OH MON DIEU, J'AI OUBLIÉ LE DEVOIR D'HISTOIRE !

Cela faisait un moment maintenant qu'Aline était réveillée et flânait dans sa chambre. Depuis plusieurs années, le dimanche était synonyme de détente et de laisser-aller absolu pour la jeune fille. Une journée où l'on pouvait voir passer les heures avec délice loin des maladresses, devoirs et tracas en tous genres. Prévoyante, elle mettait un point d'honneur à réaliser toutes ses tâches le samedi afin d'être entièrement libre le lendemain. Il s'agissait-là de l'un de ses petits plaisirs hérité de sa longue période d'isolement auquel elle ne renoncerait pas ou très difficilement. Cependant de temps à autres il arrivait qu'un imprévu survienne, et ça, la blondinette n'appréciait absolument pas.

Tout en sirotant son thé au citron, l'adolescente était postée à sa fenêtre observant ce qu'il se passait dehors. Elle se tenait dans le calme de sa chambre, loin de toute l'agitation qui régnait à l'extérieur. En effet, étant donné qu'il faisait grand soleil, tout le monde avait décidé de sortir. Certains pique-niquaient, d'autres jouaient au ballon... Elle aperçut même monsieur O'Ceseair, son professeur d'histoire, se promener parmi les élèves. C'est à cet instant précis que la réalité la frappa de plein fouet, telle une tempête venant violemment balayer sa tranquillité. La veille, elle avait complétement oublié de rédiger sa rédaction sur la démocratie qui était à rendre lundi. Certes, il lui restait encore toute une après-midi pour l'écrire, mais sa pause relaxation hebdomadaire était gâchée.

Sans perdre une seconde, Aline enfila ses chaussures, se saisit de son sac à bandoulière puis fila comme une furie en direction la bibliothèque. Elle savait plus où moins vers quelle section il fallait se diriger mais son empressement la rendait nerveuse et par conséquent extrêmement distraite et paniquée. Pénétrant dans la grande salle totalement essoufflée, elle s'autorisa une courte halte sur le pas de la porte avant de reprendre sa course. Malgré l'absence indéniable d'urgence, l'esprit de la blondinette bouillonnait. C'était la première fois qu'elle oubliait un exercice et qu'elle s'y prenait aussi tard. Une chance qu'elle s'en soit rappelé au moins vingt-quatre heures à l'avance...

Déambulant dans les couloirs, elle se voyait déjà prendre les livres qui l'aideraient pour sa composition. Chaque foulée la rapprochait un peu plus du Graal qui lui permettrait d'expédier son devoir. Il ne lui restait que quelques...

BOUM, BOUM, clic-clic-clic...

Évidemment ce qui devait obligatoirement arriver, arriva. En un rien de temps, la jeune fille se retrouva par terre. Cette dernière s'était pris les pieds dans la lanière d'un sac et avait heurté de la hanche la table non loin de là. Tous les crayons s'y trouvant avaient décidé de la rejoidre mais par chance la tablette, sûrement plus timide, choisit de se contenter de se balancer sur le rebord sans basculer dans le vide. Rien que de l'imaginer se fracasser contre le sol calma immédiatement l'adolescente qui réalisa doucement que sa précipitation était peut-être exagérée.

Lentement, la maladroite se releva. Elle n'avait rien de cassé mais il fallait rapidement arranger le désordre avant que la personne assise à cette place ne revienne. Sans même un regard aux alentours, elle commença par la bande qui dépassait toujours sur le chemin, la repoussant contre le sac afin d'épargner toute autre potentielle victime. Ensuite elle s'attaqua aux crayons qu'elle repositionna sur le bureau, près de la tablette miraculée. Cette dernière était d'ailleurs déverrouillée et un long texte s'y épanouissait. De nombreux croquis l'entouraient et certains représentaient un jeune garçon étonnement bien détaillé en tenue d'époque. Intriguée, Aline se risqua à jeter un oeil aux lignes affichées sur l'écran et ne tarda pas à être entièrement prise par ce qu'elle lisait. On suivait les périples d'un voyageur temporelle, tentant de s'adapter à l'ère où il avait atterri. Les phrases se succédaient avec fluidité et plus on avançait, plus on voulait en apprendre davantage.

Oubliant son récent affolement ainsi que toute contenance, la blondinette s'approcha du pupitre et plongea pour de bon dans le récit. La personne qui avait écrit cette histoire était extrêmement douée !

Lorsqu'un doigt vint lui pousser légèrement l'épaule, Aline sursauta tout en tournant vivement la tête. Mortifiée, elle se rendit compte qu'elle avait pris ses aises et venait peut-être d'empiéter dans la bulle de quelqu'un. Ce quelqu'un se tenait justement à côté d'elle, rouge tomate et l'air déconfit. Il s'agissait d'une adolescente qui n'était clairement pas ravie, et à juste titre, qu'on ait touché à ses affaires. Poliment, cette dernière lui demanda de lui rendre sa tablette. Apparemment le texte que la blondinette avait eu la chance de lire n'était pas destiné au grand public, pourtant il n'en restait pas moins d'une qualité remarquable pour l'âge de la jeune fille. En outre, les dessins qui accompagnaient les écrits démontraient clairement d'un certain talent dans le domaine.

« Oh je suis vraiment désolée ! s'exclama l'Anglaise en se levant. Je ne voulais pas te gêner, c'est juste que j'y ai jeté un oeil sans le faire exprès et j'ai vite été prise par l'intrigue. »

Elle tendit l'écran à sa propriétaire avec un sourire timide avant de s'éclipser. L'embarras de la brune était évident et rester l'aurait plus importunée qu'autre chose. De toute manière l'ombre de la rédaction sur la démocratie lui planait toujours dessus. Il fallait encore trouver les bons manuels pour composer un devoir irréprochable et le temps ne s'était pas arrêté.

Cependant tandis qu'elle s'éloignait de la jeune fille, une pensée jaillit dans l'esprit de la maladroite. Plus elle avançait, plus il devenait impossible de se la sortir de la tête. Même quand elle parvint en face de la section des régimes politiques, elle arriva à peine à se concentrer sur les titres qu'elle parcourait des yeux. Tout semblait inintéressant et plus qu'ennuyeux. Finalement, au bout d'une lutte perdue d'avance avec elle-même, Aline finit par faire demi-tour.

« Euh... Pardon, c'est encore moi, fit-elle doucement. C'est juste que... les mots lui manquaient, après tout si personne n'avait jamais lu les récits de cette écrivaine en herbe, c'est qu'il y avait une bonne raison non ? Est-ce que David va finir par s'habituer ? parvint-elle enfin a lancer. Est-ce qu'il ne risque pas de créer des paradoxes ? »

La curiosité était un vilain défaut, mais l'histoire avait entièrement captivé la blondinette qui voulait absolument en apprendre davantage. Elle était restée sur sa faim et ne pouvait décemment pas ignorer le dénouement du périple du héros. Étant une grande lectrice, l'adolescente savait apprécier une belle plume quand elle en avait l'occasion. Certes il manquait un peu de pierres précieuses, mais qui sait ce que prévoyait l'auteure ?

Réalisant qu'elle venait une nouvelle fois de s'imposer, Aline décida de continuer en exprimant le fond de sa pensée. Ainsi, la brune comprendrait sûrement son engouement... du moins c'est ce qu'elle espérait.

« J'ai beaucoup aimé ton style d'écriture, tu devrais songer à participer à des concours tu sais ? À la base je ne faisais que ranger tes crayons que j'avais fait tomber, la tablette avait aussi failli les suivre mais heureusement je n'y ai pas été assez fort, et il ne m'a fallu qu'une seule ligne pour me retrouver plongée dans l'univers de David ! Tes dessins aussi sont géniaux, tu as vraiment beaucoup de talent ! »

Tout avait été dit avec sincérité, et l'expression de la blondinette ne faisait que le prouver. Elle avait prononcé ces phrases sans savoir si elle toucherait son interlocutrice qu'elle ne connaissait d'ailleurs même pas. Il ne restait plus qu'à prier que cette dernière ne se referme pas et ne l'envoie pas bouler en lui demandant pour qui elle se prenait. À cet instant, l'exercice en Histoire demeurait bien loin de l'esprit d'Aline. À vrai dire, tout ce qui lui importait maintenant, c'était l'avenir de David qui paraissait pour le moment encore très incertain.

En lui posant ses questions, Aline ne s'attendait pas a obtenir autant d'enthousiasme en réponse. La jeune fille s'était lancée dans de longues tirades assez explicites afin d'éclairer la blondinette au mieux. Il fallait avouer que l'écrivaine en herbe avait l'air de savoir parfaitement ce qu'elle faisait et semblait s'être documentée longuement avant de commencer son récit. D'ailleurs les multiples livres qu'elle venait de récupérer en étaient la preuve : elle prenait sa tâche très à coeur.

Avant de pouvoir lui signifier qu'elle avait tout compris et que ses débordements étaient plus qu'intéressants, la brune lui fit une proposition qui surprit grandement l'adolescente. Elle lui demanda si elle voulait bien lire régulièrement ses textes et lui donner son avis afin de les améliorer. Ce revirement de situation fit naître sur le visage d'Aline un grand sourire, et ses yeux plein d'appétit pour la lecture brillèrent instantanément. Les deux filles ne se connaissaient pas encore, mais il se pourrait qu'une amitié puisse voir le jour très rapidement.

Sans attendre, la blondinette se saisit d'une chaise non loin et s'assit juste à côté de la demoiselle. Excitée, elle hocha vigoureusement la tête.

« Ce serait vraiment avec plaisir ! lança-t-elle joyeusement en joignant les mains. J'aime beaucoup lire et si je peux aider par la même occasion, c'est parfait ! »

Elle se voyait déjà continuer à suivre les aventures de David, ce brave jeune homme projeté dans le passé et devant s'adapter à ce nouveau monde. Voir toute la pagaille mais aussi toutes les belles choses qu'il accomplirait puis découvrir s'il finirait un jour par rentrer chez lui promettait d'être grisant !

« D'ailleurs tes schémas sont plutôt clairs, on voit bien que tu as bûché le sujet, ajouta l'adolescente. Pensant que des présentation étaient de mises, elle décida d'enchaîner. Je m'appelle Aline ! Je suis en classe E et toi ? »

Attirée par d'autres dessins qu'elle ne pensait pas avoir vu auparavant, la blondinette se saisit d'un croquis représentant plusieurs personnes d'époque habillées de manière très classieuses. Les femmes avaient de jolies robes à la taille haute et étaient munies de magnifiques châles. Ces anciens costumes fascinaient Aline depuis toujours et l'un de ses rêves était d'avoir une tenue semblables. De plus, elle nourrissait secrètement le désir qu'un jour l'Académie organise un bal costumé où les vêtements d'antan étaient de rigueur. Elle aurait alors la chance de pouvoir se prendre pour une grande dame noble.

OH MON DIEU, J'AI ENCORE OUBLIÉ LE DEVOIR D'HISTOIRE !

Tandis que la blondinette était toujours en train d'observer les différents dessins, la brune se présenta. Elle semblait aussi heureuse de montrer ses écrits à quelqu'un, qu'Aline pour avoir été choisie. Il allait falloir prendre ce rôle très au sérieux, car cette écrivaine en herbe avait du potentiel. Son talent était pareil aux pierres que l'experte en lithothérapie trouvait dans les forêts : brut. Ainsi, tels les minéraux, l'adolescente devra s'engager à le façonner et le polir. Fort heureusement, l'Anglaise avait de l'expérience en matière de lecture donc la guider ne serait pas un problème.

Pendant un bref instant, la jeune fille repensa à cette albinos dans sa classe. Celle-ci se trouvait probablement fourrée dans un coin de la bibliothèque. Claire passait tellement de temps ici que ses critiques en matière de rédaction devaient être les meilleures de toute l'académie. Peut-être qu'un jour elle songerait à lui présenter Layra. Pour le moment il était encore bien trop tôt.

Ce n'est que lorsque sa nouvelle amie lui rappela que cela commençait à faire un bout de temps qu'elles étaient ensemble qu'Aline se souvint la raison pour laquelle elle se trouvait ici. Son coeur bondit dans sa poitrine et elle mit les mains sur ses joues avec une expression paniquée.

« C'est vrai, j'ai un devoir à faire pour demain sur la démocratie ! s'exclama-t-elle, puis se rendant compte qu'elle avait élevé un peu trop fort la voix, se reprit. Je dois absolument le terminer avant ce soir. »

En sortant son téléphone dans son sac, la blondinette eut une idée. Après tout, rien ne l'obligeait à s'isoler afin de rédiger sa dissertation.

« Je veux bien ton numéro oui, lança-t-elle avec un grand sourire. Puis... tu penses que je pourrais travailler à côté de toi ? Je ne te dérangerais pas, et si jamais tu as besoin de quelconques conseils, elle écarta les mains, je serais tout près ! »

Il s'agissait aussi là d'un bon moyen de faire doucement connaissance et rompre la glace définitivement. Par ailleurs, un peu de compagnie était la bienvenue pour l'adolescente. De plus, aucun mouvement ne lui serait demandé et par conséquent aucune maladresse ne prendrait place. Fébrile, elle attendit de voir la réaction de Layra.