Tu suivais un horaire tellement fixe que ton corps semblait conditionné, comme les aiguilles d’une pendule, à sentir le besoin du changement d’environnement aux mêmes heures, précisément.
Comme un instinct de survie.
Le tic tac régulier de ta montre t’aurait probablement rappelé à cette heure tardive qu’il te faudrait bientôt quitter la bibliothèque de toute façon.

C’est toujours comme ça Blue.
Toujours accompagnée de jour, mais le soir tu œuvres pour maintenir ton rang, plongée dans multiples bouquins ou occupée à taper les devoirs qui ne s’accumulent jamais longtemps.
Seule.
Pour te permettre de souffler, de te concentrer. De recharger tes batteries sociales durement épuisées.
Comme si les étoiles hissées dans le ciel pouvaient t’insuffler leur énergie quelques heures, faire office d’amis d’étude un temps.
Jusqu’à maintenant.

Livres sous le bras, tu glisses hors du lieu de savoir, longeant les couloirs silencieux telle une ombre discrète.
Tes pieds effleurant à peine le sol, pression mesurée et contrôlée. Typiquement Blue.
Effacée dans la nuit.

21h31.
L’isolation te poursuit, rassurante.
C’est qu’elle est toujours là à cette heure-là.
Mais pas ce soir.
L’habitude est brisée par cette silhouette qui se précise, cassant les lignes régulières de l’ombre des murs. Tu observes sans faire de cas, t’approchant armée d’une intervention digne de ton étoile filante fièrement arborée sur la poitrine, ton regard noircit par l’identité de celui qui se dessinait face à toi, la lumière de la lune révélant à présent ses traits beaucoup trop familiers.

« Carmin. »
Tu aurais pu t’armer de l’autre moitié de son nom, mais tu ne ressens pas cette nécessité de l’irriter pour l’instant, même si le rictus déformant ses lèvres te fait immédiatement regretter cette sage décision.
Pendant quelques secondes, tu crois revoir ce frère d’avant la guerre, celui qui aurait pu réellement se soucier de ta présence, mais cette image de Carmin s’évapore, enterrée sous des années de rivalité ayant pourri votre relation jusqu’à la moelle.
Et les combats peuvent reprendre.
Qu’est-ce que tu fais là?
« C’est plutôt à moi de te poser cette question, tu ne penses pas? » Tac au tac affuté de condescendance, les bras se resserrant sur la surface dure des livres que tu tiens par réflexe.
Inutile de regarder les aiguilles de ta montre pour savoir qu’il était passé l’heure de son couvre-feu, et la seule personne d’entre vous qui avait le droit de se trouver à cet endroit à ce moment, c’était toi.
« Tu devrais vraiment te mettre une alarme ou un rappel pour ne pas oublier ton couvre-feu. Je vais commencer à manquer d’originalité dans mes punitions, et ce serait dommage d’avoir tout donné pour ton cas. »