dans la salle aux miroirs pas un seul angle-mort c'est un endroit où rien ne peut surgir par surprise pour saisir à la gorge. où l'on discerne les reflets de toi de moi de nous en double et pas de place pour les ombres vu les éclairages qui surplombent, éclaboussent de clarté on est en sécurité à la lumière. à l'abri de tous les espaces-temps
intérieur extérieur jour et nuit abstraits
tout ça n'existe pas
et l'on ne compte plus les heures
une fois la porte fermée derrière soi
même lorsqu'il est tard et qu'on est seul on ne l'est pas -
face aux surfaces réfléchissantes Liu se voit
et c'était comme être deux.

à tituber et s'arrêter finalement le souffle court, tenant miraculeusement sur les deux pieds, rumeur vaporeuse de la tête qui bascule de coté et les épaules s'affaissent, tout le corps pourrait s'effondrer.
et pourtant, Liu toujours debout
alors que dehors c'est tant d'efforts pour ne pas chanceler
pour de bon - dehors Liu se voit tomber
encore et encore mais ici
on se tient droit.
c'est comme s'assurer si l'on est bien vivant et aujourd'hui on peut s'accorder de fermer les yeux un instant, masquer les reflets et expirer
respirer - parce qu'on est en vie.

ah, toi tu vois aussi comme on marche sur le fil, peut-être que ton pouvoir c'est de discerner les esprits, dans un coin de la vision tu as remarqué comme on alterne entre rivage et noyade -
Liu entre deux eaux c'est à son tour de te voir.

deux souffles - le tiens contre sa peau
fait sursauter Liu qui rouvre les yeux tout à coup et dans les miroirs les reflets ont doublé. il était deux et nous somme quatre, façon mirage éthéré, apparue comme un esprit, regarder droit devant et te voir dans son dos provoque des frissons
à ton nom, les voltes-faces

A-Amélie -

c'est le peu que l'on a de toi, ça et les regards et puis
désormais les bonsoirs parce qu'ils se sont toujours frôlés, les univers
se rencontrent maintenant ça relève plus de la collision
et comme après elle les corps se dispersent -
Liu fait la moitié d'un pas en arrière, instinctivement
vient croiser les bras sur le cœur qui bat encore au tempo des morceaux qu'on a passé. tu les as entendu ?
tu l'as vu faire ?
à l'idée on rougit.

je t'ai pas entendu arriver...

intimidé de nouveau,
après tout, Amélie
tu ne fais pas partie du club et c'était comme ramener un éclat d'extérieur ici, alors
Liu ne veut pas vivre trop fort
on baisse la tête -

... bonsoir.

effet miroir.

tout ce qui ne suit pas les mouvements à l'identique dans les miroirs on a peur tu sais même son propre reflet Liu l'a en horreur certains jours. les contours incertains font qu'on en déborde ou que l'on s'y sent à l'étroit et parfois il voudrait en briser les angles pour en faire des courbes ou au contraire couper au rasoir ce qu'il y a de trop délicat. alors c'est battu de tempos ou rien et si ça dissone c'est le début des déséquilibres,
le début des désaccords lorsqu'on te voit reculer d'un pas
ça fait relever les yeux comme désolés d'être là.

n-non c'est pas - j'ai pas dis ça !

oh la terreur ce n'est pas toi Amélie - enfin,
c'est peut-être comment tu vois,
peut-être les yeux transperçant les bras croisés
on a le sentiment qu'ils visent en plein cœur

je sais pas-...  non, je crois pas.

et ce sont de grands mystères les prunelles d'Amélie on est incertain tandis qu'on s'y égare on a le sentiment de border les ravins
attiré par le vide et ces étincelles qui y brillent au loin comment être certains de la nature de ces lueurs - pourquoi
pourquoi aujourd'hui
pourquoi maintenant Amélie
à l'abri de la salle au miroir ?
après tout il y avait eu Liu en dehors d'ici submergé d'émotions et puis forcé de bâillonner les hurlements et dans un coin de la vision tu n'es jamais apparue pour de bon
et désormais te voilà
admirant les éclats qu'il tient en place au creux des bras comme si serrer la cage des côtes et la faire battre en musique pouvait y redonner une forme d'esthétique.
dans tes yeux on n'est pas sûr
du résultat.

... tu cherchais quelque chose ?

pourtant il n'y a rien à trouver ici
c'est ce qu'on se dit, désemparé.

j'allais pas tarder à partir...

au cas où on serait trop de deux dans tout cet espace et il est doux le vertige au cœur de tes iris, ça fait tourner la tête sur ailleurs où on ne dévisage ni toi ni les reflets. détailler plutôt les affaires éparpillées, et lentement Liu oscille, d'un pied à l'autre, hésitant à tout rassembler pour s'éclipser
loin des yeux aiguisés d'Amélie.

électrisé d'impératif l'ordre tranche net et paralyse, désemparé car ce sont des accords qu'on a trop entendu mais qui dissonent là tout de suite assortis à un mot qui résonne
si peu souvent.
d'habitude ces mélodies de voix ordonnent ne traîne pas là
Liu va-t'en et toi Amélie tu inverses les mélodies
te les appropries - inédit qu'on dise reste.
et sans bousculer, sans effleurer un seul instant
tu bouleverses de déséquilibres - car tu affirmes paisible
percevoir du sensé dans les chaos que l'on est.

tu es venue voir Liu.

mais Liu c'est volatile, Amélie tu sais comment c'est,
ça rase les murs et les regards sont plus bas que terre, un peu plus bas encore et ça disparaît, c'est misérable à se traîner en occupant le moins d'espace possible à respirer le moins d'air possible et gratte sous la surface tu verras que c'est abîmé, c'est infime
insignifiant en dehors
(extatique en dedans)
mais c'est à l'extérieur qu'on te croise seulement
et l'on n'en revient pas de te voir là car toi c'est différent.
toi ta voix porte et tu déambules dans les lieux avec une aisance édifiante, défiant les lois de la gravité tu t'éloignes à peine pour revenir aussitôt et comble les silences de souffles qui chantent déjà
et l'on te voit faire le cœur agité
venir demander si plus près
tu as le droit.
les œillades papillonnent confuses qu'on les aie vues.

je j-... je pensais pas. je voulais pas me faire remarquer...

ailleurs qu'ici, on n'a jamais débordé
et pourtant tu as suivi les éclats parsemant les sentiers
jusque là tu es arrivée et encore encore tu approches.

Liu reste où il est immobile, cesse d'éparpiller les regards ils sont tout à toi et dévisage, la prestance intimidante d'Amélie et ses iris perçantes, coupent au travers de tous les voiles et l'on craint ce que tu pourrais découvrir
étrangère aux atmosphères sécurisante
hostile ? ce n'est pas ce qu'on lit dans tes yeux
mais tu ne fais pas partie du club, Amélie
et les inspirations tressaillent.

si c'est pour te moquer je suis pas sûr.

avant que tu fasses un autre pas Liu se détourne, chancèle presque au moment des voltes-faces pour retourner auprès des miroirs, à l'opposé de toi où il a laissé ses affaires. s'affaire à récupérer son sweat, il le remet hâtivement à l'endroit comme s'il fallait vite se couvrir. et ça vibre sous les côtes à deux fois étouffées de vêtement.

... tu vas trouver ça vulgaire.

à peine murmuré - à quoi bon confier plus fort
l'avis de presque tout le monde lorsqu'il est question
de pas de danse de tous les genres
alors qu'on est sensé être un garçon.

la question qu'on se pose depuis toujours on l'a scandé la gorge écorchée d'éclats de sanglots au pied du mur à même le sol quand ils rouaient de coups, percutant d'écho tous les carreaux des salles d'eau - c'est souvent là qu'on le prenait en traître façon chasse à cour - Liu demandait
pourquoi.
et les bourreaux désabusés
avaient répondu naturel
parce que -
alors on le pensait aussi
et cette réponse s'accordait bien aux dissonances qu'on portait en dedans depuis la naissance. c'est comme ça qu'on est depuis toujours alors on ne saura jamais
pourquoi ?

parce que.

mais Liu chancèle dans les certitudes bien ancrées c'est que tes appels résonnent si fort Amélie qu'on se surprend à vaciller tant ils ricochent sous la peau, font trembler les os. on a beau croiser les bras et y emprisonner les côtes le cœur y bat comme un prisonnier affamé de liberté, cherche l'air,
tu dis
encore un peu
rien qu'un instant
le dernier - si Liu le veut.

et les malveillants ne donnent jamais le choix des échappées alors d'accord, on interrompt tous les mouvements, laisse la fuite en suspens et lève les yeux
à l'orée du crépuscule
offre les dernières lueurs
tous les regards - ils sont à toi
une dernière fois.

et tu révèles sans musique les mélodies que tu portes, esquisse tendrement les gestes c'est livrer ouvertement qui tu es ça coupe tous les souffles on ne comprend pas
ce sont tes pas et puis les siens
qui se rencontrent si joliment
des collisions qu'on n'attendait plus elles glissent des étoiles au coin des paupières - on ne comprend pas pourquoi
on veut pleurer tout à coup.
tout ce temps
à l'abri des regards de Liu -
où étais-tu Amélie ?
on n'a plus envie
d'être ailleurs qu'ici
désormais.

noyé dans les vêtements le revers des manches passe sur les joues, on chasse ce que te voir danser a laissé sur la peau et Liu abaisse les regards - ça n'avait rien de vulgaire
ce n'est pas pour ça qu'on baisse les yeux
c'est parce que

c'était super joli Amélie...

merci, mais l'on se sentirait un peu bête d'exposer à vif qu'on apprécie le chaos de sentiment et comme on peut on en sort. s'écarte des miroirs derrière lui pour revenir lentement vers toi, une œillade par dessus l'épaule observe vos deux reflets, te dévisage dans la glace d'abord
puis pour de vrai lorsqu'on s'arrête devant toi.
et timide le cœur bourgeonne
fait fleurir de faibles sourire au bord des lèvres.

... tu m'apprendrais ? les mouvements que tu as fait... le classique ça fait longtemps, j'y reviendrais bien avec quelqu'un.

avec toi - confie le désaveu tendre
que cet instant ne sera pas le dernier -
sans se l'expliquer ça ne fait rien, rien qu'une fois
on n'a pas besoin de savoir pourquoi.

la peur intestine des mains tendues c'est qu'on ne sait jamais trop.  à tenir tant bien que mal en équilibre sur le fil, des vides terribles sous les pieds - sont-elles là pour emmener où c'est stable, ou faire tomber pour de bon ? esquisser des gestes tendres, serrer la paume effleurer les joues, ou bien frapper les os, filer des coups.

forcément qu'on tressaille, à voir le bout de tes doigts qui appelle Liu, ils ont l'air de faire la confidence que tu lui fais confiance, que tu le crois capable de saisir comme il faut pour que l'on soit debout tout les deux. debout c'est pour les courageux, Amélie, tu sais ? et on ne l'a jamais été, tu dis
qu'il n'est jamais trop tard pour commencer
(pour déployer les ailes) avec toi dès maintenant.

... je veux bien.

et il tend à son tour la main vers toi, saisit la tienne,
que tu ne tendes plus le visage au ciel
mais que tu le rejoignes à sa hauteur.

une fois que tu es debout, la prise perdure. il serre, doucement, referme les doigts sur les tiens quelques secondes de plus alors que tu tiens déjà bien toute seule
avant de finalement défaire le lien.

ça ne veut pas dire qu'on se laisse
tu vois, ses regards sont déjà moins fuyants.
si ils échouent au sol un instant c'est que tout à coup on ne sait pas bien quoi faire de soi, les métronomes du cœur plus paisibles car on a fait taire les tempos effrayés, le silence c'est pour tenter de discerner les tiens
ton rythme, Amélie
on a envie de le suivre
calquer ses pas sur les tiens
car Liu sent, au fond de lui
que quoi qu'on fasse
ce sera joli

(car ça viendra de toi).

face aux miroirs
commençons.