Il s'appelera Jaune, parce qu'il a des plumes jaunes et qu'il apporte une lumière dans son ciel tout noir.

Rouge vit et a vécu mais Rouge ne grandit pas et n'évolue pas.
C'est ce qu'elle croit, toujours. Ce à quoi elle veut se raccrocher. Rouge n'a pas besoin de grandir et d'évoluer, elle n'en a pas l'obligation. Alors elle profite et savoure, cours dans les jardins et se salit de boue, vit à deux cents à l'heure pour aller plus vite que la limite qu'on lui a imposé.

Elle tombe et se relève.
Mais Rouge sait, elle sait que toujours elle peut tomber car une main était là pour l'aider à se relever. La main pourtant n'est plus là, cette gentille main qui lui caressait le haut de la tête comme pour lui dire « je serai toujours là ».
Car même de l'autre côté, il aurait été là.

Sûrement qu'elle aurait dû arrêter. Arrêter de courir, faire attention où elle met les pieds pour ne pas tomber, comme les grands, comme les adultes. Mais comment on fait tout ça ? Comment on tient debout sur ses deux jambes, tout seul, quand personne ne nous l'a apprit ?

Rouge ne sait pas comment faire tout ça, alors elle a à ses côtés une nouvelle main qui l'aidera à se relever.

répète-t-elle, comme une incantation, comme une prière, comme si ça pouvait le ramener.

Jaune piaille.
Elle assume qu'il aime bien.
Ils sont tous les deux dans le parc, profitant de ces cieux plus clairs et du vent moins froid. Que l'hiver disparaisse lui mettait du baume au cœur. Elle l'avait posé sur ses genoux, pour pouvoir le regarder bien en face et le traiter d'égal à égal.
Il ne fuira pas, il restera avec elle, il lui avait promis, ce jour où les alices ont été mélangés et où elle a croisé sa route.
Ce même jour où elle a perdu Noir.
Elle songe, peut-être, un échange équivalent, elle qui n'avait pourtant rien demandé, rien souhaité ce soir là. Une victime collatérale.


Jaune piaille.
Elle retient ses larmes en lui souriant.
Souriant à cet ami avec qui elle ne peut pas plus converser.

« halloween »

Rouge lève le nez.

Elle ne l'avait pas entendu arrivée, ne l'avait pas vu.
Olivia avait fait son apparition telle une balle de revolver. Une jolie balle de revolver qu'elle n'avait pas envie de recevoir pour l'instant.
Mais la vie est telle qu'elle est, et personne ne peut esquiver les balles.


Rouge sourit toujours.
Elle sourit parce qu'elle peut retenir les larmes plus facilement comme ça, grace aux muscles de ses joues. C'est une technique qu'elle a apprise avec Colline. Une technique qu'elle n'aime pas utiliser car Rouge n'aime pas pleurer.


Elle répète.
Encore et encore.
Si elle le répète assez souvent alors peut-être, peut-être qu'il arrivera en claquant des pieds.


Elle peut l'entendre enrager tout prêt de son oreille.
Il n'est pas là pourtant.
Elle ne répète pas assez sûrement.

Rouge alors reporte son attention sur sa camarade plutôt que sur le sifflement du vent qui lui apporte la voix de Noir. Elle tapote sur le banc, l'invitant à s'asseoir.


demande Rouge sans vraiment le demander.

Elle constate juste, mais n'est pas très à l'aise, ne sait pas commencer les conversations. La conversation est déjà commencé en fait, mais elle veut l'esquiver. Rouge, comme toujours, court tout droit. Elle court tout droit parce qu'elle fuit.

Jaune observe.
Rouge regarde droit devant elle.

« halloween »

Olivia est enchantée.
Jaune l'est sûrement aussi. Il est très sociable, très joyeux. Il aime les nouveaux visages et les visages souriants. Il n'aime pas la peine, la tristesse, les larmes.
Il le lui a dit.


questionne Olivia.

Bien sûr que ça va. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. C'est ce qu'elle se dit depuis quelques temps, ça l'aide. Puis ses épaules s'affaissent. Elle sait. Elle sait que si on lui pose cette question, c'est parce que ça se voit que rien ne pas pour le mieux dans le meilleur des mondes.


Elle enfonce le clou. Insiste, court plus vite que Rouge ne court. Elle la rattrape et lui empêche tout retraite, toute fuite. Parce qu'Olivia s'inquiète et lui présente ce doux sourire qui ne lui permet pas d'éluder.


Rouge commence, après un temps encore à rester silencieuse, à fixer sans peut-être vraiment les voir les jardins et les batîments face à elle.


Comment on passe au dessus de la tristesse ? Comment on fait son deuil ? Comment est-ce que tous ces sentiments fonctionnent ?
Rouge est une imbécile heureuse, Rouge ne sait pas gérer tout ça. Rouge a déjà eu du mal à gérer une rupture, mais ce dernier n'a pas non plus complétement disparu de sa vie, de son champ de vision.

Rouge est un peu perdu, en fait. Elle court mais elle ne sait pas dans quelle direction elle va. Et si un gouffre l'attendait de l'autre côté du brouillard ?
Rouge a peur du vide.

« halloween »

Rouge pose des questions un peu bête des fois. Des choses auxquelles on ne peut pas vraiment répondre parce qu'elles sont propres aux expériences de chacun.
Elle le sait, bien sûre.
Alors peut-être qu'elle avait juste besoin de parler, d'écouter, de partager, même si elle ne le veut pas, même si elle a peur. Peut-être, qu'au fond, avoir Olivia, ici et maintenant, c'était ce qui lui fallait ?

Olivia a comprit, alors elle fait de son mieux. Elle explique, et Rouge écoute. Leurs regards se mélangent dans le rien et dans le vague, parce que toutes les deux se souviennent, toutes les deux partagent.


dit-elle.

Rouge, qui est un peu bête toujours, comprend aussi.
Parce qu'elles sont toutes les deux passées par la même chose. Elle ne le découvre que maintenant, parce que Rouge qui passait son temps à sourire et à rire ne s'était jamais demandé si, quelque part, quelqu'un, était triste.

Olivia a été triste.


Elle était égoïste.
Rouge était égoïste de forcer Olivia à se souvenir, alors que peut-être elle était heureuse jusque là, tranquille, à se balader dans les jardins et à ne pas penser à ce qui la rend triste.
Pardon, ne dit-elle pas.


Tu sais, Olivia, si tu le veux, tu peux les revoir.
Et si toi, tu veux les revoir, alors peut-être qu'elle aussi, que Rouge aussi, à le droit de vouloir le revoir, et que ce désir n'est pas entièrement coupable.

« halloween »

Elle rit.
Elle rit malgré le ton de sa voix et malgré la brillance de son regard.
Rouge ne comprend pas bien, sûrement est-ce parce qu'Olivia était plus âgée, plus sage, et que son deuil elle avait prit le temps de le faire pour pouvoir continuer à avancer.


Ou peut-être que tout simplement Olivia était comme elle, et que pour ne pas souffrir, elle se contente de fuir ses propres peurs.
Laisser les gens entrer et sortir de sa vie en n'étant qu'un simple spectateur de toute la scène.


Est-ce qu'il était malheureux avec elle ? Est-ce que c'est pour ça qu'il ne revient pas quand elle l'appelle ? Est-ce que le son de sa voix brisée par la tristesse l'atteint seulement ?

A cette idée, à cette pensée, à ce fait qu'elle n'a jamais voulu envisager et qui la claque en plein visage maintenant, Rouge éclate.
Le doigt caresse doucement le plumage de Jaune, les larmes caressent doucement la peau de ses joues. Pas de reniflements bruyants, pas de hoquets paniqués, pas de cris déchirants, juste le désespoir d'une réalité à laquelle elle ne voulait pas croire et qui pourtant était.

Noir ne reviendra sûrement pas.
Parce que tout ce temps, il avait été malheureux en sa compagnie.

« halloween »

C'est dur, c'est vrai. Mais Olivia, pour des raisons qu'elle ne comprend pas -parce qu'elle est sûrement bien plus empathique qu'elle, comme Callie un peu- s'essaye à la rassurer, lui remonter le moral.

Parler d'un Dieu auquel elle n'a jamais cru mais qui lui fait quand même lever au ciel ses yeux encore plein de larmes.
Dieu a un plan, un plan pour chacun d'entre nous, paraît-il.
Remplacer l'ombre bruyante de Noir par la lumière silencieuse de Jaune était un plan ?


Rouge, qui pourtant voyait le positif dans chaque chose avec le naturel imbécile qui lui était propre, n'arrivait pas à s'efforcer à sourire. Même pour faire plaisir à Olivia et lui montrer comme elle était reconnaissante d'être là.
Rouge était fatiguée.


souffle-t-elle.


Il disait toujours que rien ni personne ne ferait les choses à notre place, il faut apprendre à se débrouiller seul pour ne dépendre de personne. Mais elle, elle dépendait de lui, de ses discours, de sa manière de pensée.
C'est grâce à lui qu'elle a survécu tout ce temps à l'académie et à sa culpabilité.
En fait, c'était lui, le quelqu'un là-haut censé l'aider.

« halloween »

Elle lève le nez, regarde vers Olivia qui, sûrement sans même le savoir, avait apporter une réponse incroyablement claire pour Rouge. Une réponse simple et pourtant si évidente. La main qu'elle pose sur son épaule calme un rien l'agitation de son cœur.


Elle soupire. Elle en avait connu des deuils pourtant. Elle avait perdu, petite, Bleu et Blanc. Elle avait perdu, par la suite, des amis à l'académie, des enfants qui n'étaient jamais revenu, des camarades d'hôpital qui avaient atteint leurs limites.

Mais ce deuil là ne ressemblait en rien à ce qu'elle avait connu avant pourtant.
Pourquoi ?


C'est dur de tomber une fois, deux fois, trois fois, cent fois, de se relever à chaque fois et de croire que ce sera la dernière fois qu'on aura à tomber parce qu'on a enfin le sens de l'équilibre. Puis de tomber encore. Pourquoi est-ce qu'on se relève alors ?

C'est dur, avoue Rouge pour la première fois de sa vie.
C'est dur de trouver la volonté de se relever une centième fois.
C'est dur de se rendre compte qu'on ne pourra plus jamais parler à quelqu'un qui partageait notre vie il y a peu encore.


Et Jaune piaille.

Mais l'espoir est loin quand on est perdu dans la brume et que la déprime nous empêche de nous relever.

Elle découvre tout ça, Rouge.


Mais elle doit comprendre ça Olivia. Elle aussi, elle a une limite.

« halloween »

Elle pense, à ce moment-là, à ces fameux gens qui pourraient bien tenir à elle.

L'image qui lui vient en tête est d'abord vide, pleine de noir, aucun visage qui n'ose rayonner. Parce que Rouge n'arrive pas à sortir la tête de l'eau et voir la lumière. Mais elle sait, pourtant, qu'il y a tant et tant de prénom de gens auxquels elle elle tient.

Ces amis qui lui ont toujours tendu la main. Est-ce qu'ils l'aiment en retour ? Est-ce qu'ils tiennent à elle ? Est-ce qu'ils ne vont pas finalement disparaître eux aussi, un jour ? Partir, vivre leur vie, mourir. La certitude n'a toujours été qu'en Noir, parce que lui ne pouvait vivre qu'à travers elle.

Mais la vie est ainsi faite.


Olivia l'enlace, sourit, puis continue sa route. Elle aussi, elle part vivre sa vie. Elle avance. Avancer tout droit sans s'arrêter, c'est ce qu'elle devrait faire aussi, Rouge.


C'est dur d'avancer quand on est trop occupé à se noyer. Pourtant, elle arrive à voir la main tendue d'Olivia a travers la pénombre. Peut-être, oui, qu'elle ira boire un thé avec elle un de ces jours.

« halloween »