Premier samedi du mois.
Un long et ennuyeux week-end qui l'attend. Elle le sait, elle a l'habitude, elle s'y est fait. Noir n'est pas là. Il est parti se balader, qu'il a dit. En fait, Noir est juste un petit peu lâche. Il n'aime pas la voir dans cet état, alors plutôt que d'affronter la réalité il s'en va. Il fuit.
Rouge aussi fuit.
C'est pour ça que ça ne la dérange pas que Noir ne soit pas là. Son absence ne lui fait pas mal, ne la rend pas triste, ne lui arrache ni larme ni soupir.
Le premier samedi du mois n'existe pas.
Pas dans ce monde, pas dans cette réalité. Elle est coupée de tout, des activités, de ses amis, du contact. Les seuls visages qu'elle croise sont veux des médecins, des infirmiers, du personnel de l'hôpital. Des gens qu'elle ne voit en temps normal jamais.
Le premier samedi du mois est à part.
Elle n'est plus vraiment Rouge, elle devient plutôt rose pâle, voir blanc cadavérique. Mais c'est le premier samedi du mois, donc elle a le droit. Elle peut se le permettre. Devant ses amis, elle ne pourrait pas bien sûr, ils s'inquiéteraient trop.
Après tout, Rouge, c'est cette pile survoltée souriante, rieuse et stupide, pas cette pauvre et pitoyable jeune fille malade dont l'alice suce l'énergie vitale.
Donc tant mieux si tout est différent de d'habitude. Ça lui permet d'alourdir sa peine, de détacher cette journée, ce week-end, ce début de mois du reste de sa vie. Comme une parenthèse, quelques jours en vacances. Personne ne sait et personne ne doit savoir. Elle disparaît, tel un fantôme, de la vie de ceux qui la côtoie.
Pour l'instant tout va bien, elle est un très bon fantôme.
Peut-être aussi parce qu'elle a un très bon exemple.
S'essayant à ne pas cracher du sang durant sa toux, elle entend, elle capte entre deux étranglements des pas dans le couloir. Pas les pas d'un médecin, pas les pas d'un infirmier, pas les pas d'un membre du personnel. Des pas pressés et inquiets.
Il est là trois minutes plus tôt que d'habitude.
« ▬ Salut crevette. »
Leurs regards se croisent directement et voilà que sa peine s'allège.
La seule bouffée d'oxygène qui ne passe pas par un tube que Dieu lui autorise durant cette épreuve. Quand il l'appelle crevette, elle s'offusque, fronce un sourcil empreint de jugement. Elle déteste ce surnom, elle lui donne l'impression d'être faible.
Elle déteste être faible.
Puis s'enchaîne sous ses yeux cernés la même et habituelle valse : il s'empare de la chaise et vient la placer à la droite du lit, ni trop loin ni trop prêt, pour respecter sa bulle. Il pose sur la table un sachet plastique empli de victuailles, principalement des fruits de saison. Les pommes sont à l'honneur en ce début d'automne, mais elle n'aurait pas dit non à des marrons glacés.
« Trop sucré. », répètent les médecins.
Gentiment, silencieusement, il épluche les pommes et les coupe. Machinalement, elle avale chaque quartier qui se présente à elle.
« ▬ Et ta journée. »
demande-t-il tout aussi machinalement.
« ▬ Chiante. Mais rien d'alarmant pour le moment. J'ai eu une petite anémie à cause de la préparation du festival, c'est tout. »
elle répond entre deux morceaux de pommes, la bouche à moitié pleine.
« ▬ Un vrai morceau de sucre. »
« ▬ Je t'emmerde. »
« ▬ Pourquoi tu te fais chier avec ce festival ? Profite-en pour te reposer nan ? »
« ▬ Pas le temps de me reposer ! Qui sait si c'est pas mon dernier festival. »
argumente-t-elle en riant.
Puis le rire se transforme en moue.
Qui sait si ce n'est pas son dernier festival.
« halloween »