Ft. Les best
Décembre 2019

Elle avait rêvé d’anarchie, elle avait rêvé de guerres, Queen. Elle avait rêvé qu’on repeigne le monde avec les bonnes couleurs, qu’on efface de son tableau ce qui était indésirable, tous ces autres qu’elle ne supporte pas. Elle avait rêvé qu’on mette enfin un coup de pied à la fourmilière, qu’enfin les nuisibles soient vraiment nuisibles et les héros vraiment héros.

Ce soir elle aurait donné n’importe quoi pour qu’on lui rende son tableau malformé d’antan.

La panique avait été telle qu’elle ne se souvenait plus de comment elle en était arrivée là. Arrachée à ses draps par le bruit assourdissant de l’alarme, puis ballottée par la foule. Encore une fois, ni ses trois étoiles, ni son statut de déléguée ne lui fut d’un quelconque secours. Son téléphone, comme à l’accoutumé, abandonné dans le tiroir de sa table de chevet, elle s’était retrouvée en pyjama au beau milieu de ses camarades, Queen. Elle ne saurait dire si c’est la vision des militaires ou les cris de certains de ses camarades, mais entraînée par un mouvement de foule le monde avait tourné, sans dessus-dessous. C’était comme un épais brouillard, le sang qui bat les tempes. Et quand, enfin, le brouillard se dissipe, on se rend compte qu’on est seule au beau milieu des allées. Et là, Queen panique. Elle aperçoit le feu au loin, elle entend des voix dont elle ne parvient pas à identifier la provenance. Dans son imaginaire de jeune-fille de douze ans, Queen assimile les événements à une scène de guerre, à une apocalypse comme on en voit dans les livres. C’est trop, beaucoup trop d’un coup. Ses jambes qui la porte sans qu’elle n’en donne l’ordre, elle n’a plus aucun contrôle Queen, mue seulement par la panique, elle se rend compte qu’elle pleure sans savoir depuis quand. Au détour d’une allée elle aperçoit le bâtiment interdit.

Ace… Grand-frère… Je dois trouver mon grand-frère.

Seule pensée lucide, seul éclat de conscience dans cet ouragan qui lui fait perdre tous ses moyens. Les dangereux étaient spéciaux, alors ils devaient être réunis là-bas. Elle n’écoute pas les milliards de contradiction qui bousculent sa logique, elle se précipite, Queen, à l’intérieur du bâtiment, est sur le point d’appeler à l’aide, d’appeler son frère quand les pas des directeurs se font entendre. Un second réflexe qu’elle ne contrôle pas, s’engouffre dans la première pièce qui vient et se cache. Elle les entend, des mots qu’elle entend mais dont elle ne retient rien. Une partie d’elle lui dit de sortir de sa cachette, parce que les directeurs étaient dans son camp, n’est-ce pas ? Les directeurs étaient là pour la protéger, pas vrai ? Et pourtant rien ne bouge, le corps aussi froid qu’un mort, elle est incapable de bouger, Queen, elle sent ses doigts geler, son souffle se refroidir. Elle perd le contrôle Queen.  Quand les deux hommes s’éloignent, ses jambes se décident enfin à se déraciner du sol. Elle arpente le couloir dans un reniflement, ah, c’est vrai qu’elle chiale, Queen.

C’est vos voix qu’elle entend dans la pièce suivante, elle reconnaît les vôtres Aconit, Violette. Elle s’y accroche, la seule chose familière dans tout ce merdier incontrôlable et incontrôlé. Pousse la porte alors que ses mains marquent le bois de son froid.

« Je… Je… »

Elle renifle bruyamment, elle ne reconnaît pas tous vos visages au milieu de son regard brouillé de larme.

« Je cherche mon grand-frère… Mais y a personne… C’est la guerre dehors… Et la directrice… J’ai peur… »

Ft. Les best
Décembre 2019

Une main secourable à laquelle on s’accroche avec la précipitation maladroite d’une enfant en manque de contact. Un besoin viscéral de sentir contre sa paume la chaleur d’un être humain, d’entrer en contact avec quelque chose de connu, même si ce n’était jusque-là qu’avec les yeux, Juno. Enfin, presque une délivrance pour elle que de lier les peaux. Ce n’est pas la main d’Ace, mais c’est la main d’un visage qu’elle pense amical, Queen. Un visage du “comme avant”, qui lui dit que si tout part à vau-l’eau derrière les murs des dangereux, ici on est en sécurité. Pour l’heure, c’est tout ce qu’il compte, on préfère rester accroché à ta main que d’affronter les bruits étrangers du dehors.


Vous savez, quand tout sera fini, Queen se reprochera sa conduite, elle se détestera, elle s’en voudra d’être aussi faible et lâche. Mais pour l’heure, y a juste ta main et à ses yeux le reste, on s’en foutrait presque.

Alors elle te suit sans rechigner, un coup d’œil derrière son épaule pour voir si le monsieur, la fille lumière et le beau garçon suivent aussi. Queen n’a, pour le moment, pas la curiosité de vouloir savoir. Queen veut juste ne plus entendre les bruits de guerre, ne plus voir les bottes épaisses des étrangers, ne plus sentir son pouvoir menacer de s'échapper et tout geler sur place. Dans le fond, c’est déjà peut-être pas mal venant d’une gamine de douze pige déjà bien instable. La princesse redeviendra de glace quand son cœur aura cessé de tambouriner et son estomac de se tordre dans tous les sens possibles. Mais pour le moment, y a juste ta main à laquelle on s’accroche pour chasser le mal. Un peu comme à l’époque, où l’on s’accrochait à la main de Maman, parce que vous savez, Maman disait avoir le pouvoir de chasser les cauchemars. Peut-être que toi aussi tu l’as ?

Promis, on redeviendra grande et forte après.

On l’a promis à Ace.