L'exercice d'écriture était parfois ressenti comme une torture lente mais nécessaire à cesser un harcèlement moral que tu devais passer sous silence auprès de tous.
S'il y avait bien quelque chose qu'on ne pouvait pas te reprocher (et on pouvait aisément bien juger tous le reste) c'était ta capacité à prendre sur toi un acharnement punitif long et ancré dans le temps.

Tu t'efforçais de faire des belles lettres, que tu jouissais à pourrir de rature et de blanc qui feraient trembler les nerfs de ton paternel.
Dans la lassitude, le visage accoudé vulgairement sur la table, tu agitais ton stylo entre tes doigts dans l'espoir de recevoir l'inspiration.

Une silhouette s'était installé en face de toi, et tu n'avais même pas pris la peine de lever la tête de ta feuille quasi blanche pour lui faire comprendre que de la place il y en avait ailleurs.

— « Tu vas pas me faire croire que la bibliothèque est bondée. Bouge de là j'ai besoin d'être tranquille. »

Mais cette voix, elle faisait partie des rares que tu avais inscrite dans ta mémoire. Tu avais levé les yeux finalement dans un frisson qu'elle t'avait arraché. Sourcils froncés, visage dénaturé par les rides d'une colère sombre qui ressurgit.
Tu avais beau tenter d'analyser le fond de sa pensée, ce qui l'avait poussé à te proposer telle ineptie, mais tu n'avais qu'une seule conclusion en tête.

— « T'as vraiment un problème toi. Genre pourquoi j'écrirais ça, pauvre tarée ? »

Ton menton s'était dirigé lentement vers ta copie pour barrer un autre mot. Il fallait vraiment que tu fasses un brouillon un jour, mais tu voulais en finir au plus vite.

— « Je frappe pas les filles. Tu devrais le savoir à force, ça t'éviterait de passer encore pour la psycho de service. »

Tu étais injuste Cassidy, car si Milena était folle, tu n'étais sûrement pas le plus sain d'esprit.

Milena te fascinait par sa façon qu'elle avait de rester stoïque face à tes atrocités. Tu avais jusqu'à la curiosité la plus malsaine de vouloir tester jusqu'ou elle pourrait l'encaisser.
Le regard sombre, tu l'écoutais s'enfoncer dans son délire sans pour autant le justifier comme tu lui avais pourtant demandé. C'était donc la mine un peu déconfite par la colère que tu tentais d'ajuster ton expression à son jugement de valeur.

— « Mais pourquoi je voudrais lui faire croire ça en fait ? »

Il serait capable de se déplacer jusqu'à l'académie pour exiger de te voir. Quoique.. Pas sûr qu'il n'ose faire grand chose en réalité. Te déshériter voudrait dire perdre sa seule descendance capable de reprendre l'entreprise Westwood.
Tu comprends alors que cette situation ne serait qu'une vicieuse torture à l'égard de ton paternel. Car même en sachant ça, il ne pourrait rien y faire.

— « Et je te coupe de suite, tu me connaitras pas d'avantage pour en savoir plus. Et ça sera réciproque. »

Tu retournes ta feuille d'un mouvement brusque et jette ton stylo qui rebondit sur la table et s'écrase par terre. Elle t'avait passé l'envie d'écrire, déjà tu n'étais pas spécialement emballé par l'idée.
Tu colles ton dos au dossier et bascule légèrement la chaise vers l'arrière. Les bras croisés sur ton torse, tu la détaillais comme un morceau de viande perdu au milieu du désert.

— « C'est quoi le bail ? Tu veux quoi ? »

Et cette fois tu exigeais une réponse précise.

Milena était peut-être ta fiancée, mais elle n'était ni ton amie, ni de ta famille, ni celle qui faisait vibrer ton coeur (mais il n'y en avait aucune qui avait ce privilège - ou cette malédiction).
Alors face à sa requête, tu restes stoïque, sourcils froncés, surtout sceptique.
Pourquoi n'écrivait-elle pas elle-même cette lettre à son père ?
Et est-ce que ça te soulagerait vraiment ou est-ce que ça te faisait peur ?

— « Je peux te faire sentir vivante de plein d'autres manières. »

Un rictus nerveux ourle le coin de tes lèvres et tu souffles du nez. Tu pressens qu'elle ne va pas te lâcher pour le coup et tu te penches en avant pour reprendre le stylo et le faire jouer entre tes doigts.

— « Je vois pas pourquoi je ferai ça pour toi gratuitement. T'es personne pour moi, Milena. »

Si la politesse et la distance t'imposeraient normalement de l'appeler par son nom de famille, t'avais toujours pas appris à le prononcer correctement.
Si elle t'épousait, elle prendrait le tien. Cette pensée t'arrache une grimace.

Dans tes mains tu te te saisis de la feuille pour la chiffonner entre tes doigts, et tu vises la poubelle à l'autre bout à quelques mètres derrière elle. Mais maladroitement, le papier percute sa tête au passage.

— « Autre chose ? »

Tu la regardais bien dans les yeux comme un prédateur tentant de faire fuire sa proie pour mieux la chasser. La faire décamper de ton territoire. Ta seule présence affirmait que tu étais le seul mâle alpha dominant ce lieu et qu'elle ferait mieux de prendre la suite. Tout de suite.

Mais Milena n'était pas ce genre de femme à fuir, c'était une conquérante. Prête à soulever des royaume du bout des ongles et en clignant des yeux.
Tu retenus ta respiration une seconde à l'impact de la boule de papier en plein milieu de son front. Tu avais voulu sourire mais tu t'étais retenu. Au lieu d'un rictus moqueur, tu n'affichais qu'une mine sombre et présomptueuse.

Milena te prit le stylo des doigts, penchée en avant tes yeux s'attardèrent sur les courbes généreuses de son poitrail. Sans prêter à attention à son avertissement, pourtant si subtil. Oh Cassidy, quelle erreur. Et Milena s'en va planter la plume dans sa chair, traçant dans la tienne sa signature.

La douleur était si immense, piquante comme la lame d'un couteau déchirant ton épiderme comme un bout de viande. Tu avais plaqué ta main sur la plaie dans un râle de douleur.

— « Arrête ça, sale folle ! »

Il faisait si sombre d'un coup et le bruit de la grêle survint pour s'abattre sur le toit du bâtiment. Dehors, le temps chaotique donnait l'impression d'une apocalypse. La douleur, tu ne la contrôlais pas, tout venait d'elle. D'un geste animal, tu avais soulevé la table d'une main pour la renverser sur le côté. Les autres élèves sursautèrent mais Milena n'avait pas bougé de sa chaise. Un genou à terre, tu avais poussé la table fracassée d'un coup de jambe en essyaant de garder pression sur ton bras déjà gonflé par l'agression.

Pris d'une colère incontrôlable, tu t'étais précipité pour elle pour refermer ta main libre sur son cou.

— « Lâche ou je t'étouffe. Et cette fois ce que j'écrirais à mon père sera la stricte vérité. »

Les surveillants n'allaient pas tarder à vous séparer. Mais rien ni personne ne t'empêchera plus longtemps de la regarder comme tu la regardais. D'une haine si hargneuse que les esprits dérangés auraient pu la confondre avec du désir.

Si tu ne frappais pas les filles, c'est que tu les considérais comme fragiles, douces, à protéger. Une vision archaïque de leurs corps qui se briseraient sous le tien... pas de leur place dans la société.
Mais Milena n'avait rien de fragile, et en cet instant tu avais davantage l'impression que c'était toi que tu devais protéger d'elle. Sans casser le jeu de vos regards qui s'affrontaient... Tu t'imaginais bien que le sang devait couler aussi de son côté. Et contrairement à toi, elle n'avait pas réagi. Tu te demandais si elle ressentait la douleur et si elle était aussi vive que la tienne.

A ses injonctions, tu resserres un peu plus ta prise sur sa nuque, remontant ta main jusqu'à son menton pour bloquer son visage en arrière.

— « Me pousse pas à bout, toi. »

Et c'était une veritable menace.
Les autres élèves s'étaient mis un peu à l'écart depuis le début de la scène mais avec l'arrivée des surveillants au loin, un garçon avait pris son courage à deux mains et s'était jeté sur toi pour te tirer en arrière. Mais sa force n'avait pas d'égale la tienne, qui refusait de lâcher ta proie.
La persécutrice devenait victime.
Mais pendant combien de temps et aux yeux de qui ?

Fou de rage, tu finis par lui envoyer un coup de coude dans le ventre pour le faire te lâcher.
Tu ne voulais partager ce moment avec elle avec personne d'autre.
Si elle avait enfin atteint son but, de se sentir vivante, toi tu te sentais périr d'un moment à l'autre.

En tombant, tu étais tombé avec lui, emportant Milena trainée par la gorge. Elle t'avait percuté de plein fouet, te chevauchant de tout son poids plume alors que ta masse écrasait le pauvre courageux. Mais alors que les chargés de discipline venaient d'arriver, ils la relevèrent comme la pauvre princesse fragile qu'elle était.

Tu avais été moins subtil.
Tes yeux lui lancèrent des éclairs au rythme du tonnerre qui frappait toujours dehors.
On t'intima de cesser ton caprice et de faire ramener le beau temps.

— « Je me portais très bien jusqu'à ce qu'elle débarque à ma table. »

Lorsque le robot Rex attrapa Milena pour la relever, tu avais accordé un regard méprisant envers celle-ci. Ouai, tu te relèverais tout seul toi. Tu jetas un coup d'oeil bref envers ta blessure et serra la mâchoire.

Même si tu t'y attendais, Rex t'annonça sans détour que ton ra,ng serait discuté. Tu venais de perdre ton étoile, tu en étais certain... cette idée provoqua chez toi une vague de colère que tu peinas à réprimer. Mais le plus drôle, c'était sûrement qu'ils réclamaient tous les deux des excuses. C'était une blague ou bien...?

— « Pardon ?! Tu éclatas d'un rire rauque qui dérangea sûrement encore davantage les autres élèves. M'excuser ? Je crois vous avez vu la vierge en fait parce qu'il y a zéro moyen que je crache des excuses à cette folle. »

Milena pouvait bien minauder autant qu'elle voulait, c'est toi qui la mettrais à genoux et pas l'inverse.
Les conflits avec des filles, ça t'arrivait jamais... pas que tu ne les considérais pas mais comme expliqué plusieurs fois, tu ne les frappais pas. L'envie de gifler ta prétendue prétendante commençait légèrement à chatouiller tes convictions.

— « On a fini ? »