On s'étonne encore des petits mots laissés dans les casiers, à l'intérieur des poches, on s'étonne de quelques textos reçus et on se demande, on se demande comment dans un monde comme le leur, l'amour pouvait-il encore exister. Alexis face aux côtés de ce garçon c'est un peu étrange, Alexis bien apprêtée pour l'occasion c'est une habitude qu'elle ne veut pas prendre parce qu'elle a cette impression de ne plus vraiment être elle -et elle ne l'est jamais vraiment lors de ces rendez-vous galants. Les histoires d'amour c'était bien pour les autres. Pour elle ? Alors là pas du tout, c'est bien pour ça qu'elle n'en est que la remplaçante.

Sur demande on change les noms et on emprunte de beaux habits, on se maquille, on est jolie et l'illusion est parfaite car tant que lui y croit c'est que tout va bien, non ? Après tout, Alexandra ou Alexis, quelle différence ça fait ? Vous deux êtes comme des sœurs, trop de points communs pour être ignorés. Le truc un peu con dans l'histoire, c'est pour ce gars, un peu lourd mais pas méchant, qui croit être avec l'une mais qui finalement se retrouve avec l'autre -et à chaque fois Alexis se demande comment ils font pour ne pas remarquer. Heureusement pour elle, les amours de couloir il n'y en a pas cent par jour -ça lui laisse pour de temps pour trouver comment le refouler.

Ils tournent au coin d'un petit magasin, s'engouffrent tout en discutant à l'intérieur d'un autre et l'homme s'étonne de ne pas la voir s'extasier devant les vêtements et les bijoux comme toutes les autres, ça l'énerve un peu d'être prise pour une fille superficielle mais bon, c'est seulement une mauvaise étape à passer. La plus difficile en général c'est celle du cadeau forcé, celui que l'on veut absolument offrir pour se faire bien voir ou simplement parce qu'il l'apprécie un peu trop. Pas le droit de refuser, c'est ce que tu lui as soufflé une fois, pourtant c'est ce qu'elle fait.

« T'es pas obligé tu sais.
- Mais si, ça me fait plaisir je t'assure ! Aller, accepte-le.
- Sérieux Jordan, j'ai pas envie. »

En plus d'être hideux il est grave cher ton collier. Qui peut vouloir d'une merde pareille ? Comme c'est pas très gentil on se retient mais le refus vexe quand même. C'est un peu froid quand on repose, un peu lourd quand on ressort et c'est autant difficile pour Jordan le rejeté que pour elle qui n'est pas habituée. Alexis offre les cadeaux, elle ne veut pas vraiment qu'on lui en achète.

« Alors, tu veux faire quoi maintenant ?
- Euh..
- Non c'est bon je sais, tu veux juste t'asseoir et discuter pas vrai ?
- Mec tu dis ça comme si c'était mal. »

Visiblement pour lui c'est plus chiant que mal, mais pour elle c'est vraiment la meilleure option. Les points de vue qui s'entrechoquent, les arguments qui s'effritent à mesure que le ton monte, finalement Jordan il préfère partir et c'est peut-être mieux comme ça. Si c'est pour éviter de se manger un coup de la brute de service c'est réellement une bonne idée de partir en soupirant après l'avoir insultée.

Parce que comme elle sait que tu n'es pas loin elle ira pas lui courir après pour le cogner. Y a mieux à faire aujourd'hui.

« T'as raison barre toi cassos. »

Elle se retourne vers toi lorsque ta main touche son épaule et c'est un demi-sourire qui s'étire avant de bien vite s'effacer au profit de ses sourcils, qu'elle relève en signe de perplexité. Parfaite ? Elle ne sait pas trop, sent dans ton rire toute la moquerie et dans son coeur toute la lassitude, se dit, et l'espère, que ce gars ne la fera définitivement plus chier. C'est dommage parce qu'au final il avait rien demandé, Jordan lui tout ce qu'il voulait c'était un rencard. Un truc amusant avec probablement une partie de jambes en l'air à la fin -à Alexis c'est pas trop son truc ce genre de plan. Pourtant elle a quand même un peu pitié.

« Ouai ou alors j'irai l'rechercher au prochain mauvais bail du genre, coasse-t-elle, moqueuse après un rire nerveux. »

C'est comme toi, c'est pas méchant, mais tu sais, Alexis n'aime pas trop les gens. Toi t'es une exception et en plus t'es vraiment bizarre, t'es comme Anaël, comme Asmodée -comme tous ceux, au final, qu'elle autorise à entrer dans sa vie. Alexis la brute solitaire est en réalité bien plus entourée qu'il ne le faudrait.

Tu proposes une crêpe et elle sent déjà la bave couler -son estomac gronder silencieusement et tous ses sens s'éveiller, mais c'est qu'elle ne peut pas accepter tu vois ? Même pour te faire pardonner, ça compte pas parce que c'est déjà oublié.

« Nan laisse j'ai pas faim. »

C'est surtout qu'elle est beaucoup trop pauvre pour argumenter le fait qu'elle veut pas qu'on lui paie quoique ce soit -y a des exceptions évidemment mais bien trop rares pour que ça en fasse partie.

« Euh... Ouai nan. Euh. »

Ça hésite quand elle réalise que sa réponse était un poil trop brusque peut-être, ça bafouille un peu encore avant qu'elle ne se reprenne pour se corriger d'un ton un poil plus amical.

« Mais si toi t'en veux une t'hésite pas hein ! »

Ouai en gros voilà, c'est comme tu veux.

« Mais j'en veux pas j'te dis ! »

On ment pour sauver les apparences parce qu'on connaît l'amie, la jumelle, on sait à quel point elle peut être têtue -la même qu'elle pense, Alexis qui même en faisant la moue ne trouve plus de quoi répliquer. Alex t'as le sourire alors finalement elle est bien incapable de t'en vouloir plus longtemps, un peu traînante elle se laisse tirer gentiment pour te suivre dans les rues de Central Town. Tu vas devoir la guider parce qu'en bonne fauchée qu'elle est, elle n'a jamais prit la peine de repérer les supérettes alimentaires -mais vous aviez le temps, pas vrai ? De discuter en vous promenant.

Alex, t'es déjà sortie avec quelqu'un ici ?
Pardon ?

Avec de l'eau elle se serait étouffée mais là se contente d'arrêter de respirer. Y a son regard sur toi, puis fait l'aller-retour entre ton visage et la rue -le vide- une fois alors qu'elle se retrouve complètement con. Complètement parce que y a sa main qui approche de ses lèvres, parce qu'elle réfléchit sérieusement à la question malgré la réponse évidente et qu'elle croit que se tripoter la peau l'aidera à mieux s'exprimer.

Et puis c'est toi qu'elle regarde à nouveau, réaction en décalé mais c'est comme si c'était en direct live, pas vrai ?

« Hein ? grimace exacerbée, incompréhension totale. Non, j'ai jamais eu personne, choquée comme si le contraire serait une abomination. »

On avoue pas qu'il y aurait pu, parce qu'on ne l'admet pas on n'y pense plus -mais y aurait pu, en effet.

« Le pauvre en plus, on rigole un peu à la pensée, ou alors nan. Moi la pauvre, si ils sont tous comme c'crétin d'Jordan j'suis pas sortie. »

Et puis, solitaire comme elle est, elle ne s'imagine vraiment pas en couple avec quelqu'un. Elle ne sait même pas si l'idée la tenterait en réalité.

« Pourqu-ah, me dit pas qu'tu veux m'organiser un rencard ? Penses-y même pas. »
Ce s'rait carnage avant même le début.

Vous tournez à gauche et toujours pas de crêpe en vue.

On rigole à la réponse, parce que c'est assez drôle mais surtout parce qu'on est soulagée -un peu faut l'avouer.

« Ouf merci ! J'me voyais déjà passer le pire des rencards avec Jordan bis, à courir dans tout central town en parlant de choses superficielles comme la couleur de la super montre ultra belle mais un peu beauf qui traîne en vitrine du bijoutier. »

Alexis n'a rien contre le fait de courir, elle le fait d'ailleurs régulièrement en cours, seulement courir et écouter de la merde en même temps a tendance à l'épuiser grandement, à la surchauffer aussi. Y a encore un rire quand tu affirmes que les mecs sont pour la plupart très cons, elle l'aurait pas dit comme ça mais en fait « ouais. » t'as raison. Par contre elle te juge un peu du regard, du coin de l'oeil comme toi qui la relooke, quand tu lui balances ce compliment sortit de nulle part.

Elle perçoit le sérieux, n'en reste pas moins perplexe mais préfère rester silencieuse pour éviter un débat qu'elle n'a pas franchement envie de supporter. Le truc qu'elle ne dit pas c'est que les compliments, la plupart du temps, la rendent mal à l'aise, parce qu'on lui en fait pas souvent, parce qu'à la maison -avant l'académie- on lui a jamais trop apprit non plus à dire merci, à apprécier. C'est pas qu'elle se trouve moche, c'est juste qu'Alexis se sait banale, aussi belle que n'importe qui qu'elle dirait si on lui demandait et elle ne réalise pas la valeur qu'elle peut avoir aux yeux des autres. Elle s'en fiche, tant qu'elle en a assez d'elle à elle-même.

Le silence n'est pas vraiment pesant, plutôt même habituel entre vous étant donné qu'elle ne parle jamais trop -quoique tout est relatif. Pourtant tu le brises bien vite, étire à ses lèvres un sourire tandis que vous prenez la prochaine à droite et au bout de la rue se trouve le souhait exaucé alors Alexis ricane dans sa barbe, pleine d'ironie mais pas exempt de bonne humeur -jamais avec toi.

« Apparemment Dieu existe, mais j'pense qu'tu lui devras un service, elle ne pouvait pas croire qu'il puisse être capable de charité -elle ne croyait déjà pas en son existence... Ou alors il a eu pitié et à décidé d'se bouger les miches en f'sant un effort ? »

Peut-être.
Ça rigole bien fort tandis que vous avancez tout droit jusqu'au stand qui ne semble plus avoir personne. Juste avant vous il y avait une petite fille qui est partie avec un air vraiment trop déçu, et quand Alexis s'approche pour demander ce qu'il se passe, le vendeur répond le visage désolé.

« Désolé mes p'tites dames, on tique au surnom un peu chelou, mais c'est pas le pire alors on passe vite outre. J'ai plus rien ! Même plus d'ingrédients, tout est partit tellement vite que j'suis obligé de fermer pour l'instant !
- Ah. »

Vous repartez donc bredouilles, et sur le chemin en quête d'une nouvelle crêperie, Alexis ne peut pas s'empêcher lancer :

« J'crois qu'Dieu il t'kiffe pas mdr. »

On s'moque mais c'est jamais méchant quand ça t'es destiné.

Un rire clair qui résonne encore, c'est évident qu'on a comploté contre toi par pur esprit de vengeance Alexandra. Seulement on ne complote qu'avec la plus grande des douceurs alors on finira bien par trouver une crêperie encore ouverte. Alexis n'a pas besoin de te répondre, trop occupée à rire de toi puis à prier un peu tous les dieux desquels elle se moquait l'instant d'avant pour voir ton souhait exaucé. Grâce à toi, t'offrir une crêpe est devenu son nouvel objectif de l'après-midi, et ça l'amuse, ça l'amuse beaucoup toute cette insouciance qui se dégage parfois lorsque vous êtes ensembles. Ça réchauffe le coeur, ça adouci l'esprit et à chaque fois on voit le monde sous un angle bien plus lumineux.

Deux enfants qui se tiennent pas le bras, on se tient la main et on court à travers les rues, on traverse le monde et on n'arrête jamais de rire même si les sons ne sortent plus tout le temps. La vision se superpose aux visages de ses frères et sœurs aimés, des souvenirs en pagaille des jours heureux d'avant la fuite et la descente aux enfers. Entre vous deux ça n'est pas aussi chaotique qu'avec le sang mais c'en est tout aussi beau. Désormais aux membres de sa famille Alexis y ajoute ton visage. C'est pour ça qu'elle sourit un peu, un peu seulement parce qu'elle est essoufflée aussi de cette courses soudaine.

Et finalement.
Tu ne veux plus de crêpe.

« Après tout tes efforts t'abandonnes maintenant ? »

On rigole tout en respirant à peine plus fort pour reprendre son souffle, les mains posées sur les hanches.

« Alors ça veut dire que mon super complot a fonctionné hahaha ! J'suis trop diabolique putain grave fière de moi j'te jure ! »

On fait quoi de cette crêpe du coup ?
On va la trouver ou on reste planté là ?