on n'a pas idée d'ainsi suivre les gens —
mais si on te demande, tu ne suivais pas du tout tu attendais quelque chose un rien pour animer ta journée qui, démarrant du mauvais pied, promettait d'être une de celles qui t'ennuie comme rarement il en arrive
depuis qu'il est ici.

pour ta défense, également, il n'a rien de plus spectaculaire qu'un Collins et il n'a pas le fameux lien comme un certain brun — tu n'as donc pas de raison de le suivre à travers les couloirs
cependant
il y a chez Monsieur Carrington un quelque chose de subtil qui attire ton regard et ce depuis son arrivée.
et, comme à tes (mauvaise, tu le concèdes) habitudes, Siobhan, tout chose qui pique ton intérêt se voit avec ou sans consentement sollicité ;
— Monsieur Carrington, vous ici !
une surprise, vraiment, alors que tu souris jusqu'aux oreilles — ce n'est pas comme si le lieu était à l'abri de tous les regards indésirables et certainement introuvable à moins
d'avoir suivi le pauvre professeur, certes, tu as peut-être vu au loin sa tignasse ébouriffée ses épaules carrés et tu n'as peut-être pas réfléchi plus que ça en t'élançant sur ses pas ;
— Vous permettez ? Merci !
(à bout de souffles car lui grandes enjambées et toi
petites foulées
de peur également que si tu cesses de parler
en deux mots il te chasse de son havre de paix)
— Je sens qu'aujourd'hui, vous êtes d'humeur à enfin répondre à mes questions, et me dire si oui ou non, les pauvres demoiselles de l'académie peuvent espérer partager votre vie. Ou votre lit. Selon affinités.
et tu t'allonges sans gêne sur l'herbe à côté de lui — observant sa silhouette de profil, émerveillée.

et le sourire qui s'étire toujours plus grand à tes lèvres — il ne te chasse pas, aujourd'hui, répond même à tes pitreries et tu décides que ce jour qui avait commencé gris finira parfait cette fois-ci ;
— Arrêtez, je vais rougir...
dit sur le ton de l'espièglerie car nul doute que d'autres — Noah, tu le sais — réagiraient moins bien à tes tendances excessives de considérer tes interlocuteurs comme réceptacle de tes lubies.

et
soudain
mise en arrêt — pause — vingt secondes de silence étaient terribles mais ces quelques secondes
de sourire
et ton coeur tambourine comme un coeur épris — c'est déloyal, scandaleux de sa part d'oser sourire ainsi lorsque ta caméra n'est pas sorti : le bénéfice que tu aurais pu tirer de cette image t'aurait assuré des années de confort après l'académie — et après le choc vient
l'étrange fierté d'avoir eu cette opportunité ; Siobhan, seul avec monsieur Carrington dans son coin secret.
— Et donc, je suis idéalement celle qui portera bientôt votre nom. Ca fait plus de quatre mois que je vous har- approche, j'ose espérer que vous avez succombé à mes charmes depuis.
ventre sur l'herbe, tu redresses le haut du torse à l'aide de tes bras pour mieux le toiser — exaltée à l'idée de voir d'autres expressions encore sur ses traits car, maintenant dans la confidence qu'il peut te sourire et si joliment,
c'est sans surprise que toi, Siobhan la cupide, en désire toujours plus plus souvent.

— Siobhan, de son prénom.
l'air ravi de tes conneries.

ça semble si léger et tu espères qu’il te laisse encore un peu rêver ; c’est qu’autour de vous tout le monde s’agite et s’indigne, de bien des choses il paraît mais tu as essayé – essayes de ne pas être concernée ;
car rien n’est parfait ici, si ce n’est cet instant avec lui.
— Ca tombe bien, j’ai toute la vie devant moi.
(et ces mots
tu aimerais qu’il y croit)

puis, ça s’effrite lentement –
monsieur Carrington, cinglant, ne badine pas avec l’amour  et quelle tristesse vraiment – pour te ramener à la réalité, c’est le nom de « Tremblay » qu’il choisit de prononcer ;
tu n’as
pas choisi le fil entre vous – tu n’as
pas choisi le cœur qui s’affole également pour lui, ton cœur vierge de toutes relations en attendant le bon alors que le cœur du brun a déjà été conquis par le passé –
tu n’as pas choisi
le souffle coupé lorsque Monsieur Carrigton parle de lui et – la fierté, toujours déplacée, qu’un instant un seul, bref instant il connait ce nom car lui aussi t’a observé
tu choisis, toutefois, de ne pas te défaire de ton sourire et, ses prunelles dans les tiennes, lui offrir :
— Quel dommage ! J’ai déjà envoyé tous les faire-part aux noms de James Aedan et Siobhan Carrington et, comme ce n’est pas remboursé, je n’ai pas assez pour les changer.
pas assez d’un cœur pour savoir lequel aimer –
tu te l’étais dit, en arrivant ici, l’amour, on le laisse aux autres – toi, Siobhan, c’est avec désinvolture que tu abordes le sujet ;
pour ne jamais tomber, comme tes parents l’ont fait
(alors que fais-tu ici
à laisser tes sentiments papillonner)

— Mais on progresse, vous avez retenu mon nom ! Maintenant, si en plus, vous vouliez bien répondre à la question… Mes clientes peuvent-elles espérer passer la nuit avec vous ?
(et moi ma vie
avec vous)

rien n’y fait
on chavire au rythme de ses envies les plaisanteries qui tournent aux avertissements tu te laisses
e m p o r t e r
James mène la danse et tu n’y es pas habituée – tu découvres apprécier les discussions où l’adulte se faufile plus habilement que tu ne le ferais, probablement les années d’expérience en plus
(que tu aimerais oublier)
– Bien que la perspective d’avoir un tête à tête avec Monsieur Collins m’enchante, je m’en passerai, merci.
cette lubie qu’il a de prononcer d’autres noms que le sien avec toi –
alors que le souci, au final, c’est surtout lui ; cette facilité à séduire, dans sa posture qui se veut nonchalante mais qui te fait détourner le regard un instant, et ses yeux –
(que tu imagines à peine dans tes rêves d’insomnie
sont posés sur toi aujourd’hui)

et, comme à la fin de chaque songe, le réveil est brutal – la gorge qui s’assèche car les mots y descendent mal;
– Je reconnais que ce n’était pas réglo de ma part. Arrêtons les plaisanteries, alors, mais voulez-vous vraiment m’envoyer en cours ? N’êtes-vous pas curieux de ce que j’ai pu apprendre de plus sur vous ?

ton défaut qui revient plus fort que jamais – ce besoin, viscéral, de provoquer ;
en contraste parfait avec le mode de vie que tu prêches pourtant, une vie sans soucis loin des ennuis mais tu
t’y jettes les pieds devant parce que c’est agacé que les gens livrent
leurs meilleurs secrets ; parce qu’à porte fermée après avoir tant toqué, la seule solution est

– Nous pourrions, par exemple, parler de la rébellion qui se profile.
de l’enfoncer.

si la gorge s’était asséchée, le corps est à présent paralysé – la plaisanterie est finie et tant pis, elle reviendra un autre jour qui sait, à le huer sans relâche dans les couloirs, tu es persuadé qu’il finira par céder
(ou que tu finiras par te lasser
mais maintenant dix ans que tu boudes des parents
tu pars difficilement perdante)
– Très tenace, il faut au moins ça pour être responsable du club de journalisme.
et pour ne pas courber l’échine quand il se redresse de toute sa taille – ça te donne le vertige et une sensation étrange aussi, de te dire que maintenant qu’il se dresse il ne s’agissait plus de Siobhan et James mais bien d’une élève face au chef de la section NOVA.
téméraire toutefois, tu prends ton temps, délicieusement, pour te redresser et épousseter ton uniforme, le toisant de ton maigre mètre cinquante-sept – et dorénavant plus une once d’amusement ni de pitié – ou quoique c’eut été – à ses prunelles azurées, Monsieur Carrigton a non seulement fermé la porte mais l’a également cadenassée ;

soit.
– Pour ma défense, je suis piètre menteuse, je ne vous mens jamais. J’exagère seulement le trait.
quelques secondes à gagner car tu vas devoir aborder ce sujet qui ne te plait guère –
tu aurais préféré rester dans la légèreté de tes tentatives d’approches grossières, pourvu que ça lui arrache un sourire ;
– Je me renseigne auprès de la meilleure source possible pour ce qui arrive, la scission au sein de l’académie.
et tu fronces les sourcils à ton tour, te dérobant à son regard parce qu’en réalité, tu n’avais aucune intention d’aborder le sujet mais pied les premiers dans la provocation, c’est sans surprise que tu te manges le retour de bâton, et contrariée que l’instant n'ait pas plus duré.
– Et autant je me fais une vague idée de la position de beaucoup, autant je n’ai pas la moindre idée de si vous êtes simplement du côté des NOVA.
si l’académie représente un combat qu’il mènera, alors qu’il est ici depuis seulement trois mois – et qu’à ses bras, tu ne vois pas un élève qu’il protégera.