c'était un peu comme enfin soulever la bonne latte de plancher et découvrir où se cachaient un couple de rats et leur portée. il trônait au milieu de la pièce le corps tout en creux, des tranchées aux joues, au ventre, sous les yeux. assorti au mobilier crasseux dont on avait brisé les coins à déplacer sans soin, s'il avait un verni c'était gratté et il ne restait plus rien. je lui ai dit "viens, il faut que tu me suives" et il est resté immobile, façon canapé flingué oublié par les précédents locataires qui se contenterait de prendre la poussière si on n'y mettait pas du sien pour débarrasser. alors j'ai pris son bras pour filer l'impulsion, constatant à ce moment que mes doigts pourraient en faire le tour deux fois. pour ça que sur le chemin du retour, avant de rentrer pour de bon à l'académie avec le garçon vermine, j'ai fait un arrêt à la supérette de la gare pour lui acheter le club sandwich le plus cheap des présentoirs. il s'est méfié une seconde et puis a planté les crocs aussitôt qu'il a conclu que ça sentait le comestible. je crois que je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi extatique à l'idée de déguster un jambon-beurre de kiosque à journaux.

après ça, je lui en ai payé cinq autres.

‹‹ garçon vermine ››

privation · capacité de se priver d'un ou plusieurs besoins vitaux sur une très longue durée sans effets indésirables

nourriture, eaux, repos, des jours, des semaines, (des mois on n'a jamais pu vérifier), et toujours de l'énergie à consumer. mais se risquer à ne rien consommer trop longtemps et le retour de frappe est violent ; tobi doit alors engloutir des quantités affolantes de tout ce qui est nécessaire pour compenser, vide l'assiette du voisin du voisin du voisin après avoir terminé toutes celles des précédents. aurait dormi treize jours d'affilés après un mois sans fermer l'œil quand il avait onze ans.

phy · indéterminé

âge d'entrée à l'académie · on lui a donné huit ans max avant d'établir après bilans de santé qu'il en avait dix à son arrivée
opinion sur l'académie · trop cool !!

ft stray by @_mecchi



je ne sais pas pourquoi il s'efforce à chaque petit-déjeuner, insiste pour que l'on garde la boîte de céréale surcolorée bien en évidence comme si le verso renfermait la réponse aux grandes questions de l'univers. assis là, dos voûté visage froissé, je pense qu'il lui fallait les matins du lundi et du mardi pour d'abord déchiffrer la consigne. les instructions des personnages cartoonesques et ahuris lui intimaient de relier les points, trouver les sept différences ou bien sortir des labyrinthes dessinés, et de bon cœur il s'y attelait.

mercredi, il avait toujours un crayon sur lui ; rongé à la fin jusqu'à la mine carbone, des marques de crocs dans le bois mâchonné. ça, et puis ces expressions attentives qu'il avait couramment en compagnie des autres. les autres font difficilement preuve de patience avec lui, mais lui à contrario possède une docilité surprenante à partir du moment où on lui accorde la moindre attention. je l'ai souvent vu fasciné par les choses les plus frivoles, et les talents stériles au possible ont des allures miraculeuses à ses yeux.

les jeudis étaient furieux, car comme la veille, il ne parvenait pas à trouver la solution. gare à ceux qui voudraient lui souffler des indices ou faire à sa place ; à ces personnes il montre les dents, repousse hargneux, le gros dos, et il se taille si peu les ongles qu'à se faire chasser on risquait le coup de patte. quand on le contrarie ou qu'on le contredit trop - sûrement parce que c'était se sentir exister désagréablement et que ça lui changeait d'avant - il se met naturellement à brailler, comme si lui dire de se taire c'était menacer de l'égorger.

paisibles vendredis, laissaient présager la résolution des dilemmes de sa vie. tout à coup ça semblait clair et il exécutait l'air d'avoir toujours su comment il fallait s'y prendre. quand il intègre la moindre connaissance il reproduit à l'infini. traitement similaire avec les comportements, il est ce genre de garçon à dérober les expressions et les manies. s'imbibe trop facilement de ce qui l'entoure. et si c'était la même marque de céréales la semaine suivante sans que les jeux au dos n'aient changés, il ne rechignait jamais à les faire de nouveau.

c'est cycliques qu'arrivaient les week-end, comme tout le reste. il était parfois privé de sortie pour avoir piqué des colères ou des affaires, car c'est à coup de pulsions qu'il prend des décisions. l'instinct de survie exacerbé, probablement dysfonctionnel ; beaucoup voudraient brider mais c'est aussi ce qui le pousse à affronter les difficultés. celles des autres le touchent particulièrement, et peut-être parce que c'était pareil à la maison, quand il se bat c'est autant pour lui que pour ceux qu'il sent menacés. j'ai déjà vu des plus petits venir le trouver comme on appellerait un grand frère capable de tout régler, et il est celui qui relève et apaise les pleurs aussitôt qu'un bambin s'est égratigné en trébuchant.

mais systématiquement, lundi revient et c'est reparti pour un tour. depuis le primaire que les jours et les humeurs bouclent, et la progression si lente, est-elle suffisante pour prendre en compte ? je ne sais pas, j'essaye de ne pas m'en faire pour lui
mais Tobi a beau grandir et faire son âge désormais
il y a ces moments où je le revois à l'identique
dans le même état que cet après-midi
où je l'ai trouvé là, au milieu du salon délabré.

j'essaye de ne pas m'en faire mais revoilà lundi
et les caprices pour qu'on laisse la boîte de céréales à sa place -
c'est-à-dire devant lui.

farouche · intenable et infatigable · mal élevé · bref, sauvage · facilement enthousiaste · curieux et intéressé · collant · colérique · protecteur · très dysfonctionnel · peut-être trop

insupportable quand c'est lui qu'on désigne pour lire les énoncés à voix-haute, ça prend des plombes et on a pas que ça à foutre · pourtant il s'obstine à lever la main · écrit la date qu'il a déjà fait une faute · au primaire c'était dès son nom de famille en haut des copies · tobi meyerse · un cassos au sens propre du terme · dans le sens où si l'académie l'avait pas déniché et accueilli il aurait fallu avoir le num de la ddass en speed dial · tous les matins, mange un bol de céréales tellement plein qu'à chaque coup de cuillère il en fout partout · puis boit le lait et mange ceux qui sont tombés à coté · avant de boire le lait de ceux qui finissent pas · avant de se resservir · corn flakes + dix tonnes de sucre + les sandwichs triangle = son jam · résolvait les conflits en mordant quand il était en primaire · c'est une manie qui perdure et refait surface parfois · farouche à l'époque, on regrette cette période où il s'enfermait dans le mutisme · à tendance à amasser de la nourriture dans sa chambre sans y toucher, accumule et s'affame quand même comme si on pouvait arrêter de le nourrir à tout moment · vole des petites choses inutiles aux gens qu'il aime bien · et des objets précieux à ceux qu'il n'aime pas · fasciné par la technologie, bien qu'il n'y comprenne rien · fasciné par les relations humaines, bien qu'il n'y comprenne rien · carbure à cause de son alice pendant des jours, il en tremble de nervosité les dernières heures, avant que l'ampoule ne claque · s'ensuit le switch off et souvent il lui faut presque deux tours d'horloge pour récupérer · pionce à des endroits improbables · plutôt inadapté socialement parlant · maladroit, trop direct, indiscret, aucun second degré · rigole, n'a pas compris la vanne, on lui explique, il re-rigole · il n'est pas stupide · si on affirme le contraire, au choix : il hurle, il hurle, il pique une colère dans son coin, il balance des trucs à la figure des gens, ou alors le cas échéant, il hurle · si il fait mal, c'est qu'on ne lui a tout simplement jamais appris à faire autrement

la violence d'où l'on vient est indolente. lancinante, elle n'est pas de celles qui portent des coups et médisent la naissance ; elle marque par le refus pur et simple d'accorder la vie pour de bon. elle a fait venir au monde et puis c'est tout, nada, que tchi, rideau ; circulez y a rien à voir. rien à admirer dès la couverture, bâclée et écornée, on ouvrirait Tobi en deux qu'on tomberait sur des pages encore blanches.

c'est à s'interroger sur la pertinence des prénoms, et si l'un d'eux renfermait la moindre préférence, le moindre bon goût. si ses parents n'étaient pas un tant soit peu intelligents, ils n'auraient pas commis l'affront de choisir des sobriquets de gens normaux plutôt que de nommer la demi-douzaine de marmots enfantés selon les allocations versées. ainsi les frères et sœurs de Tobi s'appelleraient plutôt Écran plasma, Canapé en cuir, Voiture d'occasion, Lave-vaisselle et Machine à laver, et l'on comprendrait mieux leur présence parmi le mobilier morose de l'appartement miteux.

on excuserait le décrochage scolaire et la pédagogie calamiteuse. les onomatopées utilisées pour s'adresser à eux, le fait de claquer la langue pour les interpeler comme des animaux. la maison capharnaüm, aux allures de zoo.

il y a tout simplement des gens qui ne sont pas fait pour avoir des enfants et qui en font quand même, et c'est idiot comme histoire. la grandiose bêtise à la source de toutes les cruautés, elle remet en question l'existence de méchanceté pure et dure. car ce n'était pas par malice qu'on privait les petits de quoi manger ; juste qu'on ne voyait pas l'intérêt d'entretenir. plutôt que de faire pousser les plantes, on laissait la moisissure envahir - les lieux le corps et l'esprit - et l'on se plaisait modestement à vivre dans une jungle de débris et de fatras, des lambeaux d'emballages pour liane et du débarras de fringues sales pour tapis de mousse.

et Tobi n'est pas en colère - pas souvent - au contraire ; a connu le pire et s'euphorise de découvrir toujours mieux. devenir meilleur, c'est lent et fastidieux. à avoir été trop sauvage on se demande si la captivité porte vraiment ses fruits. parfois ses attitudes sont si fauves qu'on remet en question tous les efforts,
mais Tobi n'est pas mauvais - preuve que ses parents avaient tord - certains ici affirment tout le contraire
et il persiste à croire qu'il vaut rien qu'un peu,
suffisament pour ne pas finir aux ordures
dans lesquelles il est né.