La journée fut longue cette fois-ci. Point de répit, les élèves s'enchaînaient dans l'infirmerie, du moins la matinée. Ce qui laissa Guenièvre un peu surprise. Dès que les quatorze heures sonnèrent, l'infirmerie se vida. Y avait-il eu un cours que tout élève voulait louper ? Ou encore était-ce juste une coïncidence ? Guenièvre n'y réfléchit pas plus que ça en réalité. Les élèves étaient soignés, reposés et c'est tout ce qui comptait, elle ne pouvait pas les convaincre d'assister correctement aux cours, elle qui avait si peu d'autorité.

Et ainsi, l'infirmerie fut vidée de sa vie. Puisque le calme était au rendez vous, Guenièvre prit un livre et fit passer le temps. Jusqu'à ce qu'un cher monsieur ne vienne toquer à sa porte, presque à la fin de son service. La porte s'ouvrit, dévoilant Constantin et un grand sourire couvrit les lèvres peintes. Oh, quel plaisir de voir un ami ! A son salut, un simple signe de main répondit. Mais il était clair que l'infirmière était heureuse de retrouver son squatteur de banquette de bureau. Ses pas la guidèrent jusqu'au placard, cherchant du thé, comme elle en faisait toujours pour ses invités et surtout Constantin lorsqu'il avait besoin d'une oreille attentive.
Mais Constantin déjà lui proposait une sortie et la jeune femme fut bien surprise. Non pas que ce fut une mauvaise idée, mais Constantin avait toujours été un simple ami qu'elle voyait dans son bureau. Après un instant de silence, elle hocha la tête, souriant à son ami. Saisissant son calepin, elle y écrit rapidement.

"Laisse moi juste enfiler ma veste et mettre un petit mot à mon responsable et on pourra y aller !"

Elle le tendit à Constantin, laissant le vieux A7 biscornu entre ses mains tandis qu'elle s'affairait joyeusement. Le mot prévenant fut laissé, elle quitta la blouse de travail et défit ses cheveux gris avant d'enfin enfiler le manteau confortable. Fin prête, elle sourit à Constantin et lui indiqua la porte. Ils pouvaient enfin aller boire ce thé à Central Town et Guenièvre arborait un grand sourire bienheureux. Il était rare de pouvoir profiter d'une jolie fin d'après midi avec un ami, paisiblement.

Le trajet ne fut pas long, bien qu'un peu silencieux pour Guenièvre qui peinait à communiquer dans les transports, debout, bien tenue à n'importe quelle barre pouvant l'empêcher de s'écraser le nez sur le lino du véhicule. Et enfin, ils furent au café. Guenièvre était une habituée, mais une habituée bien solitaire. Alors quel surprise pour la serveuse que de la voir accompagnée du professeur ! Mais rien ne fut dit, juste un sourire et un regard curieux alors qu'elle allait s'installer à une table avec Constantin. Un fin sourire satisfait couvrait ses lèvres. Alors elle ne put retenir une question amusée, tendant le carnet qui la suivait partout. Faire parler translate en plein café n'était pas vraiment des plus poli et cette voix robotique ne plaisait guère à la coquetterie de l'infirmière.

"Tu as soudainement eu envie de changements ? Ma banquette ne te plaît plus ?"

Oh c'est qu'avec Constantin, Guenièvre se sentait à l'aise. Il était comme un grand enfant pour elle qui l'écoutait. Et sa peur des enfants ne le rendait pas plus impressionnant. Constantin était un petit oisillon malgré son allure bien éloignée de l'animal. Alors elle réussit à un peu le taquiner, un tout petit peu. Elle ajouta, sincère.

C'est gentil en tout cas. J'espère que tout va bien, je t'ai même pas demandé...

Le trajet silencieux berçait Guenièvre. Bien accrochée à la barre du métro, elle dut bien attraper le bras de son ami une ou deux fois, oscillant sur ses jambes. A chaque fois, elle eut un sourire navré même si elle ne pouvait que le remercier de son attention. Constantin avait beau être celui qui parlait, il faisait aussi attention à l'infirmière et son amie ne pouvait qu'apprécier ces gestes simples.

Le café, là, juste sous leurs yeux. Guenièvre souriait déjà, bien heureuse d'être dans son élément. Elle qui adorait les cafés passait une bonne partie de son temps libre ici, un livre à la main ou simplement le regard vissé sur les passants. Et la voilà accoudée à une table avec son ami de l'heure du thé.
Un fin sourire étirait toujours ses lèvres alors qu'elle écoutait la réponse du professeur avec attention. Ses mots laissèrent ses lèvres s'étirer un peu plus. C'est qu'elle était fière d'avoir cette amitié. Elle était encore nouvelle mais Guenièvre y était attachée. Elle aimait de tout son cœur ces relations qu'elle arrivait à tisser, petit à petit. Un hochement de tête, elle écrivit à nouveau.

"Ravie que nous soyons amis même en dehors de mon bureau, merci en tout cas"

A sa maladroite réponse, Guenièvre se contenta de sourire un peu plus et reprit le carnet, écrivant quelques lignes.

"Tant mieux si ça va bien ! Un peu fatiguée personnellement, j'ai eu beaucoup d'élèves ce matin... je crois qu'ils ont séché massivement un cours ? Mais tout va bien sinon ! Je fais de mon mieux et je crois que ça marche ?"

Un peu d'incertitude quand elle tendit le carnet. Il fallait dire que la jeune femme n'était infirmière que depuis quelques mois et elle ne pouvait que douter de son travail, elle qui était si jeune. Mais elle faisait au mieux, elle se tenait à ses principes et guérissait à tour de bras, toujours avec ce sourire doux, toujours avec une déréliction extrême, elle qui avait un crime à expier, même après toutes ces années.

Le visage entre les paumes, elle ne put que sourire face à la question de son ami. Point besoin de réponse, elle lui laissait son carnet et hocha simplement la tête. On se changeait pas les bonnes habitudes. Elle désigna un thé sur la carte de Constantin, un thé qu'elle appréciait et qu'elle pensait que son ami aimerait beaucoup. C'était sa recommandation, alors qu'elle notait sur un papier libre sa commande.

"Un thé à la bergamote et une part de gâteau au citron pour moi s'il vous plaît"

Evidemment, en bonne habituée, elle avait l'habitude de préparer sa commande sur un papier et était prête à le donner à la serveuse. Tellement qu'elle en avait oublié qu'elle n'était pas seule. Rougissant de honte d'avoir oublié son ami, elle écrivit encore sur le papier et le tendit à son ami.

"Un thé à la bergamote et une part de gâteau au citron pour moi s'il vous plaît et toi ? je te conseille vraiment de goûter un gâteau, ils sont très bons !"

Léger sourire maladroit, ce thé allait être bien agréable avec la présence de Constantin.

Guenièvre est bien heureuse de ce petit moment entre amis. Un peu intimidée, aussi. Elle se contente de répondre au sourire de Constantin avant qu'il ne commence à rire des méfaits des garnements du matin.
L'infirmière soupire, rit avec lui et le gratifie d'un petit regard amusé en écrivant.

"On sent du vécu, je me trompe ?"

Nouveau sourire doux, on apprécie le compliment, on le savoure de cet ami nouveau, avec plaisir, les joues rougies d'une joie non masquée d'être appropriée à son travail.
Après tout, elle y dédiait sa vie.

Que de gêne avec cette commande maladroite ! Guenièvre, elle oscille toujours entre le confort et l'inconfort, les sourires et les rougeurs aux joues, elle qui n'a jamais connu les belles amitiés, elle qui a passé une scolarité plutôt solitaire. On attend les commandes, elle jette un regard désolé à Constantin pour cette commande compliquée à prendre.
Mais déjà, Constantin rend les choses faciles. Lui, le grand enfant apeuré par les petits enfants, essaye de tout faire pour la mettre à l'aise et ça marche très bien.

Guenièvre sourit, écrit encore après avoir hoché la tête doucement.

"Oui, je viens souvent ! J'aime bien c'est calme et après le travail, ça me fait du bien de boire un thé ailleurs que dans mon bureau ou mon appartement. Parfois je viens avec Zélie ! Mais c'est rare, elle préfère qu'on goûte au parc en principe."

Un sourire attendri quand on parle de Zélie. C'est que c'est comme sa fille, une petite qu'elle aime de tout son coeur, une enfant qu'elle a adopté des années plus tôt, alors qu'elle étudiait encore.

"Dommage que les enfants t'effraient, elle est vraiment adorable, tu sais ?"

On discute de mots en paroles, on sourit, on profite avec le nouvel ami.