« Deux chocolats chauds s'il vous plaît ! Avec beaucoup de crème chantilly si possible. »

Les yeux d'Aline brillaient de gourmandise. Quand elle avait su que l'école organisait une distribution de boissons chaudes, elle s'était précipitée pour voir ça. C'était une bonne idée qu'ils avaient eue là. Tout le monde adore le cacao, surtout quand on le partage avec des personnes qu'on apprécie. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle en avait pris deux. Elle irait faire une petite surprise à Moïra pour lui en donner, en espérant que cette dernière ne se soit pas déjà servie. Ça pourrait lui faire plaisir, surtout en cette période de grand froid !

Après avoir récupéré ses gobelets fumants, elle fit demi-tour sans tarder. Il fallait qu'elle trouve son amie rapidement. Direction la serre, l'endroit où Moïra passait beaucoup de temps. À moins qu'elle ne soit à la danse ? La chantilly commençait déjà à couler et la blondinette se rendit compte par la même occasion que ses mains n'allaient pas faire long feu avec un verre brûlant dans chacune. Elle décida d'arrêter de réfléchir et de foncer vers les couloirs. Avec un peu de chance elle croiserait la brune sur son chemin.

Par on ne sait quel miracle, Aline parvint très bien à s'en sortir dans cette marre d'élève infinie. Elle n'avait pas renversé une seule goutte et n'était pas loin de sortir de la masse. Souriante, elle s'excusait et passait le plus délicatement possible entre les autres qui attendaient encore leur tour. Un pas et c'était fini, d'ailleurs sa tête était déjà hors de la marée humaine. Son corps suivit doucement, ensuite ce fut son pied droit puis enfin de son pied g...

Alors que l'adolescente se voyait déjà sauvée de tous les accidents possibles et inimaginables, la catastrophe se produisit. Murphy ne pouvait-il pas la laisser tranquille un peu ?

Ce qui devait arriver arriva. Sa jambe se prit dans quelque chose (probablement quelqu'un), et Aline se retrouva propulsée comme un boulet de canon. Le liquide contenu dans les récipients fut éjecté droit devant elle et pendant un court moment se transforma en une flaque volante. Tandis que la blondinette s'écrasait au sol, le chocolat chaud épousa le dos d'une sorte de gothique effrayante. Les habits de celle-ci furent trempés en un instant et ne tardèrent pas à dégouliner par terre. Pour couronner le tout, la crème avait formé une sorte de boule sur sa nuque qui glissait lentement le long de sa colonne vertébrale.

Est-ce que je reste par terre et fais la morte ? Se demanda la maladroite très sérieusement. Non allez, debout et excuse toi. En plus tu as dû la brûler, elle doit vraiment avoir mal !

Encore pataude, celle qui venait tomber se releva lentement. Déconfite, elle n'attendit même pas que son bourreau se retourne pour pouvoir lui adresser ses plus plates excuses.

« Pardon... MON DIEU, je suis tellement désolée ! Est-ce que ça va ? Tu n'es pas brûlée ? »

Si elle pouvait, elle irait immédiatement se cacher sous sa couette pour ne plus jamais ressortir. Cependant l'inquiétude vis-à-vis de l'état de l'autre l'empêchait de le faire. Quelle idée de s'être mêlée à cette cohue, rien de bon n'aurait pu en sortir !

Les tremblements de ses mains étaient incessants. Son estomac s'était retourné dans son ventre, et aucun mot ne parvenait à franchir la barrière de ses lèvres. À vrai dire, son cerveau tout entier avait cessé de fonctionner au moment où son visage fut rempli de crème chantilly. Des larmes lui montaient aux yeux, mais elle essayait tant bien que mal de les retenir. Elle n'allait quand même pas craquer devant tout le monde... La situation était déjà assez gênante comme ça.

Il y a à peine quelques secondes, Aline ne pensait pas que la gothique réagirait avec autant de violence face à ses excuses. Certes elle prévoyait quelques cris et peut-être une ou deux menaces, mais la réalité dépassait toute son imagination. L'adolescente en face d'elle s'était transformée en furie enragée, lui donnant la chair de poule presque instantanément. Elle commença par lui hurler dessus, puis l'attrapa par le col lorsque celle-ci se rendit compte de la présence de la crème sur sa nuque. La blondinette aurait bien essayé d'esquiver, mais la gorgone était trop vive. En un rien de temps, la maladroite se retrouva sur la pointe des pieds, soulevée par son pull.

Tout le reste se déroula comme dans un rêve. Sa persécutrice ouvrait et fermait la bouche, mais aucun son ne parvenait aux oreilles de la petite anglaise. Des postillons s'écrasaient sur ses joues et les yeux injectés de sang qui la fixaient semblaient vouloir sortir de leurs orbites. Soudain, enfin tout s'arrêta. Pensant que sa punition était finie, elle s'autorisa une mini inspiration. Cependant son calvaire était loin d'être terminé. Avec un plaisir évident, son bourreau commença à lui tartiner le visage de crème fouettée. Elle avait dit quelque chose juste avant, mais cette phrase aussi était passée à la trappe.

Voilà donc comment Aline voyait les choses de son pauvre point de vue. Peu d'options s'offraient à elle. N'arrivant pas beaucoup à bouger, se dégager était impossible pour cette dernière. Personne ne semblait non plus vouloir intervenir malgré les regards suppliants qu'elle lançait à droite à gauche. Est-ce que c'était de la peur qu'il y avait dans le regard de certains de ses camarades ? L'affreuse sorcière était si maléfique que ça ?!

« Arrête, je suis vraiment désolée ! Je ne l'ai pas fait exprès. Je ... je... »

Je quoi ? Elle ne pouvait rien faire... Aucune pierre n'était à portée de sa main, et il n'y avait probablement rien qu'Aline puisse apporter à cette élève tyrannique. Il fallait pourtant qu'elle trouve quelque chose, sinon sa séance de torture allait continuer.

Dans une vaine tentative de fuite, elle essayait de pousser l'autre fille pour se libérer de son emprise. Lorsque ça arriverait, elle détalerait comme un lapin sans demander son reste. Il y avait des personnes avec il ne valait mieux pas se frotter. Tant pis s'il fallait l'éviter dans les couloirs jusqu'à la fin de sa scolarité.

« Lâche moi maintenant. J'aimerais m'en aller. », couina la blondinette tout en gigotant comme une malheureuse.

Aline ne pouvait plus bouger. Agenouillée par terre, elle s'était effondrée dès que la gothique avait tourné le dos. Ses jambes tremblaient trop et ses membres semblaient peser une tonne chacun. Jamais personne ne s'était montré aussi agressif après un accident. La furie l'avait menacée tout en ne cachant pas son envie de lui donner des coups. Qu'est-ce qui lui était arrivé pour devenir aussi violente ? Quel que soit la réponse à cette question, une chose était sûre : il ne fallait en aucun cas qu'elle la recroise, AUCUN.

La blondinette resta à terre quelques minutes avant d'enfin trouver le courage de se relever. Son coeur battait à toute allure et des frissons la parcouraient encore. Voyant que dans cette cohue sa tête commençait à lui tourner dangereusement, elle se dirigea promptement vers sa chambre d'où elle n'en ressortira plus avant le lendemain matin. Tant pis pour le chocolat chaud. Tant pis pour le dîner. Très vite, ses anciens démons revinrent la hanter accompagnés de ses doutes concernant ses aptitudes à s'adapter au monde.

Et si je restais pour toujours cette catastrophe que tous mépriserait ? Et si ceux qui m'appréciaient n'avaient en fait que pitié de moi ? Et si finalement je faisais sans le faire exprès la bêtise de trop ?

La maladroite connaissait bien toutes ces questions pour se les être posées des dizaines de fois. Malheureusement elle n'avait pas les réponses et ne les aurait probablement jamais. Il fallait continuer à vivre tout simplement, en espérant le meilleur et en ne se focalisant pas sur le pire. Aujourd'hui aura été un jour sans, peut-être que demain sera un jour avec ?

Avant de se coucher, elle sortit son quartz rose de la poche de son pantalon et le serra contre sa poitrine. Rapidement, l'énergie qui émanait de la gemme pénétra la jeune fille qui sentit son coeur s'alléger presque immédiatement. Un sentiment de paix l'enveloppa et ses mauvaises pensées disparurent une par une. Elle avait de la chance d'avoir un alice qui lui permettait d'aller mieux lors des moments de peine. Il lui était remarquablement utile pour relativiser et ne pas rester trop longtemps coincée avec ses idées noires.

C'est d'ailleurs en partie à la faveur de son don qu'elle s'était fixé comme but d'aider au maximum ses semblables. Non seulement pour arranger le chaos qu'elle créait, mais également pour permettre aux autres d'avoir une échappatoire quand eux aussi vivaient des temps sombres. Ce ne sera donc certainement pas une gorgone de mauvais poil qui irait changer la donne, n'est-ce pas Aline ? Sentant ses paupières s'alourdir et se fermer tout doucement, elle laissa son esprit divaguer avant de rejoindre avec délice le monde des rêves.

Grâce à elle, plus jamais personne ne serait triste et tous les gens n'auraient plus que des sourires aux lèvres. Pour toujours. Dans le monde entier. Jusque dans l'espace.

Ah mais c'est vrai, le quartz rose soulage aussi des brûlures.