Il y avait eu du déménagement à leur étage isolé de tous, et Milena avait ressenti une grande satisfaction à l'idée que c'était un peu de son ressort si Cassidy avait du faire un pas de plus vers elle. Elle était allée hanter l'hôpital avec une idée bien précise, et lorsqu'elle était revenue elle avait entre ses mains une petite trousse noire. Milena n'obéissait à aucun schéma, aucun code, elle suivait  un genre d'instinct animal, guidée par sa seule volonté qui semblait indépendante de toute raison. La décence avait oublié de toquer à sa porte, car à la porte de Cassidy elle ne toqua pas ; elle était entrée - et puisqu'elle avait entendu du bruit avant de partir elle était presque déçue de constater qu'il était seul.

« Service infirmerie pour Monsieur Westwood. »

Elle avait fait deux enjambées et elle s'était retrouvée devant lui ; c'était que la pièce n'était pas bien grande, à l'image de sa chambre à elle. Elle avait attrapé son bras et son pouce appuyait avec insistante juste à l'endroit où elle-même avait un pansement.

« Alors j'avais raison en pensant que tu ne serais pas allé à l'hôpital, hm ? Est-ce que ça fait mal ? »

Elle insista, et sa voix se fit sévère, sèche.

« Maintenant tu t'assieds au bord du lit et tu me laisses faire ou je t'ouvre l'autre bras. »

Milena avait fait soigner son bras à elle, mais elle était presque sûre que ce n'était pas ce qu'il entendait lorsqu'il lui disait d'aller se faire soigner. Quoiqu'elle avait l'habitude de ce genre de remarques, elle avait tout de même relevé un sourcil dans sa direction. Elle avait attrapé la chaise en bois des planches miteuses qui lui servaient de bureau et l'avait placée devant le lit où elle lui avait ordonné de s'asseoir.

Milena avait toujours donné des ordres, indépendamment du genre et de l'âge de ses interlocuteurs, et si ils obéissaient c'était rarement par affection ou par loyauté mais bien parce qu'elle s'arrangeait pour qu'ils soient toujours obligés de le faire, comme elle le faisait présentement.

Ainsi elle avait ouvert la trousse et en sortit un papier qu'elle imbiba d'eau d'une bouteille qui s'y trouvait, d'abord pour nettoyer son bras.

« Ne sois pas si ingrat.»

Sa voix s'était adoucie, et ses mains étaient étrangement habiles et précises. C'est que lorsque Milena n'avait pas dans l'idée de lui découper le bras, elle était plus tendre qu'elle en avait l'air.

« J'ai envoyé une lettre à ton père.»

Elle tira doucement le bras de Cassidy vers elle, se penchant sur la trousse pour en sortir cette fois du coton et du désinfectant. Elle ne considéra pas la nécessité de le prévenir que ça allait être douloureux, songeant qu'elle lui avait infligé pire que ça et qu'il pouvait bien endurer un léger picottement. En s'appliquant, Milena avait l'air presque bienveillante.

« Je lui ai dit que je ne me marierai pas avec toi. J'espère que tu es reconnaissant.»

Elle attrapa une pommade, et des compresses stériles, qu'elle appliqua minutieusement, avant de fixer le tout en enroulant son bras dans un bandage léger, et pendant qu'elle faisait le tour avec le rouleau, elle continua de parler.

« Je t'avais dit que j'avais plein de manières de te faire respirer, moi aussi. »

La douceur de l'échange avait un contraste tel avec le précédent qu'il en était presque irréel, suspendu dans un temps qui n'existait pas vraiment. Milena n'avait que peu de réactions faciales ; elle se contentait de lever les yeux pour témoigner qu'elle s'intéressait au monde des autres ou les écarter pour se replonger dans son monde à elle. En relevant les yeux vers Cassidy, elle avait parfois un peu l'impression d'être chez elle.

« Oh, tu sais, moi je suis déjà mariée avec la personne qui m'a mutilé le bras, alors tu n'aurais pas pu être pire. »

Elle pencha la tête légèrement, et en terminant le bandage et l'attachant correctement, elle lâcha sa prise sur le bras de Cassidy, un dernier regard sur son travail ; satisfaite. Elle avait rangé précieusement tous ses effets dans la trousse et l'avait refermée.

« Crois-le ou non ça m'est égal avec qui je me marierai plus tard. Je serai seule avec ou sans homme à mon bras. »

Il n'y avait eu aucune tristesse dans sa voix, car Milena était loin de savoir tous les pleurs qui étaient enfouis en elle-même. Elle s'y était résignée si profondément qu'elle ne ressentait même plus la brûlure de ses plaies.

Son regard échoua sur un vêtement laissé là, au rebord de son lit, et elle papillonna des cils. Elle était presque sûre que Cassidy n'avait pas ce genre de fantasmes, et que par conséquent, le soutien-gorge qui pendait là n'était certainement pas le sien.

« Charmant. »

Elle releva les yeux vers lui.

« On dirait qu'on a pas la même façon de combler la solitude, hm ? »

Oh, Milena n'était pas jalouse. Mais quelque chose d'amer s'était décliné au bord de ses lèvres et dans son regard qui définissait les dentelles du vêtement abandonné. Elle songeait aux souffles et aux fièvres ; Milena n'échangeait les siens qu'avec des corps de passage qu'elle oubliait le lendemain, allait mordre dans la peau et abandonnait derrière elle ce qui restait après.

« Et toi ? »

Elle ricana, légèrement. L'amour, ça se faisait à deux, Cassidy, au cas où tu l'avais oublié.

« J'ai du mal à imaginer que toutes ces filles te forcent à le faire. Donc c'est que tu les désires, toi aussi. »

Elle se leva, lui tourna le dos pour aller à son bureau (ça ne la faisait pas aller bien loin vu la superficie de la pièce) où elle déposa la trousse de soins pour y mettre de l'ordre.

« Ou suis-je la seule fille de cette académie contre laquelle tu résistes ? »

Elle hocha la tête.

« Cela me convient. »

Jusqu'à présent du moins.

Milena était restée silencieuse un instant, décortiquant les mots que Cassidy lui offrait, un peu circonspecte, curieuse comme l'animal qui découvrait pour la première fois. Parfois sur son visage d'habitude imperturbable, elle levait un sourcil ou laissait des lumières s'allumer au fond de ses yeux morts.

« Jalouse ? Dois-je supposer qu'il existe une compétition entre moi et d'autres ? Pour gagner quoi ? »

Milena ne connaissait pas l'exclusivité, car elle ignorait l'attachement. Les notions de fidélité elle ne les connaissait que par les serviteurs qui lui devaient loyauté - c'était pactiser avec l'ennemi qui était interdit, pas partager son lit.

« J'ai cru comprendre que ton cœur n'était pas sur le marché, quant à ton corps, je l'ai déjà un peu signé. »

Elle était sûrement la seule à trouver ça drôle.
Elle se para d'un sourire.

« Mais si tu insistes, Cassidy. »

Elle se retourna vers lui (puisqu'elle était face au bureau jusque là) les mains appuyées sur son bureau où elle laissait son poids se poser en arrière. Sa voix s'était faite fièvre.

« S'il te plaît, fais-moi vivre encore une fois. »

La brûlure fut immédiate, et lui arracha un plissement d'yeux ; un mouvement peut-être anodin mais grandement significatif pour Milena qui n'était animée que de peu de réactions. Le mot chienne avait fait grogner son orgueil - et comme ce dernier n'avait pas souvent droit de vote dans ses décisions, à Milena, elle s'était laissée faire. Elle se fichait bien ; d'être une chienne ou une reine ; elle se fichait bien d'être sur un trône ou dans des guenilles ; elle expérimentait - explorait chaque sensation sans s'encombrer d'aucune gêne.

Alors des mains qui parcouraient sa peau à leurs souffles emmêlés, à la brûlure qui parfois disparaissait (transmise à Cassidy) et parfois lui arrachait des râles (abandonnée à sa propre douleur), elle attrapait chaque picotement, chaque tremblement, elle les gardait contre elle et s'y accrochait de toutes ses forces.

Milena voulait ressentir ;
encore, encore, encore

« Encore »

Au bord des lèvres, dans la fièvre de son souffle.
Les brûlures, les griffes sur la peau, les deux jambes qui rapprochent ses hanches des siennes.
Elle s'accrocha à chaque rire, chaque euphorie, qui montait à ses joues et descendait entre ses cuisses. Chaque souffle lui demandait de ne pas arrêter, le rappelait à l'ordre et dans ses yeux son autorité ne disait ni assis ou couché.

Sur le bureau, et contre le mur ;
Sous la jupe et les vêtements à peine retirés ;
Milena dans l'empressement - son impatience.

Puis quand le cœur ne bat plus tant, Milena est debout, les jambes un peu lâches mais toujours fières, le dos contre le mur et la tête penchée, deux mains encore tièdes qui repoussent l'autre corps lentement.
A l'écume de leur échange, Milena le regard vague glisse au sol pour retrouver ses dessous, qu'elle attrape en se penchant en avant, dans une flemme qui a pris tous ses muscles. En se redressant elle a regardé Cassidy qui s'était éloigné.

« Ne dis rien. »

Elle a fermé les yeux elle a traqué les sensations en elle.
Elle espère que son cœur bat plus fort qu'hier.
Mais Milena semble amère.
En relevant ses paupières elle l'a toisé froidement.

« Je reviendrai demain. »

Elle a refermé les boutons de sa chemise, reformé les plis de sa jupe.
Est repartie comme elle était entrée, sans prévenir et sans s'encombrer de quelconque formalité.