Son coeur emballé au premier message, Gabrielle avait fait les cents pas dans sa petite chambre, la main faisant des allers et retours sur la poignée, elle devait se diriger vers le grenier, finalement non, il valait mieux attendre, ses doigts craquaient, sa main dans ses cheveux noués pour finalement les libérés, un pas en direction de la porte, finalement elle rattache ses cheveux et fait craquer à nouveau ses phalanges qui ne font plus aucun bruit au bout de la quatrième fois.

Sous tension depuis presque dix jours, son estomac noué au réveil de ses cauchemars torrides lui laissant un arrière-goût amer au fond de la gorge, les draps défaits de son lit trahissait les insomnies dont elle se faisait victime, et finalement la libération quand la porte s'ouvre pour laisser apparaître la seule femme au-dessus de toutes les autres.

« coucou mon ange. » Gabrielle retenait son angoisse et avec la promesse intérieure de ne pas étouffer Eulalie avec sa tendance tragédienne, elle la laisse s'installer sur son lit et prend place à côté d'elle « oui je vais bien mais il est pas question de moi, t'inquiète »

elle en voulait à Lalie autant qu'elle-même de toujours faire passer les autres avant son propre bien-être, mais elle n'en disait jamais rien, de la même manière que la jolie blonde ne lui reprochait sous aucun prétexte son égocentrisme exacerbé : on ne chasse jamais vraiment la nature profonde de ce qu'on est.

« les dangereux ? mais... » Ace lui revient en pleine gueule, elle secoue brièvement la tête, elle n'avait pas le droit de se mettre systématiquement au devant de la scène : et puis Ace et Gabrielle, ça n'était plus la même chose « qu'est-ce qu'ils t'ont fait ? T'es pas blessé ? Mais pourquoi ? »

sa respiration s'était emballée et son coeur tambourinant, elle attrapa la main d'Eulalie en signe de réconfort et lui ouvrait les bras, puisqu'elle voulait toujours sur-protéger celle qui n'en avait jamais eu vraiment besoin « je t'en veux pas, l'égocentrique Gabi a encore frappé, on connaît la chanson... » un petit rire pour se détendre, elle plus que Lalie « qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu peux m'en parler s'il te plaît ? »

Toi ma maison mon refuge mon pilier.

Gabrielle avait laissé Eulalie terminer sans l'interrompre une seule fois, et Dieu sait qu'elle en avait eu envie pour la questionner sur presque chacun de ses mots - et voilà qu'elle recommençait, la trop bonne Eulalie, à voiler les défauts de celle qui l'aime tant, mais Gabrielle n'est plus si aveugle depuis plusieurs mois.

« t'inquiète pas pour moi, ça va »

Plus aveugle sur sa propre condition, mais tellement ignorante du reste.
Elle aurait pu savoir que la classe dangereuse était envoyée régulièrement en mission, que ça expliquait tout un tas de choses, pourquoi Eulalie n'était pas aussi présente depuis plusieurs jours, pourquoi leurs élèves étaient plus régulièrement à l'hôpital, pourquoi Ace.... elle s'arrêta de réfléchir, serra ses doigts et mordit ses lèvres.

« et non, j'en savais rien... » et qu'il était douloureux, l'aveu de son narcissisme exacerbé, qui l'empêchait de voir plus loin que le bout de son nez et au-delà de sa petite personne précieuse « tu as été blessée ? » l'aveu du second alice ne la fait même pas réagir, elle savait sa meilleure amie particulière alors une preuve de plus ou de moins de son exception ne la fit pas tiquer.

« comment ça à cause de toi ? Si y avait Elyas et Robin t'étais en sécu... » elle se figea nette, évidemment, à pousser une réflexion de plus de quelques secondes, elle comprenait les incidences qu'un tel pouvoir possédait « ah, je vois... mais c'est pas ta faute, Eulalie, t'aurais pas dû être envoyée si ça comportait ce genre de risques, t'es pas responsable »

et est-ce que c'était vraiment ça qu'elle avait besoin d'entendre ?
est-ce qu'Eulalie requérait réellement la compassion et ce genre de phrases quasi toutes faites de la part de Gabrielle ?

« comment vont-ils ? Elyas et Robin, j'veux dire » elle lui souriait pour la rassurer, l'empêcher de la questionner davantage, mais aucun besoin, elle se trahissait elle-même sans l'aide de personne non, elle pouvait pas vraiment lui mentir « et Ace ? »

Gabrielle joue avec la housse des draps qu'elle saisit et lâche dans un rythme frénétique, passant une main dans ses cheveux de temps à autre « tu vas y retourner un jour, tu penses ? »

Gabrielle reste mutique de longues secondes, jaugeant le bien-fondé de ces missions dont elle ignorait l'existence jusqu'alors, et le fait que sa meilleure amie se retrouve impliquée - de force, il fallait bien le dire - ne donnait qu'une dimension néfaste et un angle déjà déterminé à son avis soudainement édifié.

« mais pourquoi ils vous font faire ça ? Tu le sais au moins ? »

Gabrielle n'est certainement pas l'élève la plus maligne de l'académie, souvent inconsciente des jeux de pouvoir qui s'y déroulaient, préoccupée bien plus largement par les peines relatives à son âge qu'à l'avenir et au présent réservés aux moins chanceux d'entre eux.
Mais elle se targuait d'une intelligence du coeur et d'une intuition souvent juste en ce qui concernait l'âme humaine, et une sensibilité accrue par les ténèbres de son plus jeune âge lui offrait une conscience toute relative sur son monde - assurément différente.

« j'y crois pas qu'ils puissent faire des choses pareilles » à l'évocation de son amant passé, elle plaque ses mains sur la surface vague de la couette et se hisse d'un seul coup « à l'hôpital ? C'est une blague ? » et là non plus, elle n'en savait rien.

Elle sort son téléphone de sa poche, pianote plusieurs fois sur son clavier et se fige, les souvenirs de leur rupture et l'absence de liens depuis freinent jusqu'à la plus audacieuse de ses inquiétudes - ses besoins de le voir exister dans son monde, qui n'était plus vraiment sien depuis son absence.

« tu sais pourquoi il est à l'hôpital ? Il y va souvent ? » quand bien même son coeur est pur, il reste souvent ignorant de ce qui n'existe qu'en coulisses et peut froisser ses émotions déjà fragiles.

« je savais même pas tout ça... j'suis vraiment trop conne »

Tu ne le savais pas ? Non - bien sûr que non, sinon, tout aurait été différent , alors la voix d'Eulalie ne passe plus, laisse un écho béant entre elle et Gabrielle, elle se croit dans les abysses marines, dans les souterrains terrestres, peut-être qu'elle y serait mieux. N'importe où sauf ici.  Tous le monde sait qu'il passe sa vie à l'hôpital car il force à utiliser son alice. Certains ne le savent pas, n'en ont aucune idée, ceux qui sont bien trop portés sur leur petite personne pour s'imaginer que les autres souffrent, eux aussi.

Gabrielle n'est plus qu'un corps abasourdi, sans mouvement, un esprit en décomposition de tout ce qu'elle ignorait jusque là, de tout ce qu'Eulalie, Elyas, Robin et Ace avaient pu traverser sans qu'elle n'en sache rien, alors qu'elle était si proche de chacun d'entre eux.

Gabrielle s'anime un peu quand la voix d'Eulalie s'éteint, alors elle la scrute à la recherche de réponses pour beaucoup trop de questions, l'air hagard et le regard creux, avant de se relever doucement, non sans passer sa main sur les épaules de son hôte.

« je... ok. Viens, on va faire un tour discretement. J'ai besoin de prendre l'air. »

L'atmosphère d'un coup devenue irrespirable, peut-être Gabrielle est-celle étouffée des révélations et inquiétudes bien plus sérieuses que celles adolescentes auxquelles elle s'était consacrée jusque là, le résultat était inchangé : elle avait besoin de s'extirper des murs froids de sa chambre, et de l'oppression qui venait s'y accoler.