Lit encore défait. Fringues empilées dans un coin sur le matelas. Emballages de barres de céréales froissés, à l’abandon à côté d’un mug bourré de stylos. La chambre trahit l’état d’esprit de son propriétaire. Emmitouflé dans sa combinaison, Teagan contemple ses cours. Le regard aussi vide que ce qui est en train de se passer dans son cerveau. Un faible son de pluie s’échappe de l’ordinateur, avec une citation comme fond d’écran de veille. « A goal is not always meant to be reached. It often serves simply as something to aim at. »

La sagesse de Bruce Lee ne l’atteint guère aujourd’hui. Dans un vague gémissement plaintif, Teagan croise les bras et enfouit sa tête dedans. Il voudrait dormir, mais à peine la nuit a-t-elle cabossé que le ciel, que son cerveau tourne à plein régime. Là haut, ça s’agite en dépit de ses suppliques.

Il se redresse, se passe les mains sur son visage. Ses doigts s’en éloignent pour s’abattre sur le clavier. La fenêtre d’un moteur de recherche apparaît. Six onglets sont ouverts : le site d’un club de cricket, un blog de cuisine, la page du Guardian, une page weibo, un lien soundcloud, et une page listant toutes les astuces pour s’endormir.

Mais il y a une autre fenêtre d’ouverte. Bien cachée par la première. Toujours s’adonner à ses penchants en navigation privée. Seulement, entre le moment du visionnage et l’instant présent, Teagan a perdu le fil. Oublié l’existence de son secret pourtant bien gardé.

Mains liées. Gestes restreints. Postures de soumission.

Non, il ne veut pas en parler. Encore moins le montrer.

Ses yeux glissent de l’écran vers un livre.

— Ah, c’est vrai, faut que je rende ça…

Il l’attrape, se redresse en lâchant un profond soupir. La jambe gauche de sa combinaison dinosaure remontée jusqu’au genou et capuche sur la tête, il enfile une paire de claquettes et quitte sa chambre. Pas traînant jusqu’à la chambre d’un autre deux étoiles.

Bien trop en train de planer pour penser aux risques qui pourraient arriver.

Retour dans la chambre de ce même pas traînant. Mains fourrées dans les poches de la combi, avec le sentiment qu’aujourd’hui, tout tourne au ralenti. Ça ira mieux après une sieste. Même vingt minutes, ça suffira pour se dévêtir de l’indolence.

Bâillement étouffé et doigts posés sur la poignée, il s’engouffre dans la pièce. Cligne des yeux. Puis referme la porte avec douceur derrière lui. Ses lèvres forment un sourire paisible. Il aime bien Dante, sa présence apaisante, et rien que pour la bienveillance qu’il diffuse dans l’espace, Tea lui donne volontiers un pass.

Mais plutôt que de répondre, Teagan le dévisage. Toujours perché sur  des rivages lointains où plus grand-chose n’a de sens. Prévu son aprem ? Qu’est-ce qu’il avait prévu de faire ? Il a pas l’air très fin, planté à proximité du lit, les yeux presque ronds. Et puis au bout d’un moment, il s’installe à côté de Dante. Pencher la tête, observer ce qui est affiché sur l’écran.

En quelques secondes, c’est le départ de feu. Ça commence par le cou, monte aux joues qui virent rose puis rouge, se disperse dans tout son corps.

C’est pas ce que tu crois. On fait comme si t’avais rien vu ? Les mots restent logés au fond de sa gorge. Ça se rebelle. Et il ne comprend pas pourquoi. Parce que c’est déjà trop tard ? Parce que c’est de sa faute ? Si t’étais pas autant à côté de la plaque en ce moment… Vague grognement suivi d’un geste simple : attraper son oreiller. Le visage enfoui contre le coton, il se raisonne. Oui, c’est terriblement gênant, mais il s’agit de Dante.

Pas d’une menace.

Alors, il relève un peu la tête. Les yeux dépassent de l’oreiller ; les rougeurs n’ont pas disparu. Finalement, il puise un peu de courage, se redresse davantage.

— Tu voulais voir quoi comme film ?

Pas chassés sur le côté pour dériver loin des vidéos compromettantes.
Pour adultes.