ça se rejoue en boucle coloriant tes joues de rouge cramoisi – James qui s'affaisse tout juste pour venir murmurer à tes oreilles, elles seules gardiennes des secrets qu'il va te livrer, si proche que tu as vu les longs cils lentement se replier et la commissure de ses lèvres s'étirer en un sourire
amusé –

quel
goujat
car il ne doute certainement pas de l'impact qu'il peut avoir sur toi
(et tu viens à en douter
d'un jour avoir ce même impact sur lui)
mais dans sa victoire trop hâtive tu as entendu le bruit, faible, du froissement de l'herbe et ce n'est qu'une fois sa silhouette disparue loin que tu t'es penché et as remarqué le zippo, ce même zippo avec lequel il allumait – scandaleusement fascinant – les clopes cet après-midi.

tu aurais pu lui courir après ;
puis tu t'es rappelé que le sport n'a jamais été ton fort –
peut-être aussi que c'était une excuse toute faite pour aller quérir sa compagnie – James redevable, qui sait, si ce n'est pas circonspect que tu sois – évidemment – celle ayant récupéré le pauvre briquet,
coincidence vraiment, pour une fois pour la première fois

---

tu attends un jour, puis deux, guettant le froncement de sourcils progressif alors qu'il cherche probablement l'arme du crime –
puis, fin de journée, entre deux cours qui importent peu à ton parcours, tu te faufiles dans la zone du personnel ; une pensée pour cette période lointaine où tu aurais tout fait pour croiser Collins – quitte à soudoyer un pion le code d'entrée de ses quartiers – et qui aujourd'hui te rend service pour tourmenter pauvre Monsieur Carrington.
tu toques d'abord à la porte avant de te faufiler sans attendre de réponse et
c'est un mélange curieux de soulagement et de nervosité qui vient te cueillir lorsque sa silhouette se dessine, l'odeur du tabac froid qui vient chatouiller tes narines ;

– Bonjour, c'est encore moi. J'ai une surprise pour vous, mais ce serait plus drôle que vous deviniez, non ? Vous avez trois chances, si vous perdez, vous réalisez un de mes souhaits. Sinon, c'est moi.
et tu souris, Siobhan
comme toujours avec lui.

tu arques un sourcil surprise – noter cette information pour plus tard
(pour
quoi
au juste tu ne sais pas mais sait-on jamais
le destin a ce don particulier d'aller à l'encontre de toutes prévisions)

– Vil flatteur.
mais ça tique à l'égo, rien que pour la blague, tu aurais dû ramener un papier à lui faire signer – cet adulte trop sûr de lui trop sûr de ne jamais succomber tu
t'estimes étonnement capable, avec un peu d'acharnement, d'un jour le faire ployer et peut-être que ce sera lui, alors, qui viendra te courir après – sait-on jamais
insconciente un jour, inconsciente toujours
c'est que ça crie partout autour alors ici au moins tu ramèneras sans faute ta légèreté et tes gamineries
avant qu'on ne vous jette en pâture dans un conflit que tu n'as pas envie de mener ;

– Une déclaration d'amour ne serait pas une surprise, j'en serais à la, quoi, quarante-troisième depuis votre arrivée ? Perdu. Un contrat, tentant, mais j'attendrais que vous soyez celui qui le propose. Perdu. Des informations, ça, j'ai, mais pas pour vos oreilles. Perdu.
et tu t'approches, fanfaronne – observer ses traits courroucés de plus près – avant de constater que même la colère lui sied ;

– Pourquoi me laisser gagner, si vous saviez ce que j'allais demander ? Vous n'avez rien l'intention de confesser aujourd'hui non plus, c'est ça ?
tes yeux viennent distraitement se perdre sur ses doigts, un soulagement qui détend ton visage en un sourire ravi lorsque tu vois son fil pendre encore dans le vide.
– Et si je demande un baiser, Monsieur Carrigton, ça, vous accepteriez de me l'accorder ?
et tu fouilles dans tes poches, brandissant le zippo avec fierté – à quelques mètres de lui, par respect pour tes yeux baladeurs qui iraient sinon se perdre sur ses papiers
(viens le
me chercher)

une seconde – que tu commençais à trop compter depuis que tu avais jeté ton dévolu sur lui – où les mains se frôlent et la plaisanterie semble soudainement très sérieuse pour tes sentiments volages, Siobhan ;
c'est qu'il n'a rien d'un professeur pour toi et même son air sévère alors qu'il ferme les bras – ferme la porte encore une fois – ne te dissuade pas de poursuivre cette mascarade où tu te fais la plus insolente qui soit
plus insolente que tu ne l'es avec la majorité mais c'est si tentant de voir jusqu'où tu peux le pousser.

– Ouh, quelle froideur. Et moi qui venais si gentiment vous le ramener.
et à défaut de pouvoir soutenir son regard, tu t'aventures dans la pièce en tripotant chaque livre dont la bordure dépasse de l'étagère ; tu ne reconnais aucun des titres mais tu pourras toujours faire l'effort de les lire pour en discuter avec lui.
– Qu'ai-je entendu que vous ne savez pas déjà, c'est ça la question...
et tes doigts qui glissent le long du bois, regard perdu sur le parquet car c'est
la vérité ;
que peux-tu bien savoir que le chef de la section NOVA ne sait pas, que peut-on lui avoir caché que tes oreilles indiscrètes ont, elles, réussi à glaner ?

– Je sais... que ça doit vous déchirer le cœur de savoir que certains de vos poulains ne vont pas rester fidèles à l'académie.
à ce moment précis,
tu tournes la tête vers lui pour y guetter la moindre réaction – car voilà, à toi, ta question : Monsieur Carrington est-il attaché aux gens qu'il a formé ici, ou bien un simple spectateur qui attend quelque chose
mais quoi
et pour qui ?
– Je sais aussi –
(qu'il n'existe pas
qu'une seule sortie
que la rébellion portera bientôt un prénom
qu'on a pas envie de se battre pour l'académie
et certainement que

lui aussi
ne se battra pas pour elle)
– Non, c'est à peu près tout, par rapport à ce que vous savez sûrement déjà. Je ne mérite toujours pas de récompense ?

Les colères, tu les connais, le visage qui se tord d’irritation à ton arrivée – celui des gens sans consentement sollicités et ceux dont la vie amoureuse tu as ruinée –
tout cela
toujours
toujours dans la légèreté car c’est ainsi que tu entends mener ta vie ; loin des soucis si ce n’est ceux que tu contrôles, loin des ennemis si ce n’est d’anodines querelles qu’une simple discussion peut résoudre,
loin des sentiments que tu ressens trop violemment ;
alors lorsque monsieur Carrington tape non pas une mais deux fois aux endroits du cœur que tu gardes habituellement pour toi, c’est les mains qui se crispent et le visage qui se referme –
▬ O-ok.
pas qu’on ne te remette jamais à ta place mais venant de lui il y a cette boule de frustration qui remonte ta gorge et – ça t’impacte plus que tu ne l’aimerais –
▬ Ce n’est pas parce que j’en plaisante que ça ne m’importe pas.
ce n’est pas parce que tu rigoles, aujourd’hui, que tu oublies les élèves qui vont se déchirer et les sombres secrets qui croupissent dans les murs – les enfants sacrifiés, les rebelles en martyr et toute cette réalité

tu en ris, parce que tu es effrayée.
▬ Mais je suis censée faire quoi ? Ca doit être facile pour vous, vous en avez rien à foutre de ce qui se passe ici, l’académie, c’est rien à vos yeux alors que –
ça glisse de tes lèvres avec une note de désespoir que tu n’as pas su retenir ;
▬  Moi c’est pratiquement toute ma vie. Et je peux pas faire comme vous, prétendre ne pas avoir d’émotions.
derrière les pitreries et la légèreté – derrière la Siobhan qui semble si bien se maîtriser ;
il y a celle qui se lamente de voir son foyer partir en fumée – celle qui
ne sait tout simplement pas comment l’exprimer.  

Si près et pourtant si loin – des gestes qu’il calcule parfaitement, le doigt qui effleure à peine, à peine assez – tu en redemanderais, à te briser et que ce soit lui qui vienne ramasser les morceaux ; fantasme d’adolescente à ses yeux mais sentiments naissant chez toi, tu
attrapes un pan de sa veste et tant pis s’il te rejette, il est ta seule ancre aujourd’hui – le seul à connaître la Siobhan effrayée par le conflit ;
▬ Qu’est-ce qu’on peut y faire ?
te reprends dans tes mots –
▬ Qu’est-ce que je peux y faire ?
car certainement que monsieur Carrington a bien des choses à faire, un rôle à jouer – secret, que tu n’as pas su déterrer – et, adulte, lui changera quelque chose. mais toi, et ça te blesse presque de l’admettre, tu n’es que simple élève face au conflit qui se profile.
et dans ses yeux, tu cherches la réponse ou la preuve au moins qu’il est sincère – enfin entrevoir l’homme derrière la carapace, qui a su aimer l’académie et comprendre – comprendre ce qui l’a fait devenir si cynique aujourd’hui ;

▬ Peut-être que je ne devrais pas en rire mais il ne me reste que ça.
il ne te reste que ça, l’humour face à la gravité bien décidée à te remettre en place ; plus bas que sol et derrière les sourires arrogants, la réalité que tu es à peine plus qu’une enfant – à ses yeux peut-être seulement mais c’est suffisant pour te sentir gamine dans un monde trop grand.
(et si
si tu étais née avant
peut-être que c'est main dans la main que tu aurais pu l'aider à protéger
l'académie que vous aimez – malgré vous – tant)

et quelle t o r t u r e que les gestes échappant à la raison, ceux qui font rater à ton coeur des battements, lorsque monsieur Carrington – l'homme – caresse presque tendrement ta chevelure et
l'espace de cet instant
il n'est plus de craintes pour l'académie et le conflit, il est la peur qu'il la retire vite, trop vite – que cet instant soit simple dérapage et non confession silencieuse que, quelque part, derrière le professeur, la froideur, la porte cadenassée de son coeur,

James Carrington voit la femme et non l'élève à consoler.  

avec lui, tu apprends à compter – les secondes, où sa main t'effleure et les sentiments s'emballent – ces brèves secondes qui ne durent jamais assez. yeux posés sur sa silhouette, tu le regardes – boum le coeur qui ne cesse de chavirer – s'asseoir à son bureau et tu remarques à peine le silence pesant – boum étouffé par les battements qui ne cessent de secouer ta poitrine ;
un souffle – tu replaces une mèche de cheveux derrière ton oreille, revenir à la jeune fille venue emmerder son professeur préféré et
monsieur Carrington te mâche le travail, à de nouveau te provoquer :
— Allons, que feriez-vous sans moi pour égayer vos journées, Monsieur Carrington ?
tu t'approches, lentement, et viens poser tes fesses sur le bureau – audacieuse toujours et surtout de nouveau, car cela te sied mieux que l'angoisse ;
— D'autant que j'ai maintenant du matériel pour vous faire chanter. Le respectable chef de la section NOVA, poser la main sur une élève ? Scandaleux.
grand sourire mais la victoire – tout aussi maigre qu'elle soit – est bien là ;
puis tu te reprends, traçant les lignes du bois du bout des doigts, tu
murmures tout bas :

— Merci. Je tâcherai de vous protéger au mieux du haut de mon mètre cinquante-sept.
(confession
silencieuse
que tu n'es pas née à temps
mais que tu n'abandonnes pas pour autant)

dans quel sens – tous
tous les sens qui s'emmêlent l'odorat la vue l'ouïe mais aussi la droite lorsqu'il se lève de son bureau et tu guettes ses gestes puis la gauche lorsqu'il te contourne et te réprimande – l'odorat encore, son eau de cologne qui se répand à chaque mouvement de bras aucun sens ne va depuis qu'il est – là
surtout le bon sens qui te dit de l'écouter, le laisser respirer loin de tes pitreries – tu devrais sortir, Siobhan,
tu devrais sortir.

sauf que c'est incontrôlable, ce désir, être femme dans ses bras ;
— Je ne vois pas d'autres sièges et je n'allais pas m'asseoir sur vos genoux. Ca, c'aurait été du harcèlement sexuel.
ignorant sciemment les menaces – pas par inconscience, d'autres jours tu aurais opéré un repli stratégique par respect pour son autorité, aujourd'hui toutefois
aujourd'hui, James semble plus présent que le chef de la section NOVA
et tu serais damnée de ne pas en profiter – quitte à te faire détester, mieux vaut ça que les regrets.
— Vous ne m'avez même pas remercié pour le briquet. J'irais en cours après ça, promis.
et
les sens enivrés par cette étrange pudeur qui exsude de lui
tu
— Je vais finir par croire que c'est vous, qui avez peur de moi.
tentes le diable – sourire aux lèvres mais le coeur qui palpite, beaucoup ; intoxiquée de ce jeu de séduction où, à chaque fois que tu crois toutes ses portes fermées,
pauvre monsieur Carrington, malgré lui,
t'en ouvres une pour t'y engouffrer.

toujours t o u j o u r s ce contrôle appliqué, chaque seconde respectée – si monsieur Carrington est touché – oserais-tu le penser, attiré – nul se peut s'en douter.
pendant que toi, toi Siobhan, c'est le souffle qui s'accélère et le coeur qui menace de fuir ta poitrine lorsqu'il
pose ses mains pour mieux t'encercler – un rire, bref, nerveux, coincé dans la gorge qui se mute finalement en sourire espiègle –

mieux vaut ça que des regrets
la minute ignoblement longue qui suit, tu t'en souviendras toute ta vie – tu en rêveras et peut-être que tu t'en voudras, que tu te demanderas ce qui t'a pris à ce moment-là
ou
tu remercieras le peu de courage qui a subsisté face à la voix intimidante du monsieur Carrigton – tremblante, tu réaliseras plus tard – lorsque tu déposes
tes lèvres sur les siennes
et le temps se fige alors. plus de secondes de minutes il n'est que l'instant où tu cèdes enfin à la tentation qui te ronge depuis des mois maintenant – certainement que sa colère sera terrible mais

plus tard.

plus tard, pourvu qu'il te laisse ce moment d'indulgence – plus tard, tu écouteras ce qu'il veut te reprocher, ton inconscience, ton immaturité – quoiqu'il trouve à dire ;
car à présent, c'est Siobhan qui vole un baiser –

en priant de tout coeur que ce ne soit pas le dernier.
(lèvres tremblantes sur les siennes
le coeur exalté
c'est qu'on s'y surprend, tu sais
à rêver)

—Même pas peur.

(terriblement, en réalité
de savoir où cela va la mener)