L’alarme avait retenti dans toute l’école, et Isis n’avait
rien entendu
rien senti
rien vu.
Surprise dans son insomnie comme les autres élèves, et elle ne comprenait pas comment elle avait pu ne rien sentir avant la sonnerie. Elle ne savait pas suffisamment maîtriser son alice pour bloquer toute sensation exacerbée, peu importe à quel point elle pouvait se concentrer pour ne plus tout ressentir aussi fort. Son cœur battait à cent à l’heure, alarmée par les cris et les bruits de pas précipités dans le couloir, mais avant tout perturbée par cette impression désagréable de passer à côté de quelque chose d’important.
Elle avait agit plus par instinct qu’autre chose et avait discrètement bloqué la porte de sa chambre avec la chaise de son bureau pour empêcher qui que ce soit d’entrer. Rapidement, elle avait troqué le tee-shirt trop grand qui lui servait de pyjama contre son uniforme, et avait attendu dans le noir et en retenant presque sa respiration que l’agitation se calme de l’autre côté de la porte pour sortir de sa chambre à pas de loup.
Mais elle n’était pas seule dans le couloir, et sursauta en retenant une exclamation de surprise en tombant sur un petit groupe d’élève qu’elle dévisagea à la lumière de l’écran de son portable. Parce qu’elle était plus rassurée quand elle n’était pas seule, Isis se joignit à eux, mais quelque chose la dérangea davantage.
Elle ne les avait pas entendu, alors qu’ils étaient à deux pas –quand bien même ils étaient discrets, elle aurait dû les entendre, et ne devrait pas avoir besoin de son téléphone pour mieux les voir dans le noir !
Une idée terrifiante fit son nid dans un coin de son esprit, mais elle tenta de l’ignorer pour le moment.

« Je sais pas ce qu'il se passe, je... fit-elle en chuchotant, incertaine et fébrile. Je connais les sorties de secours, on peut s’en servir pour se réfugier autre part en attendant de comprendre ce qu’il se passe ? »

Son souffle était saccadé et ses doigts tremblaient, mais elle s’étonnait de sa propre initiative, elle qui était d’ordinaire si passive face à tous les malheurs qui pouvaient lui arriver. L’incompréhension de la situation générait certainement des peurs plus importantes que celles qu’elle avait l’habitude d’éprouver, et si son alice ne marchait plus, elle avait au moins l’expérience de quatre ans de fuites secrètes en pleine nuit à partager...

Rejoints de Xanadu, dont la présence rassurait infiniment Isis malgré les troubles étranges qu’elle avait discerné dans son regard, et d’un garçon de sa classe qu’elle reconnaissait mais dont elle avait oublié le nom, leur petit groupe de cinq s’était discrètement enfuis du bâtiment pour rejoindre la forêt maudite sans y songer à deux fois, guidés par Orion et ses fameuses directives. Une odeur de brûlé saturait l’air, et les lumières rougeoyantes qui émanaient du temple jetaient sur leurs pas des ombres angoissantes alors qu’ils entraient dans la forêt pour s’y enfoncer le plus loin possible, et quand des coups de feux retentirent, Isis, le cœur au bord des lèvres, se sentit un peu perdre pied. Sans même y réfléchir, elle se rapprocha de Xanadu en s’accrochant presque timidement au bord de son tee-shirt, comme si son ami était désormais son seul repère pour s’empêcher de plonger dans la panique.

Une fois au milieu des arbres épais, il n’y avait plus que la lune et l’écran de leurs téléphones pour les éclairer –c’était un peu rassurant dans un premier temps, et puis après cette agitation soudaine, le silence et l'obscurité engendraient des malaises peut-être encore plus insupportables.
Il s’arrêtèrent enfin pour reprendre leur souffle et décider de la marche à suivre désormais, mais elle était encore trop désorientée par tout ce qui leur tombait sur la tête qu’elle peinait à suivre ce qu’il se disait.

« Xan’, fit-elle à voix basse, le souffle tremblant, mon alice, je crois que— »

Le son terrifiant d’un craquement de brindilles l’interrompit et Isis se raidit tant et si bien qu’elle aurait pu être de pierre ; le souffle pendu à ses lèvres, le cœur battant à tout rompre, elle découvrait avec effroi à quel point il était angoissant de ne pas sentir les choses venir maintenant qu’elle se trouvait au cœur du danger.
Avec son alice, elle aurait déjà pu ressentir que quelque chose s’approchait, peut-être même discerner s’il s’agissait d’un animal ou de quelqu’un, et ils n’auraient pas été surpris encore une fois.
Elle était devenue parfaitement inutile ;
un boulet qu’on traîne derrière soi.
Et tandis que son regard s’agitait dans tous les sens pour essayer de distinguer quoique ce soit dans la pénombre, le reste de son corps lui, s’était pétrifié d’effroi.

Isis cru d’abord à une farce en apercevant enfin l'ours en peluche. Encore sous le choc de la peur, elle ne savait pas quoi penser et retint avec difficulté un rire nerveux ; mais pour le coup, elle ne trouvait vraiment rien de drôle à la situation malgré son absurdité –il était bien mignon ce petit ours mais elle venait de s’imaginer fusillée par des militaires armés jusqu’aux dents et ses nerfs allaient bientôt lâcher si on continuait à lui jouer des coups pareils. Elle fit l’erreur, pendant une seconde, de se décrisper un peu, ses épaules s’affaissant alors qu’elle se pensait hors de danger pour le moment.
Et puis l’ourson attaqua Orion si brutalement que ce dernier en tomba sur les fesses.
Si c’était un cauchemar grotesque, qu’on la réveille maintenant parce que ça commençait à faire beaucoup.

Elle ne parvint cette fois pas à retenir un cri d’exclamation qu’elle étouffa aussitôt en plaquant ses deux mains sur sa bouche. Peut-être cédait-elle à la panique, mais elle s’était persuadée rien qu’en ayant vu la puissance déployée par la peluche, que même à cinq contre un ils ne pourraient grand-chose contre lui. Alors à à la question somme toute très pertinent de Cassiopée, Isis répondit d’un voix affolée.

« Non ! Tu veux qu’il te casse les genoux ou quoi ? »

L’adrénaline qui pulsait lui donnait presque l’impression d’être sous une sorte de nouvelle drogue car elle ne comprenait même pas à moitié ses propres raisonnements. Néanmoins elle se laissa tout de même tomber à genoux –ses jambes en coton n’aidaient pas à la soutenir debout– à une distance encore raisonnable de la peluche en furie et s’il s’eut agit d’un documentaire animalier on aurait cru voir là un geste de soumission face à un animal dominant.

« Laisse nous tranquille s’il te plaît, on ne veux pas t’embêter ni abîmer la forêt ! elle implora l’ourson –si elle avait jamais eu une dignité, le peu qu’il lui restait venait peut-être de s’envoler. L’école est en feu, j'ai perdu mon alice et des gens armés sont venus chercher tout le monde, on ne sait pas pourquoi, je t’en prie laisse nous partir ! »

S’il se décidait malgré tout à l’attaquer, Isis espérait presque qu’il lui cognerait suffisamment fort la tête pour qu’elle sorte enfin de ce mauvais rêve sans fin.

Isis poussa un long soupir de soulagement quand l’ourson violent sembla se calmer –quoique la panique l’ait poussée à faire, ça avait miraculeusement marché, et si l’adrénaline n’était pas encore présente dans ses veines à la tenir debout malgré ses nerfs fragiles, elle se serait peut-être effondrée sur place à cause de la nouvelle tension soudaine relâchée.
Elle répondit à la gratitude d’Orion d’un simple hochement de tête un peu vague, et acquiesça de nouveau quand il proposa de suivre la peluche qui semblait vouloir les guider quelque part –peut-être pour les piéger, mais entre lui et les militaires armés, Isis préférait encore le petit ourson aux poings d’acier car elle avait encore moins confiance envers les hommes.
Son cœur se pinça légèrement à la remarque de Cassiopée alors que de vieux regrets trouvaient le moyen de remonter en elle malgré le chaos ambiant, mais elle secoua la tête pour s’en débarrasser –elle n’avait pas besoin de ça.

Un regard en arrière pour s’assurer que Xanadu et Stanis étaient toujours là lui fit remarquer à son tour les lumières menaçantes qui s’approchaient d’eux, et soudain boostée d’une vague certitude qu’ils allaient s’en sortir et qui tenait ses peurs un peu à l’écart, elle s’avança pour emboîter le pas de la peluche.

« Il peut pas nous faire plus de mal qu’eux, fit-elle à voix basse pour se convaincre autant que pour convaincre ses camarades. On ferait mieux de le suivre, je suis d'accord. »

Ils avaient donc suivi l’ours en peluche à travers les bois pendant longtemps –trente minutes si Isis en croyait l’horloge affichée sur l’écran de son téléphone mais ça lui avait semblé beaucoup plus long maintenant que l’adrénaline était redescendue et que le froid de la nuit hivernale lui mordait la peau que son uniforme enfilé à la va-vite ne gardait pas très au chaud. Au contrecoup du stress s’ajoutait la fatigue constante de ses insomnies, et malgré tous ses efforts pour rester concentrée sur le chemin tortueux, elle avait trébuché plusieurs fois en pestant, se prenant les pieds dans des racines ou des pierres dissimulées par la végétation et l’obscurité.
C’était épuisée qu’elle avait finalement atteint, avec les autres, un grand mur qui semblait démarquer l’enceinte de l’Académie. L’ourson leur pointa le champ de force de Miss Windsor qui semblait instable, comme s’il leur indiquait la sortie, avant de retourner s’enfoncer dans la forêt.

Après ces trente longues minutes à marcher sans discuter, Cassiopée pris la parole pour décider de la marche à suivre, et Isis ne dissimula pas un petit sourire narquois et peut-être un peu amer à voir son ancienne amie prendre les rênes comme la leader qu’elle voulait être.

« Non… toujours rien. »

Elle avait plusieurs fois réessayé d’activer son alice dans la forêt sans succès.

« On peut peut-être essayer de sortir de l’académie pour chercher de l’aide ? Si la barrière est affaiblie il y a peut-être des failles dedans ? »

Elle avait proposé l’idée sans grande conviction car dans l’éventualité déjà absurdes qu’ils parviennent à quitter cet enfer et rejoindre la ville la plus proche, qui irait croire un tel scénario sur paroles s’ils n’avaient aucune preuves à présenter ? De plus, leurs assaillants étant des militaires, le gouvernement était peut-être directement impliqué, rendant alors toute tentative de faire jouer une autorité extérieure en leur faveur d’autant moins possible à ses yeux.

« On ne sait même pas s’il y en a d’autres dehors ceci dit… »

Accablée par la fatigue et ce terrible sentiment d’impuissance, Isis poussa un soupir résigné et s’assit par terre en tailleur, le visage entre ses mains.