Tout ce qu'il y a d'essor dans l'esprit d'un homme, d'élan dans son cœur, est comprimé, paralysé par l'ennui qu'il éprouve. Dans cet ennui, on s'assied en silence au milieu d'une foule, on écoute d'une oreille indifférente, on ne s'intéresse à aucune conversation, et souvent on perd soi-même toute sorte de pensées.

L'ennui est une peste à laquelle tu crois échapper en sortant de la solitude. C'est un vide de l'âme, un anéantissement de tes forces, une pesanteur générale, une paresse somnolente, une fatigue. S'entourer d'une foule, même immense, ne change rien.

Tu n'as pas besoin des autres pour tromper ce dernier.

Certains disent que chaque matin est une page blanche. Un recommencement. Une renaissance.

Tu aimerais pouvoir te dire cela. Mais rien n'est plus faux, plus idiot que de se dire que chaque nouveau jour efface le dernier. Le passé est indélébile. Tu ne peux effacer les souvenirs, les regrets, l'amertume.

Mais tu peux oublier. Faute d'amour et d'eau fraîche, tu vis d'amis et d'alcool.
Un simple message et tu te lèves. Ta bouteille est à peine entamée ; il y aura largement de quoi faire pour elle aussi. Tu y vas car tu veux te vider l'esprit, boire jusqu'à plus soif, t'amuser.

Encore un peu.
Avant qu'il ne soit trop tard.

Tu te ne toques pas avant d'entrer. Tant pis si Amy est en train de faire tu ne sais quoi de gênant ; elle n'avait qu'à se préparer à ton arrivée. Heureusement, elle ne fait rien de bizarre lorsque tu pénètres dans sa chambre. Tu fermes la porte, et retire la bouteille de whisky que tu transportais dans ton manteau avec un air triomphant.


Tu aimes cette dépendance dont elle fait preuve lorsque l'ennui étreint son cœur. Tu as l'impression d'exister, d'être important, de poser ta pierre dans ce monde où les cons comme toi sont bien trop nombreux. Elle t'apprécie.

Amy et les soirées trop arrosées, les verres trop dosés, les bouteilles vidées.

T'as toujours aimé son enthousiasme débordant à cette fille, qui bondit dès que tu rentres dans sa chambre. Et elle fait preuve d'une dépendance qui te réjouit, toi, un être égoïste et sale destiné à te retrouver seul
jusqu'à la fin.

Mais on préfère profiter de l'instant présent, se focaliser sur Amy qui sautille littéralement sur place. Jamais elle n'a l'air de se lasser de tes histoires, des récits de tes dernières conneries et de grosses bagarres. Une enfant surexcitée par le danger, qui tremble à la moindre poussée d'adrénaline.


Et tu t'amuses, te délectes de son regard passionné, buvant chacune de tes paroles, attentive comme un petit enfant attendant impatiemment qu'on lui lise son conte préféré.


Parce que cela fait bien trop longtemps que tu ne t'étais pas défoulé, contre un connard qui s'y croit un peu trop ou un élève arrogant venant t'emmerder à la simple vue de l'unique étoile cousue sur ton uniforme. Tu devrais être au grenier, disent-ils et même s'ils sont loin d'avoir tord, faut bien payer pour t'avoir fait perdre ton temps.


Tu te saisis du whisky, la passion du soir, te débarrasses du bouchon et quelques instants plus tard tu sens l'alcool agresser ton palais, couler dans ta gorge et te faire tourner la tête. Tu ressens une bouffée de chaleur aussi agréable qu'insupportable et tu tends la bouteille à Amy, un rictus amusé aux lèvres.

Parce que tu sais qu'il est toujours amusant de voir ta partenaire éméchée.

C'est ça, l'avantage de tenir l'alcool.
Pouvoir rigoler de ceux qui s'écroulent au bout d'un verre.

Elle s'empare de la bouteille et la porte à sa bouche avec son violent enthousiasme habituel. Tu l'entends boire à grandes gorgées, te doutant que son esprit doit déjà s'embrouiller.

La connaissant, tu sais que la dose avait déjà été dépassée : et elle se colle à ton corps, balbutiant et clamant son affection pour toi à voix haute, te donnant même un baiser à l'haleine alcoolisée. Un sourire ironique s'étire sur ton visage.


Amy est seule et c'est pour cette unique raison qu'elle reste accrochée à toi en permanence, tu le sais. Il y a tellement plus divertissant, plus extraverti et plus sympathique que toi, dont l'existence même doit être une erreur quelconque, une tache dans le monde, une poussière en trop dans l'univers.

Si t'apprécies pas trop les contacts en général, t'as jamais pu l'empêcher d'arrêter de te coller en permanence, et les grimaces ont rapidement disparu car t'as toujours su t'adapter Kagerou, même aux pires choses.

Et il y avait bien pire que l'affection envahissante d'une fille esseulée.

Tu portes la bouteille à tes lèvres, savourant le whisky au goût boisé.
Dommage qu'il n'y ait pas de glaçons pour l'accompagner.