L'impression d'être une louve errante, après avoir abandonné le reste de ta meute.
Ta vie entière n'était qu'un mensonge et pourtant tu devais garder la face, tu devais faire semblant que tout aille bien pour ne pas alerter les chasseurs, ces geôliers de l'âme.
C'est donc naturellement que tu t'isoles, comme l'animal blessé que tu es. Tu restes seule pour reprendre des forces, récupérer un tant soit peu pour retourner au front l'air de rien.
S'ils pensaient faire de toi leur arme, ce serait tout l'inverse.

Des pas derrière toi te font à peine tressaillir. Tu penses reconnaitre à qui appartiennent cette sonorité précise dans le coup de talon qui s'enfonce dans la terre.
Sa main se pose sur ton épaule et elle s'accroupit. Tu ne dis rien toi non plus, tu veux qu'elle brise le silence qu'elle a elle même instauré.
Tu te retiens d'un sanglot quand finalement sonne le glas et que sa voix tranche l'air.

— « Oh Cassie... »

Tu prends une profonde inspiration.

— « Mais tu m'as trouvé, finalement... Qui t'a dit ou j'étais ? »

Tu restes assise dans l'herbe, au bord de l'eau, l'invitant d'un regard à faire de même. Heureusement qu'elle était venue troublée ta méditation, car elle se serait surement soldée par un plongeon la tête la première dans ces eaux argentées. Tu avais envie de prendre des décisions osées et insensées.

— « Je vais démissionner des NOVA. »

Elle te connait bien Cassiopée.
C'est une des rares d'ailleurs, à te voir pour ce que tu es vraiment. Elle n'a pas d'intention, ou de complexe de supériorité, comme Juno. Elle n'a pas besoin de te contrôler et tu n'as pas besoin de la laisser faire par amour.
Elle parle et bien naturellement tu l'écoutes, tu es incapable d'en faire autrement, soumise à la voix de son alice qui porte plus profondément dans ton âme, plus que n'importe laquelle autre.

— « Je te remercie mais, ne m'idéalise pas s'il te plait. Et n'en profite pas pour t'infliger une culpabilité qui ne te va pas au teint. »

Tu étires un maigre sourire, voilà que tu parles comme Juno maintenant. Ça ne te ressemble pas, d'apparence, mais pourtant derrière cette phrase se cache un double discours que peut-être ton amie arriverait à discerner.
Mais elle continue son discours, tu ne saurais dire si elle a eu le temps de comprendre.
Que tout ça n'est pas de sa faute.
Mais c'est celle du système, des autres. L'enfer c'est eux, tout ceux qui gravitent autour de vous pour les mauvaises raisons.

— « Ton confort.. tu l'as mérité. On l'a tous mérité, c'est le but du système des étoiles. » Tu te mets à rire. « Quoiqu'ils puissent nous faire croire, on l'a mérité car on a supporté leurs règles, leurs caprices, l'indécence de nous avoir mis dans la tête qu'on était utile aux autres. »

Tu fronces les sourcils et serres le poing.
Anaël. Alcyone. Jason.
L'amour. C'était des futilités... mais tes amis y avaient droit. Cassiopée y avait droit.

— « Félicitations pour ce mec. J'espère que j'aurai pas à lui péter les genoux dans deux mois. »

Tu ne te reconnais pas toi même, tu es brutale. A fleur de peau et la peau à vif.
Tu veux les protéger, Cassiopée et tous les autres mais la rage d'avoir perdu Anaël et... et de t'en foutre qu'il soit parti. Ça te tort le bide.

— « Je veux dire... Merci. Je suis sincère, tu es formidable, et ça va marcher. »

Même si tu dois faire semblant de te réjouir pour ton amie, c'est avec le plus doux des sourires et le plus bienveillant des regards. Elle a trop souffert.
Vous avez trop souffert.

— « Personne t'oblige à quitter ton poste, sûrement pas moi. »

Il y a quelque chose de tragique dans ce qu'elle déclare. Cassiopée est une résignée, même en amour. Si ton choix jusqu'à maintenant se portait sur le fait de ne la pousser à rien, de respecter sa résiliance sans aucun commentaire, de prendre les armes pour toi - et pour elle s'il le faut - tu ne supportes pas de la voir aussi peu combative. Ce n'était pas l'amie que tu connaissais depuis toujours.

— « Tu ne supportes plus la solitude, mais ne te jette pas à corps perdus dans les bras du premier mec. Je ne veux plus que tu souffres Cassie. Tu as des tendances autodestructives, tu le savais ? »

Tu étires un large sourire. Evidemment qu'elle savait, vous étiez pareil. Et c'est sûrement pour ça qu'elle avait du te trouver culottée.
Tu fermes les yeux pour l'écouter, témoigner d'un rejet viscéral du système. Pourtant ! Cassiopée avait réussi là ou tu avais échoué : collaborer pacifiquement, obtenir le major. Mais à quel prix ? Pas à ceux des efforts, mais ironiquement grâce au fait de n'avoir plus besoin d'en faire (des efforts).

— « Tu n'as pas besoin de retourner ta veste. Tu peux faire le choix de faire semblant. Tu peux faire le choix de te battre de l'intérieur comme je l'ai fait jusqu'à présent. » Tu pointes ton badge NOVA sur la poitrine. « C'était pour de faux tout ça, j'espère que tu t'en es rendue compte. » Que jamais tu n'aurais rejoint une cause pareil si ce n'est pas pour aquérir l'avantage de pouvoir enquêter de l'intérieur.

— « Protège les du mieux que tu peux, tu as les meilleures armes à ta disposition, fournies par l'académie elle-même. On ne te soupçonnera pas grâce à tous les sacrifices mises en oeuvre. Regarde toi dans le miroir et devient une héroïne, même si c'est construit sur les cendres de tes erreurs. Rattrape-les et dans un an quand tu sortiras, réalise ton rêve de faire de la musique et tu pourras chanter l'hymne de te plus belles années. »

Tu souffles de la buée entre tes lèvres.

— « Voilà ce que je ferai à ta place. »

Tu hoches la tête lorsqu'elle te répond sobrement. Elle n'avait pas besoin de plus pour faire passer son message, car en vérité c'est à elle-même qu'elle déclare la guerre. Ou la paix. Les termes n'ont plus vraiment d'importance à ce jour car vous vous trouveriez face à la même finalité : tout allait changer au fond.
Tu frottes tes mains entre elles, nerveuse et fermes les yeux pour réfléchir. Cela faisait des jours et des jours que tu réfléchissais aux tenants et aux aboutissants si jamais tu confiais ton secret à Cassiopée.
Tu ne l'avais encore pas dit aux propres membres de ta famille, les premiers impliqués. Tu ne l'avais pas dit à Juno, liée de prêt à Jason. Tu ne pouvais pas, tu devais porter ce poids seule pour l'instant.

Mais tu prendrais le pari fou que Cassiopée puisse devenir une alliée.

— « Appris quoi ? » Tu tressailles un peu, les yeux soudain fixés sur le mouvement de l'eau s'écoulant dans les rapides de la rivière.

Non, Cassiopée parle sûrement d'une généralité. Elle n'a aucun indice sur la conversation que tu as surprise entre la matriarcale du clan Cesair et le directeur Collins.
Tes doigts se crispent nerveusement et tu prends une grande inspiration. Plus de retour en arrière lorsque tu auras pris ta décision.

— « Ce que je vais te dire, tu seras la première à l'entendre. C'est capital que tu ne le dévoiles à personne. » Tu tournes la tête vers elle. « Sinon, je ne te le pardonnerai jamais. »

Tu t'assois en tailleur, cette fois orientée dans sa direction. Tu te retiens de ne pas laisser échapper des sanglots d'émotion, car pour lui en parler, tu dois revivre la scène.

— « Je crois... Non je suis sûre. Le clan Cesair est une secte, et elle est étroitement liée à l'académie. On nous a menti depuis notre naissance. »

Tu t'en veux de lui imposer ton désarroi et de lui voler le statut de victime en un claquement de doigts. Ce n'est pas que tu ne souhaites plus l'écouter, c'est que tu as des choses importantes à lui confesser. Et il n'y avait qu'elle pour pouvoir les entendre correctement.
Tu ne peux réprimer un rictus faussement amusé quand elle réagit vivement. Une secte donneuse d'enfants ? C'est un peu ça, oui.

— « Je sais. C'est plutôt hallucinant. »

Tellement fou que t'en as la gerbe, t'as encore du mal à te faire à l'idée que c'est réel. Ce sont les piliers même des fondations de ta vie qui s'étaient brisés. Et tu les maintiens encore à l'heure d'aujourd'hui à mains nues. Tu assumerais cette épreuve seule, pour gagner du temps. Ce n'est pas encore le moment ou tout s'effondre dans la poussière.

— « Je cherchais Jason. Je suis monté au dernier étage - je crois - dans le bâtiment réservé au personnel. Je suis tombé sur le bureau de Mr. Melchior et j'ai surpris une conversation. Peggy... la matriarcale des Cesair. Elle était totalement différente de ce que j'ai toujours connu. »

Tu te prends le visage, entre tes mains, l'expression dévorée par l'horreur. Comment une femme que tu avais pu respecter autant pouvait-elle paraitre maintenant si monstrueuse ?

— « C'est une manipulatrice. Elle n'a que faire de Jason, de Stelian... Le professeur Raphaël O'Cesair n'est qu'un instrument pour elle. Et moi je... »

Tu prends une grande inspiration pour ne pas déglutir devant Cassiopée.

— « Moi je ne sais pas. Elle croit m'avoir sous sa coupe, elle ne sait pas tout ce que je sais et c'est ce qui me donne l'avantage. » Tu serres les poings à t'en faire mal. « Mais je ne sais pas comment mener l'offensive Cassie ! Je me sens complètement désabusée. Comment reprendre l'avantage face à l'ennemi...? »

Tu n'aurais pas cru que Cassiopée puisse réagir de la sorte. C'est le regard humide d'un espoir renaissant que tu l'écoutes attentivement. Lui avais-tu transmis la flamme pour la laisser la propager à ta place ? Tu fronces les sourcils lorsqu'elle parle de forcer le bureau de Melchior, l'expectante s'envole aussi vite qu'elle est arrivée pour ne laisser que des craintes et des doutes. Tu avais déjà eu bien de la chance de ne pas t'être faite surprendre la première fois. Comment réussir un aussi gros coup ?

— « Le bureau de Mr. Collins... C'est tellement dangereux Cassie. Tu n'y penses pas, si ? »

Tes poings se serrent. Tu ne supportais plus d'être ainsi actrice passive de ta propre existence. S'ils pensaient te manipuler comme un pantin, ils avaient certainement raison. L'idée principale était de jouer sur le coup d'avance qu'ils pensaient avoir sur toi, pour les surprendre au moment ou ils s'y attendraient le moins.

— « Attends attends... Je trouve ça brillant, je t'assure. Mais... D'accord. C'est complètement dingue mais c'est d'accord. »