Lorsque le flot d'émotions qu'Aline avait accumulé durant son expérience traumatisante explosa, l'infirmière s'était montrée d'une douceur infinie. Elle l'avait bercée, cajolée, couvée à la manière d'une mère rassurant son enfant après un cauchemar. Patiemment, la jeune femme avait attendu que la crise de larmes arrive à son terme avant de lui adresser l'un de ses plus beaux sourire. Lentement, elle s'était ensuite relevée tendant sa main à la blondinette qui, docilement, s'en saisit.

Encore secouée de hoquet, l'adolescente se laissa guider jusqu'à l'infirmerie où elle allait se faire ausculter. Les blessures apparentes suite à sa violente chute avaient été soignées sur place mais il fallait cependant encore vérifier qu'elle ne souffrait ni de commotion, ni de fêlure. Rien qu'à cette idée, l'Anglaise ne put réprimer un frisson. Qu'est-ce qu'il se passerait si on lui trouvait des lésions internes graves ? Est-ce que mademoiselle Bradwyr pourrait la guérir ? Elle décida de chasser cette pensée de son esprit. Pour le moment elle était entre de bonnes mains et c'est tout ce qui comptait.

En chemin Aline, fidèle à elle-même, ne put garder le silence. Elle entreprit donc d'expliquer à l'infirmière ce qui lui était arrivé avant que celle-ci ne la trouve. Ponctuant son récit de reniflements et essuyant ses yeux toutes les minutes à l'aide de sa manche libre, elle prit son temps afin de petit à petit se remettre de l'incident. Aucunement honteuse de circuler ainsi dans les couloirs de l'académie, elle poursuivait ses histoires sans vraiment porter attention aux personnes qu'elles croisaient. De toute manière qu'est-ce qu'ils auraient pu dire ?

« ... pleins d'insectes partout. J'ai encore l'impression de les sentir sur mes jambes, déclara la blondinette en entrant enfin dans la petite salle blanche. »

En passant le pas de la porte, elle aperçut le temps d'une seconde son reflet sur la surface brillante d'un des meubles. Sa stupeur la fit s'arrêter net et ouvrir de grands yeux. Lâchant la main de l'adulte, elle revint se positionner devant la glace improvisée afin d'observer plus attentivement dans quel état elle se trouvait. Est-ce qu'il s'agissait vraiment d'elle ? On aurait dit qu'elle avait passé la semaine entière à vivre dans les bois... Ses cheveux étaient en bataille et quelques brindilles y avaient élu domicile. Des traces de terre parsemaient son haut aux teintes jaune clair et un petit trou s'épanouissait au niveau du coude. Son pantalon également ne semblait pas avoir été épargné par les taches. Il allait falloir tout mettre à la machine et raccommoder ce qui était possible de rattraper au plus vite...

Honteuse, Aline tenta de déloger certains bouts de bois de sa chevelure puis frotta en vain quelques tâches pour les faire disparaître. À son grand désarroi, celles-ci ne firent que grossir et devenir encore plus visibles. Même si elle n'était pas d'un naturel très coquette, la jeune fille mettait un point d'honneur a toujours être présentable et sentir bon. Or à cet instant, il s'avérait indéniable qu'elle avait besoin de se changer et son parfum légèrement citronné n'était plus qu'un lointain souvenir. Le doux arôme de l'agrume avait laissé place à une senteur terreuse, beaucoup moins sophistiquée.

Le rouge aux joues, l'adolescente joignit les deux mains devant elle avant de lancer un regard déconfit à mademoiselle Bradwyr. Elle ne savait pas vraiment où aller ni quoi faire.

« J'espère que personne n'a remarqué ma tenue... finit-elle par prononcer après un moment de silence. On dirait que je me suis battue. »

Chose totalement absurde puisqu'Aline était incapable de faire du mal. La colère et l'emportement demeuraient des mots abstraits pour elle jusqu'à présent, et cela lui convenait parfaitement. Se dire qu'il y avait potentiellement des élèves qui pensaient qu'elle s'était bagarré avec quelqu'un d'autre l'horrifiait. Elle faisait partie de ceux qui aide, pas de ceux qui démolissent !

D'aussi loin qu'elle se souvienne, Aline avait toujours été très bien accueillie chez mademoiselle Bradwyr. Même si elle ne doutait pas que l'infirmière devait parfois avoir des patients hurlants à la mort, la blondinette trouvait constamment l'endroit serein et plus qu'apaisant. Le silence y régnait, seulement perturbé de temps en temps par le tintement d'un instrument quelconque sur la table. L'odeur, typique d'une infirmerie, participait elle aussi à rassurer la jeune fille et suffisait à la calmer pour de bon. Combien de temps avait-elle passé ici ? Beaucoup plus qu'il n'en fallait. Cependant la présence presque maternelle de l'une des maîtresses des lieux rendait la chose amplement plus agréable.

Par ailleurs, disséminés à des endroits stratégiques, on pouvait également apercevoir quelques grosses roches joliment taillées que l'experte en lithothérapie avait données à sa soigneuse préférée. Bien chargées, celles-ci émettaient des ondes positives et calmantes. Certaines aidaient même à la cicatrisation et la guérison rapide. C'était avec plaisir que la lycéenne en avait fait cadeau un jour à mademoiselle Bradwyr, espérant de tout coeur lui faciliter son travail.

Lorsque celle-ci se précipita pour l'aider à retirer les brindilles de ses cheveux, le regard d'Aline se posa par hasard sur l'un des minéraux et une douce chaleur s'empara de son corps. Un petit sourire venait de naître sur ses lèvres et l'abattement qu'avait provoqué son reflet se mit à la quitter peu à peu. Docile, elle suivit ensuite l'adulte jusqu'à un lit et se laissa examiner. D'après l'expression et les gestes de celle qui l'auscultait, rien se semblait subsister de sa chute... du moins physiquement. Le traumatisme demeurait toujours bel et bien présent dans l'esprit de la blondinette et s'y attarderait probablement encore pour une longue période.

À la fin de l'examen, quand on lui désigna le bureau en sous-entendant de rester boire une bonne tasse de thé, le visage de la jeune fille s'illumina pour la première fois depuis sa sortie du puits. Même avec des vêtements tachés et troués, elle ne pouvait pas refuser de passer du temps en compagnie de l'infirmière. D'autant plus qu'il était question d'infusion et Aline, en bonne Anglaise, en raffolait ! Vigoureusement, elle hocha la tête en présentant un beau sourire à mademoiselle Bradwyr.

« Avec joie ! J'avoue que rentrer toute seule jusqu'à ma chambre ne me tente pas vraiment pour le moment, déclara-t-elle. »

Doucement, la maladroite descendit du brancard d'où elle se tenait et trottina jusqu'à son fauteuil habituel devant l'office. En chemin, elle en profita pour toucher chacune des pierres dans la salle afin de leur insuffler de l'énergie. C'était son moyen à elle de rendre la pareille à sa sauveuse. Elle voulait lui faire plaisir autant que mademoiselle Bradwyr s'était montrée douce et attentionnée. Cependant son état n'étant pas encore très stable, elle ne parvint qu'à leur en donner de quoi subsister une semaine tout au plus. En s'asseyant, elle se promit de revenir une fois totalement requinquée.

« J'ai rechargé vos pierres mademoiselle, lança-t-elle. Mais j'ai peur de n'avoir pas eu assez d'énergie pour que ça dure comme les autres fois. Ne voulant pas rester sur une défaite, elle se dépêcha de rajouter, vous inquiétez pas, je repasserai demain ! »

Se saisissant d'un cookie dans l'assiette posée devant elle - quand on la lui présenta tout à l'heure, elle l'avait immédiatement reposée pour se débarrasser des petites branches sur sa tête -, Aline mordit dedans avec gourmandise. Décidément... l'infirmière possédait tout un arsenal de choses permettant à ses patients d'oublier leurs maux. Ce n'était pas pour rien qu'il s'agissait de l'adulte qu'elle préférait de toute l'académie !