Aline n'arrêtait pas de rigoler. Ils étaient nombreux à jouer à chat dans le jardin d'enfant et elle courait aussi vite que ses jambes de petite fille de neuf le lui permettaient. Sa classe se trouvait en pleine récréation de l'après-midi, et inutile de préciser qu'en cette belle journée ensoleillée, tout le monde avait foncé dehors pour rejoindre les jeux. Il faisait chaud mais une douce brise soufflait, rappelant que le printemps ne se tenait pas encore prêt à laisser la place à l'été.

L'ambiance positive que créaient les cris des petits influait directement sur l'Anglaise. Cela faisait un peu plus d'un an qu'elle habitait à cet endroit, et elle commençait à s'y habituer. C'est vrai que maman et papa lui manquaient beaucoup, mais on lui avait assuré qu'elle ne séjournerait pas très longtemps dans cette école. Juste assez pour devenir suffisamment grande et s'occuper d'elle-même. Maman lui avait donné une gemme avant qu'elle ne parte afin qu'elles restent liées tout le temps qu'elle passerait à l'Académie, et Aline ne la quittait plus. Il lui arrivait même souvent de raconter au quartz rose sa journée, comme elle le faisait avant d'aller dormir avec ses parents. Dans son coeur, elle était persuadée qu'ils l'entendaient et demeuraient fière d'elle et de son courage à affronter la séparation.

Lorsque le garçon la toucha au dos, la blondinette éclata de rire et chercha immédiatement les plus proches victimes à pourchasser. Certes, elle n'allait pas vite mais ils étaient beaucoup donc quelqu'un finirait sûrement par manquer d'attention. Avec un grand sourire, elle aperçut Mia non loin qui la surveillait. Ni une ni deux, elle s'élança dans sa direction en s'esclaffant de plus belle. Les deux filles s'étaient déjà assises l'une à côté de l'autre en cours, et avaient déjà discuté de toutes sortes de choses. Elle ne ressentit donc aucun scrupule à la prendre en chasse. Elle savait par exemple que sa camarade pouvait créer de bonnes odeurs en fonction des gens à côté d'elle.

« Moi je veux sentir le citron ! avait alors déclaré Aline. C'est mon odeur préférée du monde entier. »

N'ayant pas vraiment conscience de la complexité du don de Mia, la demoiselle s'était retrouvée à commander naïvement toute sorte de parfum auprès de la petite brune. Il fallait dire qu'elle adorait les agrumes... Elle se souvenait encore qu'il s'agissait de la senteur de la lessive de sa maman, fait qu'elle finira par oublier plus tard.

Il ne lui manquait que quelques centimètres pour atteindre l'épaule de son amie. L'Anglaise tendait le bras à s'en faire mal mais rien n'y faisait, elle devait accélérer. Concentrant alors son énergie en un futur élan, Aline ne remarqua malheureusement pas qu'elles entraient dans le domaine de la cage à poule - une sorte de grand parcours alliant barres de fer, poutres en bois et cordelettes. Ainsi, le sol passa d'un terrain sablonneux à celui en mousse verte si caractéristique des lieux pour enfants. Il n'en fallut pas plus à la blondinette qui perdit l'équilibre et tomba en avant.

La bonne nouvelle était que grâce à sa chute, elle parvint à atteindre la vitesse nécessaire afin de toucher Mia. Par contre la mauvaise résidait dans le fait qu'elle la bouscula sans le faire exprès en avant. Le choc avait été assez brutal et tandis qu'Aline atterrit par terre sans une égratignure, elle ouvrit de grand yeux effrayés face à la scène qu'elle venait de provoquer.

La jolie après-midi venait de basculer aussi violemment que Mia, et les deux filles n'étaient pas prêtes de l'oublier un jour.

Il y avait du sang partout. Les autres petits joueurs qui ne perdirent pas une miette de la scène se mirent à s'éparpiller en hurlant tandis qu'Aline, elle, restait tétanisée par ce qu'elle venait de provoquer. Le visage de Mia devint rapidement d'une pâleur effroyable et celle-ci se mit à trembler comme une feuille. Un énorme trou lézardait toute une partie de sa cuisse et cette vision d'horreur fit naître des frissons partout dans le corps de la blondinette. Son amie implorait d'appeler quelqu'un, mais le son de sa voix était bien trop faible dans cette effervescence de cris. Mise à part l'Anglaise, personne ne devait l'avoir entendue...

Qu'est-ce qu'il fallait faire ? La maîtresse ne les avait pas suivis jusqu'à la cours et Aline ne voulait pas laisser la brune toute seule. D'un pas hésitant, elle s'approcha de celle-ci et s'agenouilla près d'elle. La quantité de liquide rouge paraissait effroyable et les habits de la blondinette ne tardèrent pas à en être maculé.

« Mia pardon, je suis désolée... souffla la fillette en esquissant un geste vers la plaie. J'ai pas fait exprès, je te promets. Pardon, pardon... »

De grosses larmes commencèrent à perler sur les joues d'Aline qui était persuadée qu'elle venait de commettre l'irréparable. La blessure semblait géante et elle n'avait jamais rien vu de tel par le passé. Est-ce qu'il allait falloir couper la jambe de Mia ? Est-ce qu'on pouvait encore la soigner ? Comment lui remettre le sang à sa place ? La panique envahissait entièrement l'esprit de l'Anglaise qui ne savait plus quoi faire.

« À L'AIDE ! hurla-t-elle toujours assise près de son amie. MAÎTRESSE, À L'AIDE. IL FAUT RAMENER QUELQU'UN DE GRAND S'IL VOUS PLAÎT ! »

La fillette criait ses phrases sans vraiment les adresser à qui que ce soit. Elle espérait simplement que l'un de ses camarades se décide à aller trouver un adulte. Elle en aperçut certains détaler au quart de tour, cependant est-ce qu'ils s'enfuyaient ou faisaient ce qu'elle demandait ?

S'essuyant avec son bras, Aline essaya de sécher ses larmes sans vraiment y parvenir. Une idée lui vint alors et tentant le tout pour le tout, décida de l'appliquer. Elle alla chercher dans sa poche le seul trésor qu'elle possédait et le tint au creux de sa paume. Toujours en pleurant, elle se saisit de la main de Mia et l'entoura des siennes de sorte à ce que le quartz rose entre en contact avec la peau de son amie. Presque immédiatement, l'apprentie en litothérapie se mit à charger continuellement son cristal afin de générer des ondes tranquillisantes et d'amour. Ton alice est gentil ma chérie, lui avait dit un jour sa mère. Souviens-toi de l'utiliser quand les gens ont mal ou sont tristes. Elle ne pouvait malheureusement rien faire de plus, toutefois cela contribuerait à calmer les deux petites tandis qu'elles attendaient que quelqu'un arrive.

« On va te guérir et tu vas pouvoir courir comme avant. Juste ne meurt pas s'il te plaît ! sanglota-t-elle pleine de morve. À L'AIDE, VENEZ NOUS AIDER ! »

Il ne s'agissait pas du premier accident de blondinette, mais jusqu'ici rien n'avait été aussi grave. Est-ce qu'elle aurait de gros problèmes à cause de ça ? Est-ce que les autres voudraient encore jouer avec elle ? On commençait déjà à l'éviter un peu parce qu'apparemment elle se montrait trop maladroite et cette histoire ne risquait pas d'arranger les choses. Ce n'était pas sa faute si elle avait cassé la super Barbie d'une camarade, et trébuché sur la voiture télécommandée d'un autre !

Secouant la tête, l'Anglaise chassa ces pensées pour se reconcentrer sur Mia. Elle était toute blanche et le flot ne s'arrêtait pas ! Si ça continuait comme ça, elle n'aurait bientôt plus une seule goutte de sang dans son corps !