Quelques coups résonnent et la porte s'ouvre alors que tu te tournes vers cette dernière, n'abandonnant pas le maigre espoir de voir les cheveux pâles ébouriffés apparaître à l'entrée de ta chambre. Faënor débarque l'air bêtement heureux, s'assoit sur ton lit comme si de rien n'était et te demande des nouvelles.

C'est que t'as l'habitude maintenant, de le voir s'éloigner sans un mot pour revenir quelques temps après, dévoré par les remords ou aveuglé par les souvenirs du passé - mais ton cœur se serre tout de même lorsque tu le regardes partir.

T'oublieras jamais comment il était quand vous vous étiez rencontrés : tu l'as connu brisé, perdu, coincé dans une torpeur mélancolique et l'abattement le plus total.

Alors tu les vois
les fissures derrière les grands sourires
l'amertume derrière les rires
les yeux mornes derrière les étincelles.

Sa tristesse tu la sens, ça déborde un peu, plus que d'habitude, il a du mal à tenir le rythme cette fois - il se fatigue de cette comédie.

Faë il arrive aussi vite qu'il repart, effrayé par l'idée de s'attacher
tu peux pas lui en vouloir, toi aussi tu trouves l'idée de la fin terrifiante
alors tu comprends, tu lui pardonnes toujours de te quitter lorsqu'il ne peut plus rien supporter.


Le salut est bref mais c'est avec le sourire que tu l'accueilles, cigarette fumante à la main et appuyé contre le rebord de la fenêtre.

Tu l'observes faire comme s'il était chez lui, retenant un nouveau sourire - on ne change pas les vieilles habitudes. Tu l'espérais et il s'est montré, ignorant votre dernier échange froid et court.

Puis tu repenses à ce qu'il te demande, aux événements d'il y a un mois - c'était il y a si longtemps déjà?


La honte ressentie à ce moment-là n'était rien comparée à l'incompréhension face aux flammes, aux cris et aux pleurs. Ta mère tu savais déjà au fond qu'elle participerait jamais à un truc pareil mais t'avais pas pu t'empêcher d'espérer la voir. La serrer dans tes bras, juste pour quelques instants, comme ces autres élèves qui avaient eu la chance - ou le malheur  de revoir leurs proches.


Les sentiments on les met de côté quoi qu'il arrive, on se dit qu'on n'a pas le temps d'y penser et c'est avec un espoir lâche qu'on pense qu'ils vont disparaître dans leur coin.

Le visage entortillé dans les méandres gris de la cigarette, tu te tournes vers ton ami
- c'est qu'il a l'air si fragile à cet instant, comme s'il était sur le point de se briser, que t'as envie de le prendre dans tes bras et lui dire que tout ira bien, quoi qu'il arrive.


Tant pis si la dernière fois il n'avait pas pu rester près de toi. Peut-être que t'aurais pas dû aller le voir finalement, lui qui a si peur de l'affection - les sentiments contradictoires qui s'emmêlent, lui qui est si aimant quand il cesse de redouter votre amitié.

Les yeux vont rencontrer ceux de ton acolyte, incapables de retenir l'inquiétude que tu ressens à son égard
- c'est que t'as peur pour lui aussi.

C'est d'un œil amusé que tu l'observes t'ôter la clope des mains pour la porter consciencieusement à la bouche ; un geste que tu ne tolères seulement lorsqu'il est perpétré par les plus proches
- bien que celui-là soit un peu distant lorsque le cœur lui en dit.


Les militaires et les parents s'étant éparpillés parmi le public et les gradins, tu ne pus t'empêcher de te demander s'il lui était arrivé quelque chose ce jour-là. L'inquiétude qui te serre le cœur est vaine, parce que tout était fini désormais.


Paralysé par ta propre impuissance, tu n'avais pas pu bouger lorsque le stade s'était soudainement embrasé ; aveuglé par la fumée qui s'élançait vers le ciel
- âcre et étouffante.

Tout ce dont tu peux te souvenir après ça, c'est l'odeur de brûlé qui flottait dans l'air, le feu qui crépitait dangereusement près de toi, et une vague sensation de tournis. Apparemment, Ulysse s'était jeté à corps perdu dans les flammes pour aller chercher Diane, et s'en était sorti sans trop de mal. Tu t'en étais atrocement voulu, d'avoir été pétrifié sur place par l'incompréhension, de ne rien avoir pu faire de plus.

Au final, tu l'avais laissé brûler ce feu,
tu avais été consumé
après qu'il ait éclaté d'une fureur sans égale.

Tu lâches un soupir et reprends en main la cigarette que ton ami te tend, l'esprit tiraillé par les remords en repensant à cette journée.

A la fin de cette journée, tu t'étais machinalement traîné jusqu'à ta chambre, encore sonné par les événements : les pensées avaient tournoyé dans ton esprit jusqu'à l'aube
- une autre nuit de perdue.


Tu ne savais pas ce qu'il était advenu des parents ; et en repensant aux méthodes radicales - et injustes - de l'académie, ça t'avait finalement rassuré que ta mère ne se soit pas montrée. Qui sait ce qu'il lui serait arrivé si elle n'avait pas pu s'enfuir à temps?

Nombre d'élèves avaient perdu leurs étoiles, tandis que d'autres avaient au contraire été récompensés pour leurs "exploits". Et l'écart entre les rangs s'était d'autant plus creusé après ça ; ce système était si faux, si affligeant que tu n'avais même pas pu t'estimer heureux d'être sorti de cette situation sans trop d'histoires.


Le simple fait de savoir qu'il avait été là, à te regarder, peut-être même à t'encourager malgré ta piètre performance, ça te rassurait. La pression sur tes épaules se levait un peu, à te dire que quelqu'un pouvait veiller sur toi
- que Faë avait été là.