La porte se referme, avalant avec elle le brouhaha de tes deux amis, faisant retomber doucement l'agitation. Tu savoures le calme revenu ; même si tu sais apprécier la présence des autres, tu as aussi besoin de quiétude après avoir tourbillonné dans le chaos des fêtes, des inconnus et de l'alcool ; on a envie de se dérober quelque part, dans le silence des cœurs fatigués, pour se reposer un peu et reprendre pied, pour mieux se relever
(ne pas se laisser couler)

Tu tires la langue à ton camarade, après avoir bu une gorgée de bière - la boisson amère descend le long de ta gorge, réchauffe ton corps légèrement refroidi par l'air glacial de la nuit. Tu t'écartes de la fenêtre en frissonnant et ta bouche vient esquisser un léger sourire.


Tu vas t'asseoir volontiers près de lui sur le lit, ta bouteille déjà entamée à la main
- parce que la soirée n'est pas encore finie
(elle vient tout juste de commencer).

Soupirant en pensant au temps que tu vas perdre à te décider, tu saisis la télécommande entre ses mains et tu regardes passer toutes sortes de programmes - sans vraiment réussir à trouver quoi que ce soit.


C'est que t'en as connu des soirées gâchées par le manque de motivation - on fait défiler les films, encore et encore, jusqu'à ce que quelqu'un fasse un caprice et qu'on se rende compte que trop de choix, tue le choix.

Après avoir sélectionné le film en question - tu as déjà oublié le titre -, tu laisses ton regard se balader sur la pièce quasiment plongée dans le noir.

Tes yeux écarlates scrutent l'endroit spacieux, la porte de la salle de bain, le parquet ciré, les murs vernis. Tout ça déborde d'un luxe dans lequel tu ne te permettras jamais de baigner ; et même si tu te dis parfois qu'avoir un rang plus élevé a bien des avantages, la différence de traitement entre les rangs te paraît d'autant plus révoltante, et le coût pour obtenir tous ces privilèges est bien trop élevé.


S'installant plus confortablement sur son lit, tu ne fais pas attention à tes faits et gestes - les corps qui se frôlent un peu, tu lui jettes un œil et lui donnes un coup de coude en rigolant.


Mason n'a jamais vraiment bien tenu l'alcool
- ou peut-être as-tu cette impression parce que toi, tu peux enchaîner les soirées toute la nuit sans flancher.

Tu lui lâches un sourire amusé, sans te douter le moins du monde que le cœur de ton ami pourrait s'emballer à tes côtés.

Il se relève et retire son t-shirt avec peine. Embarrassés de le voir se dévêtir, les yeux ne savent plus où se poser, ils regrettent de fuir ce corps bien bâti mais ont honte de se laisser tenter ainsi.

Une légère pression sur ta jambe te fait sursauter : c'est ton ami qui a perdu ses lunettes après avoir ôté son haut. Tu t'apprêtes à les chercher toi aussi - tu sais bien qu'il ne pourra rien regarder sans elles - mais voilà que ses mains se mettent à se balader plus haut, sur tes bras, puis elles s'arrêtent subitement. Ta bouche s'entrouvre pour lui signaler que non, ses lunettes ne sont pas arrivées sur toi comme par magie, mais il s'allonge comme s'il te confondait avec le lit, contre ton torse
- les joues s'enflamment et tu te demandes s'il se rend au moins compte de ce qu'il fait.


Le cœur s'emballe malgré le fait que tout ton être te crie de le repousser
- peu importe qui il est, il ne supporte pas cette soudaine proximité
mais tu n'oses pas le bouger
(le film a vite été oublié).

Finalement c'est la compassion qui l'emporte sur la surprise ; tu n'aimes pas l'idée de savoir Mason aussi mal, alors tu lui tapotes doucement le dos
- des caresses pour atténuer ses vertiges soudains en espérant que ça serve au moins à quelque chose.


Toi aussi tu te demandes si t'as pas un peu trop bu, si l'alcool n'est pas la cause de ton égarement - même si tu n'as quasiment rien pris.


T'hésites à te relever, par peur de le rendre plus malade qu'il ne l'est déjà : c'est qu'il serait à deux doigts de s'effondrer s'il prenait le risque de se mettre debout. Mais pour combien de temps Mason voulait-il rester contre toi? Une minute? Dix? Ne prenait-il pas le risque de s'endormir ainsi? Tu ne savais pas quoi faire
- tu n'avais pas envie de bouger non plus.


Le ton est sarcastique et amusé ; c'est un spectacle fascinant de le voir succomber si rapidement face à aussi peu d'alcool. Avec cette raillerie tu ignores pour un temps vos corps pressés l'un contre l'autre dans la pénombre, tes joues en feu
et ton cœur qui bat un peu trop vite.

On le regarde en souriant doucement, retenant un léger rire - tu ne savais pas qu'il pouvait être aussi grognon, à frapper légèrement sur ton torse en niant totalement son état actuel.

Puis il s'installe sur l'oreiller d'à côté et tu te demandes s'il ne va pas s'endormir d'un moment à l'autre - mais le rire las qu'il laisse échapper te donne tord.

Sans entendre clairement sa phrase on ne réalise pas ce qu'il se passe quand il s'assoit soudainement sur toi
et ce sont ses lèvres tièdes qui viennent
anéantir la question sur le point d'être posée
qu'est-ce que tu fais ?

Et l'espace d'un instant il n'y a plus rien, la seule chose qui existe c'est Mason
au-dessus de toi sa bouche contre la tienne
tu oublies qui il est qui vous êtes
l'esprit se ferme et le cœur aussi
puis tu reviens à la réalité
et les deux mains qui viennent se poser sur ses épaules le repoussent violemment, ton souffle est court et ton visage
enflammé


Tu te passes la main sur ton visage, l'autre soutenant toujours ton ami - comme si tu pouvais balayer de cette manière le rouge qui te colorait les joues. Et tu as honte d'arborer une expression aussi embarrassée après ça, quand même soulagé que la lumière de l'écran n'éclaire pas énormément vos visages dans la pénombre et que lui n'ait plus ses lunettes sur son nez.

Une affreuse culpabilité te serre le cœur et tu te reproches de t'être laissé attendrir quelques secondes par son geste
- comment avais-tu pu te laisser aller ainsi ?


Avait-il mal interprété tes caresses, ou laissait-il complètement son esprit divaguer à cause de l'alcool? Il n'y avait que ça de possible, tu refusais de chercher une autre explication :
- dans quelle illusion avait-il été plongé
par qui ses pensées t'avaient-elles remplacé?


Les mots sonnent plus durs, ont l'air plus blessants que tu ne le voulais ; comme il est affligeant de se sentir si bouleversé à cause d'un simple baiser
- pourtant tout allait bien quand c'était Dmitry qui le faisait
alors pourquoi,
pourquoi la douleur dans ta poitrine ne disparaît-elle pas?

Et tu ne sais plus ce qui est le plus douloureux dans tout ça, son absence de réponses ou le regard qu'il te porte en ce moment - tu ne parviens qu'à y lire de la peine.

La main encore posée sur son épaule, elle refuse l'étreinte et cherche à l'éloigner, toujours plus - les idées s'embrouillent dans ton esprit, il cherche vainement à trouver une explication. S'il ne t'a pas confondu avec la personne de ses rêves, alors pourquoi avait-il fait ça?

Une peur absurde te noua le ventre : et s'il avait eu vent de tes soirées passées avec Dmitry? Pensait-il que lui aussi pouvait avoir ce genre de relations avec toi? Non, tu ne pouvais le croire - personne n'était au courant, alors comment avait-il pu l'apprendre?

Lui toujours sur ton bassin, tu fais mine de vouloir te décaler - mais au final tu arrêtes de bouger, les yeux se contentant de fuir au maximum ceux de ton ami.

Tu n'as pas la force de le repousser non plus, alors tu te contentes de l'écouter sans vraiment oser le regarder en face. C'est que tu donnerais n'importe quoi pour pouvoir effacer l'expression peinée et embarrassée de ton visage, n'importe quoi pour t'énerver un bon coup et faire voler en éclat ses illusions.


La voix tremble un peu malgré toi, l'assurance que tu avais tout à l'heure a disparu - tout s'est effacé à l'instant où il avait pressé sa bouche contre la tienne.


Et tu cherches tes mots, sans doute par peur de dire quelque chose de blessant ou d'inhabituel ; après tout c'est invraisemblable de se dire que lui puisse ressentir ça, tu ne veux pas que ce soit le cas - il y a cette peur de le décevoir, de le détruire par ta simple existence ; Mason s'était amouraché d'une imposture, d'un mirage. Tu ne parvenais pas à accepter le fait que quelqu'un puisse t'aimer toi, malgré tes si nombreux défauts.


Tu as envie de lui dire pourquoi moi mais même ça tu n'y arrives pas, parce que ça te reste complètement inconcevable, complètement impossible. Tu ne peux y croire, tu ne peux te permettre de l'espérer.

Enfin capable de soutenir son regard, ton cœur se serre en voyant ses yeux plein de larmes
- ça ne lui ressemble pas,
l'idée de le faire pleurer t'est aussi insupportable que d'accepter le fait qu'il soit tombé pour toi et tout ce que tu parviens à lui dire c'est

L'atroce sensation de se blesser mutuellement - une incompréhension commune, les cœurs qui tressaillissent et cette tristesse insurmontable.


Incapable de terminer ou de soutenir son regard plus longtemps, les soupirs se bousculent pour sortir mais au final c'est le désespoir qui parle.


Cet amour tu penses qu'il n'a pas lieu d'être, il te refroidit tandis qu'il enflamme Mason
- et au final il vous blesse tous les deux. En ce monde on s'entend à faire couler les larmes, à blesser, à froisser, à meurtrir les cœurs sensibles pour éviter de se laisser abîmer par ce qu'on n'a pas envie d'entendre, pour ne pas se faire anéantir par la vérité.
Le peu de confiance qu'il te reste disparaît une fois que tu oses à nouveau croiser son regard, et les larmes te montent aux yeux aussi sans que tu ne t'en rendes vraiment compte.


Tout ça c'est parce que tu as été trop heurté, trop blessé ; à force on en arrive à trouver les autres exaspérants, à s'apercevoir que tu n'arrives plus à te supporter et que tu te hais bien plus que tu ne détestes le reste du monde.

Puis on accepte finalement, le cœur abandonne, tu laisses les mots t'atteindre et le rouge te monte encore plus aux joues.

Tu prends une longue inspiration, et tes yeux viennent se planter encore une fois dans les siens.


La vérité c'est que t'as trop peur de tout ça pour l'accepter complètement. On t'en avait fait pourtant des déclarations, de filles que tu connaissais pas le moins du monde ou des partenaires qui pensaient pouvoir aller plus loin avec toi. Mais lui était cher à tes yeux, beaucoup trop pour prendre le risque de vous briser par ta faute.


Penser au fait que tu pourrais le détruire te tourmente encore plus que les désirs tremblants que ton ami ressent, et tu es à deux doigts de te consumer dans les pleurs.