J

béton t'attends pas
il te casse un bras

debout sur le chambranle. nu.

il est fini le temps des cerises. maintenant c'est le temps de la déconfiture. et comme elle est amère, arrosée d'eau-de-vie. cette mauvaise tequila. mais il ne peut pas s'en empêcher. debout et nu. devant l'entièreté du monde, son vacillement.

lui se tient droit. mais un jour son poids le fera céder. un jour il n'aura plus ce rire cardinal qui gonfle sa trachée.

étrange ciel. vaste. il contient toutes les couleurs et surtout aucune. au milieu de ses nuages dont on ignore s'il coule de la pluie ou du sang, l'orage le crève. il tombe des cordes. on ne sait pas s'il faut y grimper ou s'y pendre.

intense est sa douleur. tombée au fond de son ventre comme les cachets bleus sous le bacardi. c'est celle qui précède l'euphorie, et puis, plus tard, le sommeil. mais ce soir il ne dormira pas. comme tous les autres soirs, depuis le premier soir. c'était quand déjà, qu'il a décidé que le soleil se lèverait pour tout le monde sauf pour lui ?

il sourit. il ne semble pas être au courant de sa propre tragédie. pourtant et à présent tout semble relever du drame. autour de lui les corps en chantier, immobiles. les décombres de ce qui a été leur festin. les stroboscopes brisés et les cristaux séchés dans les verres. la loggia, détruite. et au-delà le dancefloor.

dans le plus pur silence, qu'il veut saisir et déchirer des deux mains, il demeure. debout. nu. impuissant devant son propre désastre, il se met à rire. comme un damné. il rit, rit. il est heureux ou il est ivre. il ne sait pas.

il enjambe les corps abandonnés par l'aube. ces enfants sont impossibles. leur yeux n'ont pas de couleur. on ne peut savoir s'ils sont bleus ou marrons, sous l'épais glacis de leurs pupilles ouvertes alors qu'ils sont inconscients. comme il les comprend. sa propre rétine, bleue hier et noire aujourd'hui, ne peut plus accueillir la lumière.

c'est toujours la même chose. cette histoire est fatiguée. elle fait des va-et-vients en elle-même ; elle ne se raconte plus. on ne raconte pas ça. la légende du garçon qui ne veut pas que le jour tombe sur la nuit de sa fête. qui ne veut pas vivre au-delà de sa frontière. franchir ce seuil est inconcevable. il préfère mourir. d'ailleurs il mourra.

il mourra pour la fête, jones. la sienne et aussi celle des autres, à laquelle il s'invite avec une telle certitude. on ne peut pas lui dire non. non il ne le prendra pas pour réponse. il est venu faire la fête, sans autre forme de procès. faire la fête comme sur le toit du penthouse à tijuana. faire la fête et se réveiller couvert d'or dans la piscine. pousser son cri, chercher le soleil.

voilà ce que c'est que jones. un soleil englouti par un cri au fond d'une piscine. un bébé nageur.

jones est fou. c'est sans doute vrai car ce n'est pas lui qui le dit. "tu es fou, jones," professait sa mère en ne caressant pas ses cheveux. mais lui dirait autrement. il n'est pas fou mais habité. oui c'est cela, c'est le mot juste. il est habité par la somme de toutes les choses qui ressemblent au bonheur. mais ce n'est pas le bonheur. l'illusion est parfaite.

l'apparence du bonheur - une notion capitale pour faire la fête. et bien allons à la fête. même si elle n'existe pas, même si elle est finie et que la terreur va revenir prendre sa place dans ses artères. jones est capable de verser tout le sang de sa vie dans un verre et de le lever à sa santé. s'il faut cela pour s'amuser encore, s'il faut cela pour recouvrer le goût d'exister.

mais jones est tellement déçu, déçu. de lui-même, de la vie pas assez immense pour le contenir. pourtant il croyait ne s'attendre à rien.

jones est allé à toutes les fêtes pour voir c’est qui, le monstre. maintenant il est inconsolable.

il vaut mieux ne plus y penser. car demain il y retournera. debout. nu.

et tout recommencera.

chez toi tout brille, c'est indéniable. on rentre par le patio et la piscine brille. on passe par le garage et la voiture brille. on monte les escaliers et à l'étage les statues brillent. ce matin tu t'es exfolié à la poudre de diamant et ta face brillait dans le miroir. pour ça tes copains te traitent régulièrement de pédé, pinche maricon (ils ont toujours été cons, tes copains), avant de te pousser dans un coupé cabriolet qui brille. vous prenez la route et les cheveux brillent, les dents brillent, les vêtements brillent. tout brille. sauf tes yeux.




les clips passent sur l'écran. les cadrages sont hasardeux et les images équivoques. parfois il y a de la musique. c'est une sorte de bruit de fond qui ne semble pas avoir été composé pour des humains.

- fruits de mer.

ils sont trois affalés sur le canapé. ils regardent l'écran et leurs six yeux sont rouges. la bouche de santiago est ouverte. les jambes d'anuar sont écartées. le visage du gros damon est liquide, coulant à la manière d'un fromage, avec cette expression hébétée que l'on a quand on regarde quelque chose mourir.

- égypte.

jones est debout près du poste. il boit son litre de tonayan et observe le mouvement des rayons cathodiques. parfois il s'approche d'un pas - à ce moment tous sur le canapés s'agitent comme après un ennemi invisible - parfois il recule - et tous se relâchent comme s'ils étaient désertés par un esprit.

- opossum.

leurs gestes sont creux et dans leurs yeux il n'y a rien. à tour de rôle leurs voix s'élèvent pour énoncer quelque chose. ils se répondent entre eux d'un air entendu. pourtant ils n'ont l'air ni conscients les uns des autres ni même vivants. ce sont des tas, des monceaux.

- forêt.

le gros damon éclate d'un rire si brusque qu'il est effrayant. personne ne semble le remarquer. ils regardent l'écran et leurs six yeux sont rouges. mais la télévision est éteinte. c'est parce qu'il n'y a plus d'électricité depuis trois jours. depuis trois jours la porte n'a pas été ouverte. les corps ne se sont pas levés du canapé. la lumière du dehors n'est pas entrée.

jones termine la bouteille, titube, et sort de la pièce.

quelques jours plus tard ses parents ont reçu un appel téléphonique.




tu étais leur fils et aussi leur ruine. la vie syncopée qu'ils voulurent aménager pour toi n'était pas à l'épreuve des exodes et des déménagements. pas même ces nouveaux amis, leurs soirées, leurs afters, leurs yeux qui convulsent et leurs dents qui crissent dans la montée. non, rien ne rendait supportables leurs gestes toujours commis, leurs surnoms en fleurs, mi güerito, mi niñito, mi hijito. il te semblait qu'ils n'avaient jamais moins été tes parents. qu'ils t'avaient toujours tenu en joue.

ils ne savaient même pas qu'ils n'étaient pas lucides quand ils te parlaient. ils ne savaient même pas que leur tendresse en forme de compte offshore était inutile, grossière. ils ignoraient que tu avais trouvé de plus violents poisons. à vrai dire ils faisaient semblant. au fond tu avais toujours su qu'ils étaient de mauvaises personnes. mais maintenant cela ne pouvait plus t'atteindre.

quand ils te dirent au revoir, l'habituelle rage que tu avais au cœur se fit vaporeuse et sans contours. tu n'étais pas heureux, mais quelle importance puisque tu étais content. seulement bientôt tu découvrirais la tristesse.




nancy n'a pas voulu lui donner le numéro de sa copine.