le point d'ébullition du cuivre

Tu n'as aucune idée de ce que tu as fait - aucune.

Il ne t'est probablement jamais venu à l'esprit les stratagèmes complexes qu'un autre doit mettre en place pour capturer le cœur d'un lâche. J'ai travaillé des années pour qu'il ne puisse pas passer à autre chose, à quelqu'un d'autre. Je l'ai marqué au corps, à la culotte ; condamné au devoir filial, j'ai menti sur mes échecs. Conjuré un dieu dont je n'étais qu'une énième prière, je me suis mise à genoux. S'il vous plaît, mon père. Si le ciel s'ouvre aujourd'hui, et que la terre m'écrase, il se souviendra de l'enfant qu'il a mis au monde, qu'il a gardé contre lui, quand on a voulu lui enlever. Il essaie de toujours de se prouver à la hauteur de situations qui le dépassent. Peut-être parce qu'on a instillé en lui qu'il devait l'être, peut-être parce que la vie lui paraît trop facile. Adoré comme un prince depuis l'enfance, beau garçon, bon élève. Il ne savait sans doute pas quoi faire de plus de sa vie, alors il a ruiné la mienne. Refusé l'adoption, refusé d'apprendre. Je suis le résultat d'un caprice adolescent, quelque chose que les adultes en place n'auraient jamais dû laisser faire - une décision irrationnelle dont personne ne peut payer le prix.

Et maintenant que je suis là, que c'est l'heure de la repentance, le moment du serment, il reconnaît son erreur à qui veut l'entendre pourvu qu'on en éloigne la conséquence.

J'ai su qu'il ne prendrait la responsabilité de rien à sept ans, quand il m'a donné cette matriochka. Va jouer avec toi-même et ne reviens pas. La main lourde sur mon sac à dos, les larmes qui n'atteignaient pas ses yeux comme le sourire n'atteignait pas les miens. J'aurais pu hurler à la mort, rendre l'affrontement public. Lui dire que je savais exactement qui il était, comme personne d'autre ne le saurait jamais, qu'il n'avait pas d'autre choix que de m'aimer. J'aurais pu supplier. Lui promettre monts et merveilles, succès, gloire et revenus si de nouveau, contre l'avis des autres, il me gardait contre lui, me laissait mourir là. J'aurais pu - mais je déteste suivre son script, j'en connais déjà la fin, et aucun des acteurs n'a de talent. Le père, la mère, le fils. La sœur, puis ses gosses à la con. La voisine, son hypocrisie morbide, ses yeux louches. Cette gamine sale avec laquelle il me faisait jouer pour prouver on ne sait quoi. Elle me mordait au sang, il s'amusait de sa différence. Va te faire foutre. Qu'ils aillent tous se faire foutre. Je sais qu'on est du même sang chaque fois que je me déçois comme ils m'ont déçue, et chaque fois je me dis la même chose : j'aurais préféré venir des entrailles noires et visqueuses de Blythe que de devoir, pendant sept ans, jouer au même jeu de mimes. Leurs bouches assez larges pour m'avaler tout entière, la sensation moite sur ma joue. Même ardeur à simuler l'intérêt à l'égard de ce que j'étais qu'une pute à simuler l'orgasme pour flatter l'ego de son client. L'odeur d'une bête imprégnée dans le canapé, parce qu'ils s'y affalent comme des porcs, ils y montent à 6. Toute la famille a grandi autour, et tous les gosses ont pissé dessus ; alors ils en sont nostalgiques. C'est le canapé de la famille, qu'ils disent.

Le pilier central de la maison.

Je vais aller en taule, Anaël, si tu t'approches, mais avant - j'irais y foutre le feu. Juste le canapé, le reste ne vaut rien. Le reste, c'est de l'utilitaire, ils peuvent s'en passer ou l'envoyer en Irlande. Mais le canapé, il n'y échappera pas.

Toi non plus.

J'ai brisé ta pute comme on joue un accordéon. Pas sa faute, à la gosse ; mais pour moi c'est du pareil au même, parce que tu la baises et que je voulais que tu te sentes seul. Je l'ai étalée sur le lit de l'infirmerie, on aurait dit une princesse. Je sais plus ce qu'elle a dit, je suis même pas sûre qu'elle ait dit quelque chose, mais moi j'ai entendu : c'est rien qu'un con, et j'en veux plus. Je l'ai sans doute inventé, mais ça m'aurait plu, que ça se finisse comme ça.

Mais à tous les coups, tu as l'impression que tu dois lui prouver quelque chose, maintenant, et tant pis si la situation te dépasse ; tu viendras directement courir dans mes bras, parce que c'est la seule prison assez grande pour contenir ensemble ton ego et ta culpabilité.

Alors je suis préparée, je les ai grands ouverts. L'uniforme sur le dos, le chewing-gum sous la langue. On m'a coupé les ongles hier, on m'a épilé les sourcils. Je ne sais pas ce que j'attends mais dans ce couloir, tout à coup, je me sens fébrile.

T'as pas intérêt à fuir le problème, baby, tu voudrais pas ruiner ce qu'on a.

L'occasion est d'or, mon silence de cuivre, et ton sang, ton sang, est d'argent.