Tu ne sais pas comment ça a commencé. Tu ne sais pas quand ça a commencé.

Peut être parce que ça a toujours été là. Sûrement.

La violence. Les coups. Le mépris.

Père est brésilien. Il a fait fortune dans le trafic de drogue en Amérique latine et s'est envolé vers l'Europe. Maintenant, il supervise l'arrivée de toutes ces substances illicites sur le vieux continent.

Père est un tueur. Père est un tortionnaire. Père est un salaud.

Il a épousé une femme en arrivant. Une anglaise pure souche, hautaine et méprisante. Une branche oubliée de la famille Cavendish, elle n'avait que son nom à donner. Mariage d’intérêt, elle voulait l’argent, il voulait la noblesse. Cette femme n’est pas ta mère.

Mère est indienne. Elle était bonne au service des Cavendish. Elle était belle, suppose-tu. Assez pour que père la harcèle jusqu’à ce qu’elle cède. C’est ce que tu te dis. Tu n’imagines pas qu’on puisse se donner à un être aussi vile. Elle est tombée enceinte dans l’indifférence et quand tu es né, elle t’a présenté à ton géniteur. Tu ne sais pas ce qu’elle ressentait à ce moment. Tu ne sais même pas pourquoi Père l’a renvoyé et t’a gardé toi. L’a-t-il vraiment renvoyée et pas éliminée pour garder ses secrets ? Tu ne te poses pas la question, tu ne veux pas de cette réponse.

Tu as été élevé entre mépris et violence. Haï par ta belle-mère, détesté par ton père. Tu as passé ton enfance entre ta chambre - grande, trop grande - et des réceptions où l’on t’exposait comme un fils modèle. Les Cavendish cachaient le déshonneur d’héberger un bâtard en parlant d’adoption, un sourire mondain et poli aux lèvres.

Tu n’as jamais su sur quel pied danser. La journée, il te frappait, elle le laissait faire, le soir, ils te serraient dans leur bras en te félicitant. La journée, tu ne valais rien, tu n’étais qu’un déchet, le soir, tu étais ce fils prodige qu’on encensait.

Tu cherchais à devenir ce qu’il voulait, désespérément. Tu t’arrachais à la tâche, suivant les cours interminables qu’il te collait. Encore aujourd’hui, tu as choisi ta filière - inconsciemment - pour lui plaire et tu trimes, pour qu’il soit fier. Parce qu’au fond, tu rêves encore d’un père.

Pourtant, ça ne suffit pas. Et ça empire. Parfois, quand il boit, il déchire tes vêtements. Tu vois du coin de l’oeil la porte se refermer. C’est Belle-mère qui sort. Il s’est toujours arrêté avant. Retenu par on ne sait quel éclat de bonne conscience.

Un jour, tu fais tomber un verre, un vase, tu te cognes, tu ne sais pas. Il n’y a rien à savoir. Juste qu’il est entré dans une rage folle - aidée par la poudre affleurant ses narines - et s’est jeté sur toi. Tu t’es débattu, tellement débattu que t’en as arraché sa chemise. Les mains sur son torse pour le repousser. Un instant. Qui change tout.

Un bref éclair, et … étrange flottement. Pourquoi sent-il des chaussures alors qu’il est pieds nus ? Pourquoi le visage de Père se tord-il de douleur alors qu’il n’a pas mal ? Il s’énerve de plus belle agacé, refusant de remarquer que quelque chose cloche. Il lance son poing contre ta joue - une première, habituellement, il évite les marques. Ta lèvre se fend sous le coup, tu cries. Il recule en rageant, te laisses t’effondrer sur le sol alors qu’il tient sa bouche. Elle saigne et tu distingues, comme en miroir, une entaille si semblable à la tienne. Un bleu sur sa pommette, pareil à celui qui apparaît sur ta peau.

L’incompréhension est totale. Tu es enfermé dans ta chambre pendant de longues heures avant qu’on te traîne sans explications jusqu’à ceux que tu connais maintenant comme les hommes de l’académie. Pas un regard, pas un au revoir. Tu pars, mais tu sais, tu sens l’ombre de Père dans ton dos. Tu sais ses hommes partout, alors tu te tais. Tu ne diras jamais rien sur ses affaires. La peur te tiendra à la gorge pour toujours.

Tu arrives là-bas brisé, terrorisé et tu mettras un an à devenir le soleil que l’on connaît aujourd’hui. Mais les plaies restent béantes mais pour rien au monde tu les laisseras voir. Un an c’est court. Tu as simplement trouvé un masque facile à porter. Tu se consume de l’intérieur mais au moins, tu brilles, tu es libre. Maintenant tu es fort - enfin tu essayes.

Prends ton envol.

Dante soleil noir.