Malgré la panique, les regards apeurés, le désordre ambiant et la présence inquiétante de militaires, il y a ce léger sentiment de satisfaction qui grimpe en lui de voir ainsi l'Académie bouleversée par tant d'inattendues. Il y a certes le risque de se retrouver pris dans un engrenage dangereux dans lequel personne n'est à l'abri, mais Kièl ne peut s'empêcher de savourer voir ainsi cette noble institution être réduite à un château de cartes capable d'être ébranlé à la moindre brise.

Ce qui est moins satisfaisant toutefois, c'est le fait de se retrouver dans la ferme, en sweat et en jogging, entourés d'autres élèves qu'il ne connaît pas vraiment. Il ne s'est peut-être pas entouré des meilleurs dans une telle situation et ça, c'est emmerdant. Foutu instinct qui l'a probablement conduit vers ces animaux qu'il affectionne tant plutôt que dans un endroit qui l'aurait véritablement offert un refuge plus solide. Mais maintenant il n'a plus le choix, il se doit de suivre le mouvement et s'adapter. Ca commence par de l'observation. Lancelot, de sa promo. Deux autres étudiantes dont il est sûr d'avoir leur prénoms sur le bout de la langue. Et une jeune fille plus jeune dont il n'est même pas sûr d'avoir déjà croisé la route. Une sacré équipe de gagnants, surtout quand il les entend parler.

« Gratter des infos ? Tu pourrais faire ça ? »

Rebondir sur l'essentiel, ne pas s'attarder sur le superflu.

« Et je sais pas qui est la flaque mais si vous pouviez attendre de vous entre-tuer une fois qu'on sera sorti de ce merdier, ce serait sympa. »

Ses yeux balaient l'endroit. Quelques idées lui viennent. Qui ne lui plaisent guère. Malheureusement, à choisir, il préfère faire quelques sacrifices plutôt que de prendre le risque de se faire attraper par ces militaires peu chaleureux.

« Libérer les animaux pourrait si besoin nous aider à faire diversion. »

Des chevaux effrayés et libérés...de quoi aussi foutre une pagaille supplémentaire.

Une flaque. Une gamine à l'ouest. Un enfoiré qui l'insulte de chat. Et une dernière qui suit l'enfoiré dans sa connerie. Avec en public, des animaux apeurés. On se fout de sa gueule c'est ça ? À ce rythme là, il devient nécessaire de penser à sa gueule et rien d'autre. Question de survie. L'idée de sortir par la fenêtre pour se faire la malle, il se la note discrètement dans le coin de la tête. Faire diversion par contre...ça, ça reste à voir. Mais pourquoi pas leur faire croire le contraire et se débarrasser d'eux de cette manière pour continuer en mode solo.

« Et si on se sépare ? »

Commencer par avancer ses pions. Dit comme ça, l'idée paraît sûrement totalement insensé et pas forcément très rassurante. Mais à y regarder de plus près,Kièl est persuadé qu'il peut potentiellement la faire accepter. Enfin, il aimerait surtout bien y croire et se débarrasser ainsi des poids morts qu'il a sur le dos.

« Moi et la flaque, on fait diversion, on se planque. Pendant que vous, vous essayez de comprendre ce qu'il se passe et pourquoi pas, trouver un autre endroit loin des militaires. » Courte pause « Et vous gérez la gamine aussi. »

Parce que là, il a clairement pas la force de faire le baby-sitter. Et Lance a plutôt l'air de se débrouiller. Quant à la dernière demoiselle, vu son alice, c'est la plus à même de dénicher des infos et comprendre ce qu'il se passe.

« Et que les choses soient claires, le prochain qui m'insulte de chat, je m'en sers de bouclier humain pour sortir d'ici. A partir de maintenant vous dites caracal ou vous dites rien, c'est compris ? »

Sa patience arrive déjà à bout. Mauvais signe. Sûrement la situation qui joue déjà sur ses nerfs... Mais être réduit à un vulgaire matou, non merci. De toute façon, il est pas ici pour faire copain-copain. Il a juste besoin de s'en sortir. Pas grave pour les dommages collatéraux.

A trop douter, à trop parler, ils ont oublié la véritable situation dans laquelle ils sont. Et la porte qui s'ouvre pour y laisser rentrer des militaires leur rappelle lourdement qu'ils ne sont pas tranquillement dans la ferme pour donner des carottes aux équidés. Loin de là. Et il n'y a plus le choix à présent.

Lancelot l'a bien compris et pris les devants. Se cacher. Seuls lui et la flaque ne bougent pas. Enfin, ne les suivent pas. Sans un mot de plus, il la regarde s'éloigner. Il ne cherche pas à comprendre où elle compte utiliser son alice, il a plus important à faire. L'avantage de ne pas avoir eu le temps de s'habiller correctement, c'est qu'il n'en perd pas plus à les enlever et à les cacher derrière une botte de foin. Et sans plus attendre, la fourrure a pris la place sur sa peau.

Par un saut agile, il plante ses griffes sur l'une des poutres en bois et la grimpe sans un bruit. Là-haut, il se recroqueville. Ses oreilles atypiques se plaquent en arrière. Et ses yeux qui lui offrent une vue aiguisée scrutent l'endroit sombre. Pour une fois, il songe qu'il ne serait pas contre l'idée d'être confondu avec un très gros chat si les militaires venaient à remarquer sa présence. Mais si tel n'est pas le cas, ses réflexes et sa souplesse de félin lui offriront toujours le loisir de riposter et de s'enfuir. Sans oublier ses canines pointues et ses griffes acérées, qu'il prend soin de dissimuler pour le moment.

Et il ne reste plus qu'une chose à faire : attendre. Et aussi se décider... penser aux autres ou qu'à ses propres intérêts ? Il hésite encore et prie simplement pour que les 3 autres élèves ne fassent plus un bruit.

Un silence assourdissant. De celui qui crève les tympans de son écoulement lent et interminable. Brisé finalement par un coup brutal et une exclamation venue de l’extérieur. Le militaire est ressorti aussi vite qu’il est rentré. Mais Kièl n’a pas le temps de s’en satisfaire. Sous lui, la terre semble avoir pris vie. Et son perchoir improvisé n’a plus rien de stable.

Le voilà qui chute. Il doit sa réception sans heurt simplement grâce aux réflexes du félin. Et ses griffes se plantent instinctivement au sol, dos courbé vers le sol, prêt à bondir sur un ennemi qui pourrait finalement revenir sur ses pas. Ou bien l’un de ces chevaux déchainés qui pourrait se décider à le piétiner.

Quant aux autres, ils ont tous l’air d’être en un seul morceau. Ses oreilles attentives écoutent leurs propositions, de la plus idiote à la plus sensée. Il hésite à reprendre forme humaine mais il serait alors coincé, sans possibilité de réutiliser son alice. S’il s’est métamorphosé, ce n’est pas simplement pour si peu. Et puis, il a la légère impression que le reste du groupe lui prête moins d’attention lorsqu’il n’est qu’un caracal. Cela arrange bien ses affaires.

La forêt bleue. Toute proche de la ferme. L’ordinateur humain semble être la seule à utiliser ce qui lui sert de cerveau. D’autres élèves à rejoindre là-bas, en plus d’un territoire qu’il connait par cœur lui offrant multiples cachettes qui lui sont exclusivement accessibles. Sans oublier la villa du directeur. Peut-être que Monsieur Winchester pourrait enfin faire preuve d’utilité s’il s’y trouve.

Il est donc grand temps de sortir d’ici, avant qu’il ne finisse écraser par ce qu’il reste de la ferme. D’un pas de velours, il s’approche de la sortie, hume l’air pour s’assurer que personne ne se trouve à proximité. Un dernier regard en arrière. Quelques secondes pour les laisser se décider. Qu’ils le suivent ou pas, qu’importe, mais il ne leur ouvrira pas le chemin une deuxième fois. Lui a la chance de bénéficier de foulées rapides et discrètes qui lui permettent de courir dans la nuit noire sans provoquer le moindre bruit, et il compte bien s’en servir pour atteindre l’orée de la forêt. Rien ne lui assure pour autant qu’il y arrivera. Alors être accompagné d’autres élèves pourrait au moins lui permettre de bénéficier de l’effet de groupe face à un éventuel ennemi.

Et il s’élance enfin dans l’obscurité.

La forêt a quelque chose de rassurant. L'obscurité, les arbres, la familiarité... Bien mieux que la ferme. Quoique... Son odorat l'a guidé jusqu'à un détail plutôt inquiétant. Rien de moins que du sang. Pas assez pour que ce soit quelqu'un qui se soit vider ici, mais suffisamment pour deviner que quelqu'un a été blessé. Mais sa première constatation n'est pas celle de savoir si oui ou non cette personne est morte dans ses bois, non, la première chose qui lui vient à l'esprit c'est que les militaires n'ont probablement pas peur de tirer ou de faire preuve de violence. Il devient primordial qu'ils prennent le maximum de distance avec eux. Trouver un nouveau refuge et espérer que les choses s'apaisent. Comment l'Académie peut-elle laisser tout cela se faire ? Est-elle de mèche ? N'est-elle pas censée offrir protection à ses élèves ? Beaucoup trop de questions et aucune réponse. Certes, la flaque a raison, il leur serait utile d'en savoir plus. Mais pour le moment, leur survie semble plus importante.

Tandis que Lance a énoncé l'évidence même – ne pas suivre les traces de sang – l'ordinateur humain semble être un peu plus sur la même longueur d'onde que lui. Alvin Winchester et sa villa. Toute proche. Et potentiellement l'endroit le plus sécurisé aux alentours. Alors il miaule à l'attention de celle qui a repris les choses en main. Avant de prendre à nouveau les devants pour s'enfoncer un peu plus dans la forêt, en direction de ce qu'il espère être la meilleure des solutions. L'oreille toujours attentive, le museau qui rase le sol, et le pas feutré. En espérant que ce soit la dernière fois qu'il ait à ouvrir le chemin. S'il se trouve sacrifié pour cette bande de crétins, il risque de l'avoir vraiment mauvaise. De toute façon, son alice n'est pas éternel...