enfin. enfin, la fin de la semaine. enfin, l'heure du dernier couvre-feu était passé.

enfin.

à l'abri dans ses appartements, myosotis avait pris le temps de se doucher, de se changer et même de sécher ses cheveux.

alors désormais elle dessinait. elle dessinait sur la tablette graphique qu'elle avait acheté avec un de ses premiers salaires, testait des trucs et jouait avec les couleurs. la soirée s'annonçait calme. rien qu'elle, son écran, une bouteille de vin rouge et un air planant de bossa nova dans la pièce. elle avait éteint le plafonnier, se laissant bercer par rien d'autre que la lumière de sa tablette et la lueur tamisée d'une lampe de salon. une soirée parfaite et parfaitement calme en perspective.

jusqu'à ce que le bruit familier de son téléphone ne résonne dans la pièce.

elle prit un instant avant de l'attraper, les sourcils légèrement froncés, pour lire le message qu'elle venait de recevoir. il provenait une élève du lycée, en deux étoiles. du grabuge à l'état du dessus, semblerait-il. elle fixa un instant son écran avant de soupirer. lorsque le devoir appelle, il n'y a pas vraiment moyen d'y couper. alors elle s'active, myosotis, telle la cape d'une super-héroïne elle glisse un peignoir par-dessus sa nuisette, enfile une paire de kitten heels et se précipite à l'extérieur.

il ne lui faut que quelques minutes pour se retrouver à l'étage des trois étoiles. c'est un étage habituellement calme, surtout en vue de l'heure, mais on entend clairement des bruits de fracas en provenance d'une chambre que myosotis identifie rapidement et connaît bien. gina. quelques élèves sont sortis de leur chambre alertés par le bruit mais la surveillante leur intime d'y retourner immédiatement et de rester calmes. ce n'est pas habituellement le genre de chose à laquelle on pourrait s'attendre de ta part, gina, mais elle doit bien avouer que ton comportement commence à l'inquiéter.

elle toque de quelques coups contre ta porte, juste pour la forme. aucune serrure ne lui résiste, de toute façon. elle ne prend même pas la peine de cacher l'inquiétude dans sa voix et presse sa main contre la poignée, prête à laisser son alice se charger du mécanisme de la serrure si cela s'avérait nécessaire.

gina ? gina c'est moi, myosotis. j'entre.

et elle s'engouffre dans la pièce, la refermant derrière elle. myosotis s'approche de toi, te tendant doucement sa main.

je suis là maintenant. ça va aller. ça va aller. c'est fini. doucement, ok ?

elle t'adresse un regard.

un regard ne suffirait jamais pour comprendre l'étendue de ta peine. myosotis, pourtant, ça ne l'empêche pas d'essayer. elle retient un instant son souffle, laisse ses yeux détailler l'état de la pièce. une odeur ferreuse vient taquiner ses narines et lui fait plisser le nez. tu te détournes et elle s'approche des morceaux de verre pour les écarter partiellement. elle veut commencer par écarter le danger, le danger pour toi, pas pour elle. elle songe un instant que dans un accès de colère, tu pourrais bien lui éclater cette bouteille sur le crâne si elle s'approchait trop près.

et elle décide que ce n'est pas grave.

les bouts de verre écartés, elle s'approche encore un peu.

de toi, cette fois.

le front plissé, elle fixe le sol avant de remonter les yeux vers ton visage, détaillant toute ton allure. notant dans sa tête qu'il faudrait qu'elle te dise de panser tes blessures, toutes tes blessures. sa main droite se referme autour de la tienne, sans presser tes doigts mais en agrippant fermement le verre de la bouteille. elle tire fermement pour l'écarter avant de glisser ses bras autour de ta silhouette. étreinte dans laquelle te maintient prisonnière pour que tu puisses l'écouter un peu avant de vouloir t'échapper ou la repousser.

je suis pas ici par pitié, gina.

elle a le menton posé sur ton épaule droite, dans une position qu'elle maintient pendant quelques dizaines de secondes avant de s'écarter un peu sans te lâcher. les deux mains sur tes épaules. les yeux rivés dans les tiens. myosotis a envie que tu ailles mieux mais elle craint que tu ne te refermes trop sur toi si elle te presse immédiatement pour plus de détails, même si sa curiosité la picote douloureusement. ce ne serait pas approprié.

je suis pas ici par pitié mais je suis là pour toi, ok ? écoute...

elle décolle ses mains de toi pour venir s'adosser contre le bureau, un léger soupir sur les lèvres. allons-y doucement.

je vais t'aider à ranger un peu et on va s'occuper de tes mains, d'accord ? après on fera ce que tu voudras. je veux pas te laisser comme ça, gina...

ce n'est pas qu'elle veut tout réparer dans un effort d'effacer toute ta tristesse, myosotis, consciente que retenir et contenir ses émotions ne fonctionnerait pas.

ce n'est pas qu'elle veut tout réparer mais il faut ramasser les lambeaux. ramasser les lambeaux et les réparer, oui, il est vrai, ceux qui sont emprunt d'une telle affliction, ceux qui tremblent à chacun de tes soubresauts. ceux qui témoignent de quelque chose qui brûle là et qui souffre, au cœur de la mer de sanglots. encore faudrait-il s'avoir par où commencer. le choix se porte sur les fragments de verre qui s'amoncellent au sol, les fragments physiques et tangibles avant tout.

ceux-là sont probablement les moins dangereux.

il lui faut quelques instants pour réfléchir à comment agir. les phalanges viennent se glisser sur tes joues, douces, suivent et tamponnent les sillons de tes joues, jusqu'aux coins de tes yeux. oh mais elle ne voudrait pas te forcer à la regarder alors elle te laisse collecter le verre et se dérobe à ta vue quelques instants. elle se glisse dans ta salle de bain après la cruelle réalisation que dans sa précipitation myosotis a oublié pansements et compresses. elle fouille un peu pour trouver du désinfectant, du coton, quelques pansements.

à poser sur tes mains à défaut de ton coeur.

lorsqu'elle revient dans ta direction elle ne peut s'empêcher de t'étreindre à nouveau. elle t'étreint et s'approche du lit pour que tu puisses t'asseoir dans le creux des draps mais elle se saisit de tes mains pour éviter qu'elles ne les tâchent plus que nécessaire. myosotis désinfecte et panse avant de venir porter les phalanges à ses lèvres pour les embrasser dans un geste doux, comme étrangement maternel. elle dit qu'elle n'est pas là par pitié et ce n'est pas un mensonge mais elle a peur, si peur de te blesser d'avantage, qu'elle agit avec une douceur infinie.

elle glisse ses bras autour de toi, à nouveau, laisse ses genoux fléchir devant ta figure et sur le sol. elle se serre contre toi, presse son visage contre ton ventre, effleure tes mains endolories du bout des doigts.

et au bout des lèvres elle a une question qui brûle.

incertaine de vouloir la poser mais tu sais elle croit en toi et elle lève le visage vers le tien, gina, appuyée contre l'autel de tes genoux, elle répète sa phrase comme à la foi et prière et promesse silencieuse que peu importe ta réponse elle fera ce qui te convient le mieux.

est-ce que... tu veux en parler ?

dans un sens tu lui rappelles des accès qu'elle avait tendance à avoir dans le passé, des accès dans lesquels elle se surprend parfois toujours à se perdre lorsque la lune est son seul témoin. myosotis parfois boit un peu trop, s'amuse un peu trop, se noie dans la foule pour se donner l'impression de ne pas vivre en apnée. myosotis parfois a l'impression que ses efforts sont vains et qu'en dépit de tout son travail elle n'arrivera jamais à se trouver un véritable but, une véritable vocation, de véritables prédispositions à un avenir meilleur.

myosotis parfois a peur aussi qu'on l'abandonne.

et elle perd un peu son regard sur tes contours, elle a un petit sourire triste sur les lèvres, la bouche qui s'incurve pour essayer de te rassurer. toute pétrie de tendresse dans la noirceur de la pièce myosotis ne voit pas d'intérêt à essayer de te secouer à essayer de te remuer ou de te presser pour tirer de toi quelques phrases, quelques mots, quelques confidences dont tu n'aurais pas envie de lui faire part. peut-être cela serait-il nécessaire mais relativement pas appréciable du moins pour le moment.

tu comprends, elle ne voudrait pas que tu te braques.

elle sait très bien qu'elle-même, si elle était dans ta situation, ne voudrait qu'être laissée tranquille à mariner dans sa colère et ses regrets, à bouillonner dans ses idées noires et les reproches dont elle s'accable.

à la place elle se redresse et se relève pour te faire face, de toute sa hauteur, elle cale un genou entre tes jambes et effleure tes joues, de toute sa douceur. du bout des doigts, elle s'attarde dans ta nuque et vient toucher le bout de ces mèches que tu as coupé, comme en réponse à ta remarque. elle laisse quelques mèches rouler autour de l'ongle de son index, les enroule doucement autour des phalanges et reste immobile juste l'espace d'un instant blottie contre toi.

pour réfléchir.

avant de se décoller doucement.

les yeux regardent autour, balaient la pièce dans la pénombre à la recherche un quelconque éclat pouvant indiquer la présence de ciseaux. elle a laissé ses bras sur tes épaules, laissé sa main droite jouer distraitement avec tes cheveux le temps que l'index gauche longe ta mâchoire pour venir relever légèrement ton menton dans sa direction. mais aucune paire de ciseaux ne semble être à sa portée ainsi alors elle reconcentre son attention sur ta silhouette et incline quelques peu sa tête vers la droite.

c'est pas grave si t'as pas envie d'en parler. je pourrais retoucher un peu ta coupe si tu veux ?

et elle relève un peu sa main gauche pour la passer dans ses cheveux, les repousser un peu en arrière, juste quelques instants avant qu'elle ne se détache totalement de toi pour venir prendre place à tes côtés, assise sur le lit.

fixant ses mains dans la pénombre.