Tu n’as pas le souvenir du visage de ta Maman Delen, tu as beau chercher encore et encore, tu as trifouillé toute ta tête, mais rien n’y fait, tu ne sais plus. Tu sais juste qu’elle était très belle et que son métier consistait à être belle sur scène et à se faire prendre en photo. Ton Papa lui faisait les photos. Maman n’avait que Papa mais Papa avait plein de Mamans. Alors, Maman était malheureuse. Même si tu ne te rappelles pas de son visage, tu te souviens que Maman pleurait beaucoup. Alors, elle t’emmenait voir l’Océan, sur les grandes falaises ou le vent soufflait très fort.

Il semblait que quelques fois, ta Maman voulait voir les rochers de plus près, mais elle n’y est jamais allée. Tu es triste en y pensant, peut-être qu’ainsi elle serait plus heureuse. Toi, tu as toujours été là pour Maman, tu as tout fait pour elle. Même rester dans cette maison sombre où vous viviez toutes les deux.

Un jour ton Tonton est venu et, en te touchant, il a su que tu étais une Alice. Mais toi tu n’es pas une Alice, mais Delen. Tu crois que c’est ce que tu lui as dit et il a ri. Tu as vu une dernière fois l’Océan et tu es arrivé à l’Académie, abandonnant ta Maman. Avant de te laisser, ton Tonton t’a dit  «  Donne tout ce que tu as là-bas. »

C’était les seuls souvenirs d’avant, le reste, tu le sais grâce aux personnes en blanc que tu vois toujours. Tu sais qu’ils ont pris un peu de temps pour savoir ce que tu as de spécial. Puis un jour, un garçon t’a mordu et allait mieux après. Et ils ont compris. Tu as commencé à passer beaucoup d’examen et à donner ton sang. Toi, tu crois que tu l’as toujours donné, mais tout est flou dans ta tête.

On t’a dit que tu étais le meilleur remède qui existe.

Mais si tu es le meilleur médicament, toi tu n’avais pas de médicament qui fonctionnait sur toi. Si tu avais mal, aucun cachet ne pouvait t’aider et ton corps sait de moins en moins se défendre contre les méchants microbes. L’année dernière, tu as eu un rhume et tu es restée clouée au lit pendant deux semaines. C’est peut être ça ne pas battre la maladie. Alors, on t’a dit que tu devais profiter de ta vie de petite fille.

Mais tu n’es pas bête Delen, même si tu ne comprenais pas tout, tu savais que leurs regards graves n’étaient pas une bonne chose. Un jour tu leur as dit que tu voulais devenir une infirmière, mais ils sont devenus livides. Il semble que le fait de tout donner pour les autres ne laissait pas assez pour toi.

Tu as pleuré ce soir-là. Tu as peur des fois Delen. Et si tu devenais une personne sans visage comme ta Maman ? Tu ne veux pas ça, tu veux jouer tous les jours de ta vie, devenir grande, devenir proche des gens et de disputer de choses futiles comme de glace et d’impôts – il te semble que soit un truc d’adulte-.

Toi, tu ne veux pas devenir un mouton déprimé comme disent les docteurs, alors tu as décidé que tu ferais tout pour ne pas être triste. Si tu es heureuse, alors peut-être que ton corps te donnerait un peu de temps. Alors, tu as décidé que ton rêve est de revoir l’océan, un des rares souvenirs qui n’est pas avec des blouses blanches. Puis comme dans les films, la fin n’arrive pas avant que l’héroïne ne réalise ses objectifs. Cela te laisse un peu de temps, c’est à cet espoir que tu t’accroches.

Il faut que tu trouves comment ne plus donner, mais tu ne sais pas être autrement, les professeurs ont essayé de t’apprendre, mais tu n’arrives pas à être une autre Delen. Mais tu continues, tu écoutes les médecins qui te disent comment te battre contre les méchants virus, tu essaies plein de choses, tu tentes aussi de rencontrer  de grands pour qu’ils t’aident. Mais tous ont des pouvoirs. Ils ne savent pas comment tu ne peux plus être toi.

Si tu n’y arrives pas Delen, ce n’est pas grave, si au moins tout ce que tu as donné permet à d’autre de vivre. C’est ce que tu penses quand tu ne vas pas bien. Mais tu chasses ces pensées en câlinant Poulpy. Tu dois apprendre à être une autre Delen, une qui ne se donne pas tout entière. Tu dois te fâcher, tu dois désobéir pour être une autre.
Vivre en criant à pleine gorge, en s’échappant dans la forêt, à jouer avec les autres, tu chéries ses moments vu que tu ne peux pas chérir ta vie d’avant.