ! J'en ai ma claque de tout ! tremblement du corps, ça dépose les paumes sur les yeux comme pour se soulager de la vision du monde - le menton qui se lève et puis on se contient, juste un peu peut-être - ça essaie de respirer.

— J'ai l'impression... non, tout. TOUT. PUTAIN. Tout me crache à la gueule. Je perd TOUT. Je perd toujours tout, Elyas. Tout le temps. Ou alors... je sais pas. Peut-être que je mérite tout ça, peut-être que c'est la règle de mon alice ? J'en sais rien. un rire médiocre qui abaisse la barrière de tes bras et te fais le regarder à nouveau.

— Ma mère en a plus rien à foutre de moi. J'ai peut-être une demi sœur ou un demi frère quelque part, pour ce que j'en sais. Blanche est... Blanche est plus là non plus et j'ai l'impression de devenir timbré. Y a l'école qui part en couille et encore, si c'était que ça, maintenant on me crache dessus et on... putain, Elyas, j'ai vraiment essayé ok. ça cligne des yeux trop de fois, ça veut faire partir ce qu'on ne voit pas.

— J'ai essayé. J'ai vraiment essayé d'être une meilleure version de moi-même. De gagner des étoiles et de rentrer dans leur putain de système, de faire le deuil de mes parents, d'avoir une... famille ? De tenir la route ok. J'ai vraiment essayé. Mais la vérité c'est que y a rien qui va. Ca dure jamais longtemps et tout le bordel autour de moi... tout ce que je laisse derrière tout le temps... je... je peux plus Elyas. J'arrive plus ok. Et... et je vais tout perdre. Parce que je perd tout, tout le temps. Mes parents, ma soeur, les étoiles, mes amis... et puis... et puis... toi aussi... murmure qui se brise, éclat de l'âme en mille larmes ... je... je sais pas ce qu'il va se passer demain... si je vais te perdre aussi, si tu vas disparaître et... et même si t'es encore là... est-ce que... est-ce que je vivrai assez longtemps pour le vivre ? Tout ça ? Nous ? Est-ce que... trop humide, les joues sèches pourtant, ça cligne sans discontinuer puis sa baisse la tête soudainement.

— Putain... propre faiblesse qui enrage.

— Y a rien qui va... dans ma tête, je déraille tout le temps, je pique des crises pas possible ou alors... je... j'ai l'impression de plus rien ressentir, comme un vide et... et comme s'il me manquait une part de moi-même et... Blanche partie je... je... Y a rien qui tourne rond avec tout ça... je... j'ai peur de moi-même, j'ai peur de te perdre, j'ai peur de tout et de tout le monde et... et... y a que toi qui me donne l'impression d'avoir de la valeur.

Et puis elles glissent, révélatrices.

— Et j'ai peur que tu te rends compte, comme tout les autres, que....

Imprononçable.

— Je veux pas te perdre. et pourtant, déterminé, désespéré, ça relève une dernière fois le menton vers lui, égoïstement.

— Et je sais plus où j'en suis...

---

aimes-moi encore un peu
jusqu'à ce que je m'endorme

---

On aurait préféré des cris et des coups, des mots toujours trop haut, des choses qu'on ne pense pas mais qu'on dit qu'en même, des insultes peut-être et de l'incompréhension - mais pire et cette impression de se comprendre et la lassitude, la fatigue, l'amertume semble plus douloureuse encore que la colère et les larmes.

— ... comme on réprimande un enfant, tu ne baisses pas les yeux, pourtant l'envie se fait si forte que tu dois te faire violence - tu l'observes sans le voir et tu essaies d'assimiler chaque mot - tout ça te tord le ventre à vouloir t'en faire vomir.

— Peut-être que je voulais être seul... avoues-tu finalement et, impossible de prolonger le regard, tu rebaisses une énième fois la tête. Peut-être que j'avais pas envie de m'en sortir... Je voulais pas... je... la lettre ça m'a... c'était pendant que tu étais parti pour voir tes parents et après ton retour j'ai jamais eu le cran d'en parler et aussi... aussi parce que je voulais oublier. Je voulais avancer... et... j'aurai dû mais je ne l'ai pas fait... et pour le reste... Tout s'est enchaîné si vite... peut-être qu'à la fin, je voulais juste être seul dans ma merde et m'y complaire dedans parce que c'était plus facile...

On essaie de respirer, d'avaler la salive malgré la gorge nouée.

— J'ai... j'ai pas d'excuse en fait... et j'ai pas de scénario non plus. J'en avais pas pour le reste. C'est juste... j'arrive plus à avoir confiance en moi pour quoi que ce soit... et c'est aussi à cause de moi.

On se repose, à nouveau, contre le mur, en espérant que la fraîcheur de se dernier atténue le bourdonnement dans le crâne - le soupir tremblant du bout des lèvres, on contemple d'un air morne le résultat des dégâts.

Les excuses arrivent trop tard et finalement, il faudrait réussir à remettre tout ça debout, redonner l'éclat de ce qu'il y avait autrefois - mais comment faire, alors que tu te sentais tellement, tellement épuisé, Elior, alors que tu le fatiguais toi-même, alors qu'il se retrouvais tout aussi las de toi que tu ne l'étais.

Qu'y avait-il à rattraper, dans tout ça ?

— ... Je veux sortir d'ici... je veux qu'on parte loin, très loin d'ici... je veux m'en sortir, Elyas... vraiment...

---

ça veut dire j'ai besoin de toi
sans savoir si on y a encore le droit

---